Par une ordonnance en date du 30 septembre 2025, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la demande de suspension de l’exécution d’une décision refusant l’octroi de visas de long séjour au titre de l’asile.
En l’espèce, une famille de ressortissants afghans résidant en Iran a sollicité des visas auprès des autorités consulaires françaises pour venir en France y demander l’asile. Cette demande se fondait notamment sur la collaboration passée de l’un des membres de la famille avec l’armée française et sur les risques encourus en cas de retour en Afghanistan. Face au refus implicite des autorités consulaires, les intéressés ont saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, laquelle a confirmé ce rejet par une décision du 21 août 2024. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande par un jugement du 3 mars 2025. Les requérants ont alors interjeté appel et ont, parallèlement, saisi le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes d’une demande de suspension de la décision de la commission, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Ils soutenaient que la condition d’urgence était satisfaite en raison de leur situation précaire en Iran, de l’expiration de leurs titres de séjour dans ce pays et du risque d’expulsion vers l’Afghanistan où leur vie serait menacée.
Il appartenait ainsi au juge des référés de déterminer si la précarité du séjour dans un pays tiers, couplée à un risque d’expulsion non encore matérialisé, suffisait à caractériser la condition d’urgence exigée pour la suspension d’un acte administratif.
À cette question, le juge des référés a répondu par la négative. Il a considéré que la condition d’urgence n’était pas remplie, dès lors que les requérants ne fournissaient pas la preuve d’actes préparatoires à un éloignement imminent de la part des autorités iraniennes. Par conséquent, il a rejeté la demande de suspension sans examiner l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Cette décision illustre l’application rigoureuse du critère d’urgence en matière de référé-suspension (I), ce qui conduit à interroger la portée de la protection offerte aux demandeurs d’asile se trouvant hors du territoire national (II).
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I. Une application rigoureuse de la condition d’urgence
Le juge des référés, pour rejeter la demande de suspension, s’est fondé sur une appréciation stricte de la condition d’urgence posée par le code de justice administrative. Il a ainsi exigé la démonstration d’un préjudice imminent et certain (A), considérant que la simple précarité administrative et les risques potentiels encourus étaient insuffisants à la caractériser (B).
A. L’exigence d’une atteinte grave et immédiate matérialisée
Le référé-suspension prévu à l’article L. 521-1 du code de justice administrative subordonne la suspension d’une décision administrative à une double condition cumulative : l’urgence et l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. L’urgence est traditionnellement entendue par le juge administratif comme une situation où l’exécution de l’acte contesté porterait une atteinte suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.
Dans la présente ordonnance, le juge des référés applique cette définition avec une rigueur particulière. Il retient en effet que, pour justifier de l’urgence, les requérants ne peuvent se contenter d’invoquer des risques généraux. Il relève que, malgré leurs allégations, « ils ne font état d’aucun acte juridique ou matériel manifestant une volonté des autorités iraniennes de leur refuser une prolongation de leur séjour en Iran et de procéder à court terme à un éloignement vers leur pays d’origine ». Cette approche exige donc une preuve tangible de l’imminence du péril, qui ne saurait se déduire de la seule situation de vulnérabilité des demandeurs.
B. L’insuffisance d’un risque potentiel et d’une situation de précarité
En conséquence de cette exigence probatoire, le juge écarte les autres éléments avancés par la famille. La précarité de leurs conditions de vie en Iran, le « climat d’hostilité croissante à l’égard des ressortissants afghans » ou l’absence de protection par les instances internationales sur place ne sont pas jugés suffisants pour constituer l’urgence. L’ordonnance distingue ainsi le risque latent d’une expulsion du risque avéré et imminent.
Le fait que les visas iraniens des requérants soient expirés depuis près d’une année ne suffit pas à emporter la conviction du juge, qui note que ces titres ont été « délivrés et renouvelés à plusieurs reprises depuis le mois de décembre 2022 ». Cette observation suggère que, en l’absence de mesure formelle de refus de renouvellement ou d’obligation de quitter le territoire iranien, la menace demeure hypothétique aux yeux du juge. Cette analyse pragmatique, centrée sur les actes formels, circonscrit fortement la notion d’urgence et place le demandeur face à une charge probatoire élevée.
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II. La portée limitée de la protection juridictionnelle préventive
Cette interprétation restrictive de la condition d’urgence n’est pas sans conséquence sur l’effectivité du droit au recours pour les demandeurs d’asile. Elle révèle une conception limitée de l’office du juge des référés en matière de visas (A) et confirme le caractère exceptionnel de la suspension d’un refus de visa diplomatique (B).
A. Une conception restrictive de l’office du juge des référés
En exigeant la preuve quasi formelle d’une procédure d’éloignement, le juge des référés adopte une posture prudente qui peut être questionnée au regard de la nature des droits en cause. Les requérants invoquaient un risque pour leur vie et leur sécurité, en lien avec les articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, attendre la matérialisation d’un tel risque par un acte administratif pour caractériser l’urgence peut priver la mesure de suspension de son effet utile.
Cette décision soulève ainsi la question de l’équilibre entre la souveraineté de l’État en matière de contrôle des entrées sur son territoire et la protection des droits fondamentaux. En se concentrant sur la situation objective en Iran plutôt que sur les risques encourus en Afghanistan, le juge semble se refuser à anticiper les conséquences d’un éventuel retour forcé. Une telle approche, si elle est juridiquement fondée sur une lecture littérale des textes, conduit à n’offrir qu’une protection a posteriori, une fois le dommage sur le point de se réaliser.
B. La confirmation du caractère exceptionnel de la suspension d’un refus de visa
La solution retenue par l’ordonnance du 30 septembre 2025 s’inscrit dans une jurisprudence constante qui fait de la suspension d’un refus de visa une mesure rare. Le Conseil d’État considère en effet que la décision de refuser un visa, si elle est susceptible de causer des troubles importants, ne crée pas, par elle-même, une situation d’urgence au sens du référé-suspension. Le demandeur doit apporter la preuve de circonstances particulières qui rendent sa situation plus urgente que celle de tout autre demandeur de visa.
Cette décision d’espèce confirme que, même dans le contexte d’une demande d’asile, la démonstration de cette urgence demeure ardue. Elle rappelle que le référé-suspension n’est pas une voie de recours destinée à pallier les difficultés inhérentes à la situation des exilés dans des pays de transit. Faute de pouvoir prouver un danger immédiat, les requérants se voient privés d’une protection préventive, le juge estimant que le jugement au fond de leur requête en annulation reste la voie de droit appropriée. La portée de cette protection apparaît ainsi singulièrement limitée pour les personnes dont la vulnérabilité est pourtant le fondement même de leur démarche.