Par un arrêt en date du 30 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision ministérielle ajournant une demande de naturalisation en raison du comportement d’une postulante. En l’espèce, une ressortissante étrangère avait sollicité l’acquisition de la nationalité française. L’autorité préfectorale, puis le ministre de l’Intérieur, ont ajourné sa demande pour une durée de deux ans. Cette décision se fondait sur une procédure engagée à son encontre pour l’usage de fausses plaques d’immatriculation sur un véhicule. Cette procédure avait toutefois fait l’objet d’un classement sans suite par le procureur de la République, au motif que l’intéressée s’était mise en conformité avec la loi.
La postulante a contesté la décision ministérielle devant le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 7 mai 2024. Elle a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la décision était entachée d’une erreur de fait, la matérialité des faits lui étant reprochés n’étant pas établie. Elle arguait en outre de l’effacement de ces faits de ses antécédents judiciaires et de l’absence de toute mention sur son casier judiciaire. Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si l’administration peut légalement fonder une décision d’ajournement de naturalisation sur des faits, dont la matérialité est considérée comme établie par un classement sans suite, alors même que ces faits n’ont donné lieu à aucune condamnation pénale et ont été effacés des fichiers d’antécédents judiciaires.
La cour administrative d’appel de Nantes répond par l’affirmative. Elle juge que la matérialité des faits « doit être regardée comme établie par le motif du classement intervenu ». Par conséquent, elle estime que le ministre, eu égard à son large pouvoir d’appréciation en la matière, n’a commis ni erreur de fait, ni erreur manifeste d’appréciation en ajournant la demande. Il conviendra d’analyser la portée que la juridiction administrative confère aux faits non sanctionnés pénalement dans l’appréciation du comportement du postulant (I), avant d’examiner la confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de naturalisation (II).
I. La consécration de la matérialité des faits en dépit de l’absence de sanction pénale
L’arrêt établit que l’administration peut se fonder sur des éléments factuels concrets, même en l’absence de toute conséquence judiciaire, en interprétant la motivation d’une décision de classement (A) et en neutralisant la portée de l’effacement des antécédents de la postulante (B).
A. L’interprétation du classement sans suite comme élément de preuve
La cour administrative d’appel opère une lecture rigoureuse de la décision du procureur de la République. Elle ne retient pas l’absence de poursuites comme une preuve d’inexistence des faits mais s’attache à la motivation de ce classement. Le juge administratif relève en effet que le classement était fondé sur le fait que « l’intéressée, désignée expressément comme « auteur des faits » en cause, s’était mise en conformité avec la loi ». C’est ce motif précis qui permet à la cour de considérer que la matérialité des faits reprochés est établie.
Ainsi, une décision de classement sans suite, loin de signifier une absence de fondement aux poursuites, peut au contraire servir de support factuel à une décision administrative défavorable. La juridiction administrative confère une autonomie à son appréciation des faits, indépendamment de leur qualification ou de leur traitement sur le plan pénal. La décision de ne pas poursuivre n’emporte pas effacement de la réalité des agissements, laquelle demeure un élément pertinent pour l’autorité administrative.
B. L’indifférence du statut judiciaire postérieur des faits
La requérante faisait valoir que la procédure avait été effacée du fichier de traitement des antécédents judiciaires et que son casier judiciaire ne portait aucune mention. La cour écarte ces arguments en jugeant que ces circonstances « demeurent à cet égard sans incidence ». Cette position souligne une distinction fondamentale entre la finalité du casier judiciaire ou des fichiers d’antécédents et l’appréciation portée par l’administration dans le cadre d’une demande de naturalisation.
L’acquisition de la nationalité française n’est pas un droit mais une décision de l’autorité publique qui apprécie l’opportunité d’une telle mesure. Dans ce cadre, l’administration n’est pas liée par la seule existence d’une condamnation pénale. Elle peut légalement prendre en compte le comportement général d’un individu, y compris des faits qui, pour diverses raisons, n’ont pas fait l’objet d’une sanction. L’arrêt confirme que l’appréciation administrative se situe sur un autre plan que celui de la justice pénale, celui de la loyauté et de l’intégration du postulant.
En validant la prise en compte de ces faits, la cour confirme par la même occasion la très grande latitude dont jouit l’administration pour évaluer le mérite d’une candidature à la nationalité française.
II. La réaffirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de naturalisation
Cette décision illustre le caractère éminemment discrétionnaire de la décision de naturalisation, fondée sur une appréciation d’opportunité (A) qui ne fait l’objet que d’un contrôle juridictionnel restreint (B).
A. L’appréciation de l’opportunité au cœur du processus de naturalisation
L’article 21-15 du code civil et l’article 48 du décret du 30 décembre 1993 confèrent au ministre chargé des naturalisations un pouvoir d’appréciation sur l’intérêt d’accorder la nationalité française. L’arrêt rappelle qu’en vertu de ces textes, le ministre peut prononcer l’ajournement d’une demande « en imposant un délai ou des conditions ». Cette faculté d’ajournement est l’une des expressions de ce pouvoir d’appréciation de l’opportunité d’une mesure de naturalisation.
En l’espèce, le ministre a estimé que les faits d’usage de fausses plaques, bien que n’ayant pas conduit à une condamnation, révélaient un comportement qui justifiait de différer l’octroi de la nationalité. Le juge administratif ne remet pas en cause cette appréciation. Il se borne à vérifier que celle-ci repose sur des faits matériellement exacts et n’est pas entachée d’une erreur manifeste, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
B. Un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation
La conséquence directe du large pouvoir d’appréciation de l’administration est l’intensité limitée du contrôle exercé par le juge administratif. Celui-ci ne substitue pas sa propre appréciation à celle du ministre. Il se contente de sanctionner l’erreur de fait, l’erreur de droit et l’erreur manifeste d’appréciation. Une fois la matérialité des faits établie, la requérante ne pouvait plus obtenir l’annulation de la décision qu’en démontrant que la sanction de l’ajournement était manifestement disproportionnée au regard des faits reprochés.
En jugeant que le ministre « n’a pas non plus (…) commis d’erreur manifeste d’appréciation », la cour confirme que le choix d’ajourner une demande pour une durée de deux ans, face à des faits de fraude documentaire, entre dans le champ de l’appréciation laissée à l’administration. La solution retenue est donc une application classique de la jurisprudence relative au contrôle restreint du juge sur les décisions de naturalisation, réaffirmant que seuls les manquements les plus graves peuvent conduire à une censure juridictionnelle.