Cour d’appel administrative de Nantes, le 29 septembre 2025, n°25NT00903

Par un arrêt en date du 29 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a statué sur les conditions de recevabilité d’un recours dirigé contre un refus implicite de titre de séjour. Une ressortissante étrangère, présente sur le territoire national depuis 2012, avait sollicité en décembre 2022, par courrier postal, la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de son admission exceptionnelle au séjour. Face au silence de l’administration, elle a saisi le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par une ordonnance du 13 novembre 2024 au motif qu’aucune décision susceptible de recours n’était née, la saisine par voie postale étant jugée irrégulière. La requérante a interjeté appel de cette ordonnance. La question de droit posée aux juges d’appel était de savoir si une demande de titre de séjour adressée par voie postale, conformément aux instructions de la préfecture, pouvait faire naître une décision implicite de rejet susceptible de recours. Il leur appartenait également de déterminer les conséquences d’une absence de communication des motifs de cette décision implicite. La cour administrative d’appel a annulé l’ordonnance du premier juge, considérant que la demande était régulière et qu’une décision implicite de rejet était bien née. Elle a ensuite annulé cette décision pour défaut de communication de ses motifs et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de l’intéressée.

I. La reconnaissance de la naissance d’une décision administrative attaquable

La cour a d’abord dû contredire le raisonnement du premier juge en validant la procédure de saisine de l’administration (A), ce qui a permis de constater l’existence d’une décision implicite de rejet (B).

A. La validation de la demande de titre de séjour par voie postale

Le juge de première instance avait estimé que la demande, n’ayant pas été présentée selon les modalités réglementaires, n’avait pu lier le contentieux. La cour administrative d’appel adopte une position contraire en s’appuyant sur une lecture pragmatique des textes et des pratiques administratives. Elle rappelle que si certaines demandes de titres de séjour doivent s’effectuer au moyen d’un téléservice, l’article R. 431-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit une comparution personnelle au guichet ou une transmission par voie postale si le préfet le prescrit. Or, en l’espèce, les juges du fond relèvent qu’il « ressort des mentions figurant sur le site internet de la préfecture, que cette demande pouvait être valablement présentée par courrier postal ».

Cette approche garantit la sécurité juridique pour l’administré qui se conforme aux indications fournies par l’administration elle-même. La cour écarte ainsi une application trop rigide des textes qui aurait pénalisé la requérante pour avoir suivi les instructions officielles. La validité de la saisine de l’administration est donc établie, nonobstant les dénégations initiales du préfet qui prétendait ne jamais avoir reçu le courrier, une affirmation contredite par ses propres correspondances ultérieures mentionnant une instruction en cours.

B. La matérialisation d’une décision implicite de rejet

Une fois la régularité de la demande confirmée, la cour applique le mécanisme de la décision implicite de rejet. Conformément aux articles R. 432-1 et R. 432-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le silence gardé par l’administration pendant un délai de quatre mois sur une demande de titre de séjour vaut décision de rejet. Le point de départ de ce délai est la date de réception du dossier complet par la préfecture, soit le 15 décembre 2022 dans le cas présent.

La cour en déduit logiquement qu’une « décision implicite de rejet de la demande de Mme A… est née le 15 avril 2023 ». Cette constatation est fondamentale car elle crée l’acte administratif faisant grief, condition indispensable à la recevabilité du recours pour excès de pouvoir. En annulant l’ordonnance du tribunal administratif, la cour rétablit le droit au recours de l’intéressée, qui avait été nié à tort par le premier juge. La formation de la décision implicite ouvre ainsi la voie à l’examen de sa légalité par le juge administratif.

II. La sanction de l’illégalité procédurale et ses conséquences

La cour, après avoir établi l’existence d’une décision attaquable, en contrôle la légalité et la censure pour un vice de procédure (A), ce qui la conduit à prononcer une injonction de réexamen dont la portée est mesurée (B).

A. L’illégalité tirée de l’absence de communication des motifs

Évoquant l’affaire, le juge d’appel examine les moyens soulevés en première instance et retient celui tiré du défaut de motivation. Le code des relations entre le public et l’administration impose que les décisions administratives individuelles défavorables, notamment les mesures de police, soient motivées. Pour une décision implicite de rejet, cette obligation se traduit différemment. La décision n’est pas illégale du seul fait de son absence de motifs, mais l’administration est tenue de les communiquer à l’intéressé qui en fait la demande dans le délai du recours contentieux.

En l’espèce, la requérante avait sollicité la communication des motifs le 8 décembre 2023. Le préfet n’a jamais répondu à cette demande. La cour constate donc qu' »en l’absence de communication par cette autorité des motifs de la décision implicite en litige (…), cette décision se trouve entachée d’illégalité ». Cette sanction est la garantie essentielle du droit des administrés à connaître les fondements d’une décision qui leur est défavorable, afin de pouvoir la contester utilement. La cour réaffirme ici l’importance de la transparence administrative et du respect des droits de la défense.

B. L’injonction de réexamen comme seule conséquence de l’annulation

L’annulation de la décision implicite pour vice de procédure a pour effet de la faire disparaître rétroactivement de l’ordonnancement juridique. Cependant, cette annulation ne conduit pas le juge à accorder lui-même le titre de séjour sollicité. Le motif de l’annulation étant procédural, le juge n’a pas examiné le fond du dossier et ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la demande au regard des conditions d’admission exceptionnelle au séjour.

Par conséquent, la cour enjoint simplement au préfet de procéder à un nouvel examen de la demande. L’arrêt précise que sa décision « implique seulement que le préfet des Côtes d’Armor procède au réexamen de la situation de Mme A… ». Cette solution respecte le pouvoir d’appréciation de l’administration. La victoire de la requérante est donc avant tout procédurale : elle obtient que sa demande soit de nouveau instruite et qu’une décision explicite et motivée soit prise, laquelle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’un nouveau recours sur le fond.

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Hassan KOHEN
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