En l’espèce, un inspecteur des finances publiques a sollicité son avancement au grade supérieur au titre de l’année 2019, mais sa candidature n’a pas été retenue. Peu de temps après cette décision, l’agent a été admis à la retraite. Estimant que le refus d’avancement était entaché d’illégalité et lui avait causé un préjudice, notamment financier, il a présenté une demande indemnitaire préalable auprès de l’administration, qui l’a implicitement rejetée. L’agent a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande tendant à la condamnation de l’État à lui verser des dommages et intérêts. Par un jugement en date du 7 mai 2024, cette juridiction a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’administration avait commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de l’inscrire au tableau d’avancement, et que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas de nature à justifier une telle décision. Se posait alors la question de savoir si le refus d’inscrire un agent au tableau d’avancement, fondé sur des éléments documentés relatifs à sa manière de servir, caractérise une erreur manifeste d’appréciation susceptible d’engager la responsabilité de l’administration, alors même que d’autres aspects de sa valeur professionnelle sont jugés satisfaisants. Par un arrêt du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a considéré que les faits relevés par l’administration, notamment un sens du service public jugé seulement « moyen » et des manquements spécifiques dans le traitement de certains dossiers, constituaient des motifs suffisants pour justifier le refus de promotion, écartant ainsi l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.
Cette décision rappelle utilement le cadre juridique de l’avancement au choix et du contrôle restreint exercé par le juge administratif en la matière (I), avant de procéder à une application concrète et rigoureuse de ce contrôle pour écarter l’erreur manifeste d’appréciation invoquée par le requérant (II).
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I. Le rappel du cadre juridique de l’avancement au choix et de son contrôle juridictionnel
L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui consacre la nature discrétionnaire de la décision d’avancement au choix (A) et, corrélativement, la portée limitée du contrôle opéré par le juge administratif (B).
A. La promotion au choix : une prérogative de l’administration
La cour prend soin de rappeler les dispositions de l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984, qui distinguent clairement la vocation à l’avancement d’un droit acquis à celui-ci. Si les fonctionnaires remplissant les conditions statutaires ont vocation à être promus, l’inscription sur un tableau d’avancement annuel relève d’une décision prise « au choix », par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience. L’administration dispose ainsi d’un large pouvoir d’appréciation pour comparer les mérites respectifs des agents éligibles. Ce pouvoir lui permet de sélectionner les candidats qui lui paraissent les plus aptes à exercer les fonctions du grade supérieur, en se fondant sur une pluralité de critères définis par les textes. La décision de promotion n’est donc pas une simple récompense de l’ancienneté ou des services passés, mais un instrument de gestion des carrières et de sélection des cadres, ce qui justifie la marge de manœuvre laissée à l’autorité compétente.
B. La censure de l’erreur manifeste : une limite au pouvoir discrétionnaire
En contrepartie de cette prérogative, le contrôle du juge administratif, bien que restreint, assure que le pouvoir discrétionnaire ne dégénère pas en arbitraire. La cour le rappelle avec précision dans son troisième considérant : « il ne lui appartient pas de contrôler l’appréciation faite par l’administration quant aux agents qu’elle choisit d’inscrire ou de ne pas inscrire au tableau, dès lors que cette appréciation n’est pas fondée sur des faits matériellement inexacts et n’est entachée ni d’une erreur de droit ni d’une erreur manifeste ». Le juge vérifie ainsi l’exactitude matérielle des faits sur lesquels l’administration s’est fondée, s’assure de l’absence d’erreur de droit dans l’application des textes et sanctionne l’erreur manifeste d’appréciation, c’est-à-dire l’erreur si grossière qu’elle apparaît évidente sans qu’il soit besoin de se substituer à l’administration dans l’examen des mérites.
Une fois ce cadre général posé, l’intérêt de la décision réside dans l’application concrète de ce contrôle aux faits de l’espèce, illustrant ce qui constitue, ou non, une telle erreur manifeste.
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II. L’application concrète du contrôle restreint à la décision de refus d’avancement
La cour administrative d’appel, pour écarter le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, s’appuie sur une analyse factuelle précise qui met en évidence la pertinence des motifs retenus par l’administration (A) et neutralise les arguments jugés inopérants (B).
A. La caractérisation de motifs suffisants justifiant le refus
L’arrêt détaille avec soin les éléments qui ont pu légalement fonder la décision de l’administration. Il ressort en effet des pièces du dossier que les comptes rendus d’entretien professionnel de l’agent, bien que reconnaissant ses compétences, lui attribuaient un niveau seulement « moyen s’agissant de son sens du service public ». De plus, l’un de ses objectifs n’avait pas été atteint et un courrier de sa hiérarchie lui avait reproché des manquements précis dans le suivi de dossiers. La cour estime que « ces seuls éléments étaient suffisants pour justifier le refus d’inscrire l’intéressé au tableau d’avancement ». En retenant de la sorte des faits objectifs, documentés et non contestés par l’agent, qui touchent directement à sa manière de servir et à sa fiabilité, la juridiction confirme qu’une appréciation globalement positive n’interdit pas à l’administration de prendre en compte des faiblesses ciblées pour refuser une promotion.
B. La neutralisation des arguments et des circonstances inopérants
Face à ces éléments, les justifications avancées par le requérant sont jugées insuffisantes pour caractériser une erreur manifeste. L’arrêt relève ainsi qu’il n’est « ni soutenu ni même allégué » qu’une agression subie par l’agent aurait eu un lien avec les lacunes professionnelles constatées, ni que des agents moins méritants auraient été promus. Par cette double précision, la cour souligne implicitement la charge qui pèse sur le requérant. Il ne suffit pas d’invoquer des circonstances personnelles ou des éléments positifs de sa carrière ; il faut encore démontrer, soit que les faits reprochés sont excusables ou sans rapport avec les aptitudes requises, soit que la décision révèle un traitement inéquitable au regard d’autres agents. En l’absence de tels éléments, l’appréciation de l’administration, même si elle peut paraître sévère à l’agent, ne franchit pas le seuil de l’erreur manifeste et échappe à la censure du juge.