Par un arrêt en date du 3 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.
En l’espèce, un ressortissant mongol, entré en France en avril 2022, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour auprès du préfet de la Manche. L’administration a rejeté sa demande par un arrêté du 13 mai 2024, lui a imposé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Caen afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 25 septembre 2024, le tribunal a rejeté sa requête. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe qu’interne de la décision préfectorale. Il invoquait notamment l’incompétence du signataire de l’acte, une motivation insuffisante, un défaut d’examen particulier de sa situation, ainsi qu’une méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il revenait ainsi à la cour de déterminer si le refus de séjour, fondé sur la situation personnelle et familiale de l’étranger, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou si cette décision excédait la marge d’appréciation reconnue à l’autorité administrative.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que le préfet a pu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation ni méconnaître l’article 8 de la convention précitée, refuser le titre de séjour sollicité. Les juges relèvent à ce titre que la présence de l’intéressé en France était récente, que sa relation de concubinage n’était établie que depuis une période limitée et que ses attaches familiales dans son pays d’origine demeuraient. La cour écarte par ailleurs les autres moyens soulevés et confirme en tous points le jugement de première instance.
Cette décision illustre la manière dont le juge administratif exerce son contrôle sur les décisions de refus de séjour, en validant l’appréciation portée par l’administration (I), ce qui révèle la portée relative des garanties dont bénéficie l’étranger dans ce contentieux (II).
I. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration
La cour opère un contrôle rigoureux des arguments formels et procéduraux avant de valider l’analyse substantielle des faits à laquelle le préfet s’est livré.
A. Le rejet des moyens de légalité externe et procédurale
Les moyens tirés de l’incompétence, de l’insuffisante motivation et du défaut d’examen particulier sont écartés sans retenir l’attention des juges du fond. La cour constate d’abord que la délégation de signature dont bénéficiait l’auteur de l’acte était régulière et suffisamment précise, rendant le moyen tiré de l’incompétence inopérant. Ensuite, elle juge que la décision attaquée « comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement », ce qui suffit à satisfaire à l’exigence de motivation. Enfin, la cour déduit des termes mêmes de l’arrêté que le préfet « a procédé à un examen particulier de la situation personnelle et familiale » du requérant. Ces rejets successifs témoignent d’une approche pragmatique, où le juge vérifie l’accomplissement des formalités sans imposer un formalisme excessif qui paralyserait l’action administrative. La légalité externe est ainsi appréciée de manière concrète, le juge s’assurant que les garanties essentielles du justiciable ont été respectées. Une fois ces aspects formels purgés, la cour peut se concentrer sur le cœur du litige, à savoir l’appréciation des faits par l’administration.
B. La validation de l’appréciation substantielle de la situation personnelle
Le contrôle de la cour se porte principalement sur l’adéquation de la décision aux faits de l’espèce, au regard des articles 8 de la Convention européenne et L. 435-1 du CESEDA. La cour examine l’ensemble des éléments avancés par le requérant pour établir l’intensité de ses liens privés et familiaux en France. Elle retient cependant que la durée de séjour de l’intéressé, d’environ deux ans à la date de l’arrêté, est limitée. Elle minimise également la portée de sa vie de couple en relevant que la vie commune n’est justifiée que « depuis une période très récente ». Concernant son implication auprès de la fille handicapée de sa compagne, la cour note que l’enfant est prise en charge en internat la majeure partie du temps, réduisant d’autant le rôle de l’étranger. Enfin, l’existence d’attaches familiales dans son pays d’origine, où « la cellule familiale peut être reconstituée », est un facteur déterminant. En validant ce raisonnement, la cour confirme que le préfet dispose d’une large marge d’appréciation pour évaluer une situation personnelle dans sa globalité, le juge n’intervenant que pour sanctionner les erreurs les plus flagrantes.
Si la solution s’inscrit dans une logique de déférence envers l’autorité préfectorale, elle n’en interroge pas moins sur l’intensité réelle du contrôle et l’interprétation des garanties offertes au justiciable.
II. La portée limitée d’un contrôle juridictionnel restreint
L’arrêt met en lumière la prédominance de certains critères objectifs dans l’appréciation de l’intégration, tout en consacrant un contrôle juridictionnel limité à l’erreur manifeste, ce qui en fait une décision d’espèce.
A. Une interprétation restrictive des critères de la vie privée et familiale
L’analyse de la cour révèle une approche quantitative de la vie privée et familiale. La brièveté du séjour et de la vie commune est mise en exergue, tandis que les aspects qualitatifs de la relation, comme le soutien apporté à un enfant en situation de handicap, sont relativisés. Cette méthode d’appréciation, fondée sur des éléments objectifs et mesurables, offre une sécurité juridique à l’administration mais peut apparaître réductrice au regard de la complexité des situations humaines. En jugeant que les liens de l’intéressé en France n’étaient pas suffisamment anciens et stables, la cour s’aligne sur une jurisprudence constante qui fait de l’ancienneté de la présence sur le territoire un critère prépondérant. Une telle approche confirme que l’ingérence dans la vie privée et familiale est considérée comme proportionnée dès lors que l’étranger ne peut justifier d’un ancrage durable et incontestable en France. L’équilibre à opérer entre le droit de l’étranger au respect de sa vie privée et les objectifs de maîtrise des flux migratoires penche ici nettement en faveur de ces derniers.
B. La confirmation du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation comme une limite à l’office du juge
En refusant de sanctionner la décision préfectorale, la cour rappelle implicitement la nature de son office en la matière. Le juge administratif n’est pas un administrateur ; il ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet. Son rôle se cantonne à vérifier que la décision prise n’est pas manifestement disproportionnée au regard des faits de la cause et des intérêts en présence. Le standard du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation constitue ainsi une garantie contre l’arbitraire, mais non une remise en cause du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Dans le cas présent, la situation du requérant n’était pas suffisamment consolidée pour que le refus de séjour apparaisse comme une aberration. Cet arrêt est donc une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits. Il ne marque aucune inflexion jurisprudentielle mais confirme que, en l’absence de circonstances humanitaires particulièrement fortes ou de liens exceptionnels avec la France, le juge administratif est peu enclin à censurer les décisions de refus de séjour fondées sur une appréciation plausible, même si sévère, de la situation de l’étranger.