Cour d’appel administrative de Nantes, le 29 septembre 2025, n°25NT00716

Par un arrêt en date du 29 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français émise à l’encontre d’un étranger dont la demande d’asile avait été rejetée en première instance par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais qui a ensuite obtenu le statut de réfugié devant la Cour nationale du droit d’asile.

En l’espèce, un ressortissant arménien, entré en France en 2022, a vu sa demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides le 29 juillet 2024. Sur le fondement de ce rejet, le préfet d’Ille-et-Vilaine a pris, le 29 août 2024, un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français. Le requérant a contesté cette mesure devant le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 10 février 2025. Entre-temps, par une décision du 27 février 2025, la Cour nationale du droit d’asile a annulé la décision de l’office et lui a reconnu la qualité de réfugié. Le requérant a donc interjeté appel du jugement du tribunal administratif.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était de savoir si la reconnaissance ultérieure de la qualité de réfugié par la Cour nationale du droit d’asile privait de base légale un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français, pris antérieurement à cette reconnaissance mais postérieurement au rejet de la demande d’asile par l’OFPRA.

La cour administrative d’appel de Nantes annule le jugement du tribunal administratif ainsi que l’arrêté préfectoral. Elle juge que la reconnaissance de la qualité de réfugié a un effet rétroactif qui anéantit le fondement juridique sur lequel reposait la mesure d’éloignement. Cette solution, qui réaffirme le caractère purement recognitif de l’octroi du statut de réfugié (I), emporte des conséquences impératives pour l’administration (II).

I. La consécration du caractère recognitif de la qualité de réfugié

La cour administrative d’appel rappelle avec clarté que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Toutefois, elle neutralise ici la portée de ce principe en se fondant sur la nature spécifique de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, ce qui conduit à constater une illégalité rétroactive de l’obligation de quitter le territoire (A) en raison de la nature déclaratoire de l’octroi du statut protecteur (B).

A. L’illégalité subséquente de l’obligation de quitter le territoire

L’arrêté préfectoral du 29 août 2024 était, à la date de sa signature, parfaitement légal. Il se fondait en effet sur le 4° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui autorise l’autorité administrative à édicter une telle mesure lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié a été refusée. À cette date, le demandeur ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire, l’OFPRA ayant rejeté sa demande. Le préfet était donc en compétence liée pour prendre une mesure d’éloignement.

Cependant, la décision de la Cour nationale du droit d’asile du 27 février 2025 est venue modifier rétroactivement le statut juridique du requérant. Le juge de l’excès de pouvoir, qui en principe se place au jour de la décision attaquée pour en apprécier la légalité, accepte ici de prendre en compte un élément de droit postérieur. Cette approche s’explique par le fait que la décision de la CNDA ne crée pas un droit nouveau, mais se limite à reconnaître une situation préexistante, rendant par conséquent illégale une décision qui, sans cette reconnaissance, aurait été valide.

B. La portée déclaratoire de la reconnaissance du statut

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’affirmation du caractère recognitif de l’octroi de l’asile. La juridiction énonce en effet qu’« il résulte de ces dispositions que la décision accordant à un étranger la qualité de réfugié présente un caractère recognitif et est ainsi réputée rétroagir à la date d’entrée sur le territoire national du requérant ». Cette formule signifie que la CNDA ne confère pas la qualité de réfugié, mais constate que la personne remplissait les conditions pour l’obtenir dès son entrée sur le territoire ou, à tout le moins, dès sa demande.

Dès lors, l’individu est juridiquement considéré comme ayant toujours été un réfugié depuis qu’il a sollicité la protection de la France. L’arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire, pris à un moment où il était réputé être sous la protection juridique française, se trouve donc privé de toute base légale. Le préfet ne pouvait, par conséquent, « légalement édicter une obligation de quitter le territoire français à l’encontre de l’intéressé à la date du 29 août 2024 ». La censure de l’acte devient inéluctable.

Dès lors que la base légale de l’acte administratif est rétroactivement anéantie, la censure prononcée par le juge s’inscrit dans une logique de protection renforcée du droit d’asile, dont les implications pour l’action administrative sont particulièrement nettes.

II. L’encadrement impératif de l’action administrative

Cette décision confirme une solution jurisprudentielle établie qui garantit la primauté du statut de réfugié sur les mesures d’éloignement (A). Elle rappelle également à l’administration son obligation d’abroger les décisions devenues illégales et de régulariser sans délai la situation des personnes protégées (B).

A. La primauté affirmée du statut de réfugié

La solution adoptée par la cour administrative d’appel de Nantes n’est pas nouvelle, mais elle constitue une application rigoureuse des principes qui gouvernent le droit d’asile. Elle illustre la volonté du juge administratif de faire prévaloir la protection internationale sur les prérogatives de l’administration en matière de police des étrangers. En annulant l’arrêté, le juge ne se contente pas de sanctionner une erreur de droit, il garantit l’effectivité de la protection conventionnelle accordée aux réfugiés.

Cette jurisprudence assure une sécurité juridique essentielle aux demandeurs d’asile. Elle empêche que des mesures d’éloignement, fondées sur une décision de l’OFPRA qui peut s’avérer erronée, ne viennent compromettre de manière irréversible la situation d’une personne qui, en définitive, se voit reconnaître le besoin d’une protection. La valeur de cette approche est donc de garantir que le droit de se maintenir sur le territoire durant l’examen d’un recours devant la CNDA ne soit pas vidé de sa substance par une application mécanique des règles relatives à l’éloignement.

B. L’obligation d’abrogation et de régularisation

Au-delà de l’annulation contentieuse, la décision met en lumière l’obligation qui pèse sur l’administration en vertu de l’article L. 613-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte dispose que l’autorité administrative doit abroger toute obligation de quitter le territoire français lorsque la qualité de réfugié est reconnue à un étranger. L’administration n’a, dans cette situation, aucun pouvoir d’appréciation.

La portée de l’arrêt est donc également préventive. Il incite les préfectures à la prudence lorsqu’un recours est pendant devant la CNDA et, surtout, les contraint à tirer immédiatement les conséquences d’une décision d’octroi de l’asile en abrogeant d’office toute mesure d’éloignement antérieure. La décision commentée, en annulant directement l’arrêté, se substitue en quelque sorte à l’administration défaillante et assure au réfugié la pleine jouissance de ses droits, notamment celui de se voir délivrer une carte de résident.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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