Cour d’appel administrative de Nantes, le 3 juin 2025, n°24NT01909

La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 3 juin 2025, une décision précisant les conditions de contrôle de l’ajournement d’une demande de naturalisation. Une ressortissante étrangère, entrée sur le territoire national en deux mille huit, a sollicité l’acquisition de la nationalité française par la voie de la naturalisation. Le représentant de l’État dans le département a prononcé, le 10 février 2020, un ajournement de sa demande pour une durée de deux ans. L’autorité ministérielle a rejeté, le 8 octobre 2020, le recours administratif préalable exercé par la postulante en confirmant cette mesure d’ajournement de deux années. Le Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d’annulation de cette décision ministérielle par un jugement rendu en date du 8 février 2024. La requérante soutient devant la juridiction d’appel que la décision initiale est insuffisamment motivée et qu’elle a pleinement réalisé son insertion professionnelle. Le litige porte sur l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions d’ajournement et sur la validité des critères liés à la stabilité des ressources.

I. La délimitation stricte du cadre du contrôle juridictionnel

A. L’opérance exclusive de la décision ministérielle par substitution

La requérante invoquait initialement l’insuffisance de motivation de l’acte préfectoral pour obtenir l’annulation de la mesure d’ajournement contestée devant les juges du fond. La juridiction d’appel rappelle que la décision prise après un recours administratif préalable obligatoire se substitue intégralement à la décision initiale de l’autorité préfectorale. L’arrêt énonce qu’il « résulte de ces dispositions que la décision du ministre, saisi d’un tel recours préalable obligatoire, se substitue à celle initialement prise par le préfet ». Ce mécanisme de substitution rend inopérant tout moyen dirigé contre la forme ou la procédure de l’acte initial qui n’existe plus juridiquement. Les juges confirment ainsi que seul l’acte ministériel final constitue l’objet du recours pour excès de pouvoir dans le cadre des procédures de naturalisation.

B. L’irrecevabilité des moyens nouveaux fondés sur la légalité externe

La postulante a soulevé pour la première fois en appel le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision prise par l’autorité ministérielle. Les juges relèvent que cette argumentation se rattache à une cause juridique nouvelle, car la requérante n’avait critiqué que la légalité interne en première instance. L’arrêt précise que cette critique « se rattache à une cause juridique nouvelle par rapport à l’argumentation développée en première instance, laquelle se limitait à la critique de la légalité interne ». Cette règle de procédure interdit aux justiciables de modifier le fondement de leur contestation entre les deux degrés de juridiction administrative. La cour administrative d’appel rejette donc ce moyen comme irrecevable, limitant son examen aux griefs portant sur le bien-fondé de l’appréciation portée par l’administration.

II. L’étendue du pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative

A. La licéité des critères de l’insertion professionnelle et de la stabilité des ressources

L’acquisition de la nationalité française par décret constitue une faveur accordée par l’autorité publique et non un droit acquis pour le ressortissant étranger demandeur. La cour rappelle que « l’autorité administrative dispose, en matière de naturalisation, ou de réintégration dans la nationalité française, d’un large pouvoir d’appréciation » lors de cet examen. Ce pouvoir permet au ministre de prendre légalement en compte « le degré d’insertion professionnelle du postulant et le niveau et la stabilité de ses ressources ». L’administration peut donc exiger que le candidat à la nationalité démontre une autonomie financière réelle et pérenne sur le sol français. Ces critères permettent d’évaluer la solidité du lien économique unissant le postulant à la communauté nationale au-delà de sa simple présence sur le territoire.

B. L’absence d’erreur manifeste d’appréciation malgré les efforts d’intégration

La requérante disposait d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis deux mille quinze, mais avec une quotité horaire très limitée au début de son activité. Ses revenus salariaux sont restés modestes et ont été complétés par des prestations sociales représentant une part substantielle des ressources totales de son foyer. Les juges estiment qu’en dépit d’un « investissement certain dans son intégration professionnelle », l’intéressée n’apportait pas les garanties d’une autonomie financière suffisante à la date choisie. L’arrêt conclut qu’en « estimant qu’elle n’avait pas achevé son insertion professionnelle, le ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation » au regard des pièces du dossier. La juridiction d’appel valide ainsi la mesure d’ajournement de deux ans, soulignant que l’absence de ressources stables justifie légalement un report de la naturalisation.

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Hassan KOHEN
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