Cour d’appel administrative de Nantes, le 31 janvier 2025, n°23NT01901

Par une décision en date du 31 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de la réunification familiale au profit de l’enfant d’une personne bénéficiant du statut de réfugié. En l’espèce, une ressortissante étrangère, reconnue réfugiée en France, a sollicité la délivrance d’un visa de long séjour pour son enfant mineur demeuré dans son pays d’origine, afin qu’il puisse la rejoindre. Les autorités consulaires françaises ont rejeté cette demande, une position confirmée par une décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France. Saisi d’un recours en annulation contre cette dernière décision, le tribunal administratif compétent a rejeté la requête. La mère de l’enfant a alors interjeté appel de ce jugement. Le refus de l’administration reposait principalement sur deux motifs : d’une part, le lien de filiation entre la requérante et l’enfant n’était pas considéré comme établi et, d’autre part, la preuve du décès du père de l’enfant, condition nécessaire à l’exercice exclusif de l’autorité parentale par la mère, n’était pas rapportée. Il revenait donc au juge d’appel de déterminer si des doutes sur la cohérence de certains éléments factuels suffisaient à écarter la force probante de jugements supplétifs étrangers établissant l’état civil d’une personne dans le cadre d’une demande de réunification familiale. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que l’administration ne peut remettre en cause de tels actes judiciaires en l’absence de preuve d’un caractère frauduleux. Par conséquent, elle annule le jugement de première instance ainsi que la décision de la commission et enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité.

Cette solution réaffirme avec force la primauté des actes judiciaires étrangers en matière d’état des personnes (I), consacrant ainsi une approche protectrice du droit à la réunification familiale des réfugiés (II).

I. La primauté réaffirmée des décisions judiciaires étrangères en matière d’état civil

La cour administrative d’appel rappelle que l’administration ne peut contester la valeur des actes d’état civil étrangers que de manière circonstanciée, en particulier lorsqu’ils prennent la forme d’un jugement. Elle applique ce principe tant à l’établissement du lien de filiation, qui reposait sur un jugement supplétif non critiqué (A), qu’à la preuve du décès du père, pour laquelle les doutes de l’administration ont été jugés insuffisants pour caractériser une fraude (B).

A. L’autorité attachée au jugement supplétif établissant la filiation

La demande de réunification familiale, régie par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, impose au demandeur de justifier de son identité et des liens familiaux avec le réfugié. En l’espèce, la requérante produisait un jugement supplétif d’un tribunal de première instance étranger, ainsi que sa transcription sur les registres d’état civil, pour établir la naissance de son enfant et sa filiation à son égard. Or, le juge d’appel relève que ce document n’a fait l’objet d’aucune critique précise de la part de l’administration quant à son authenticité ou sa régularité formelle.

Dans ces conditions, la cour estime qu’en écartant ce jugement, l’administration a commis une erreur manifeste. Elle applique la règle selon laquelle un acte judiciaire étranger doit être tenu pour probant, sauf si sa fausseté est démontrée. Le fait que l’administration se soit abstenue de contester la validité même du document la privait de la possibilité de remettre en cause les faits qu’il atteste. La cour souligne ainsi que « le jugement supplétif ne fait l’objet d’aucune critique par l’administration », ce qui suffisait à rendre illégal le premier motif de refus.

B. L’insuffisance des doutes administratifs à remettre en cause le jugement de décès

Le second motif de refus tenait à l’absence de preuve du décès du père de l’enfant, condition requise pour que la mère puisse exercer seule l’autorité parentale. Pour en justifier, la requérante produisait pour la première fois en appel un jugement supplétif d’acte de décès. L’administration émettait des doutes sur sa fiabilité, en relevant une incohérence apparente : le père, déclaré décédé en 2017, semblait avoir personnellement requis l’établissement du jugement de naissance de son fils en 2019.

Toutefois, la cour examine avec soin l’explication fournie par la requérante, qui soutenait, pièces à l’appui, qu’il s’agissait d’un homonyme. Le juge considère cette explication plausible et non contredite par l’administration. Il écarte également l’argument tiré d’une déclaration antérieure de la mère sur la date du décès, jugeant qu’une telle imprécision ne suffit pas à elle seule à démontrer le caractère fallacieux du jugement. La cour conclut que « la seule circonstance […] n’est pas, à elle seule, de nature à établir que le jugement supplétif d’acte de décès […] présenterait un caractère frauduleux ». Ce faisant, elle fixe un seuil exigeant pour l’administration, qui ne peut se fonder sur de simples suspicions pour écarter un acte judiciaire étranger, mais doit apporter des éléments concrets étayant une fraude.

En contrôlant de manière si rigoureuse l’appréciation des preuves par l’administration, la cour ne se limite pas à une application technique du droit, mais renforce la protection d’un droit fondamental.

II. La consécration d’une approche protectrice du droit à la réunification familiale

Cette décision illustre la volonté du juge administratif de garantir l’effectivité du droit à la réunification familiale spécifique aux réfugiés, en encadrant strictement le pouvoir d’appréciation de l’administration. Cette démarche se manifeste par un examen particulièrement attentif des justifications apportées par la requérante (A), ce qui conduit à un renforcement de la portée du droit à la vie familiale pour les personnes protégées (B).

A. L’examen approfondi des éléments en faveur de la demande

Loin de s’en tenir à une lecture littérale des documents, la cour a procédé à une analyse concrète de la situation, en prenant en considération les arguments et les preuves complémentaires fournis par la requérante en appel. En acceptant d’examiner l’explication relative à l’homonymie du père de l’enfant et en la jugeant convaincante, le juge ne se positionne pas comme un simple arbitre des pièces versées au dossier, mais comme un garant des droits de l’administré.

Cette méthode d’analyse démontre que la charge de la preuve d’une fraude documentaire repose entièrement sur l’administration. Une simple incohérence, dès lors qu’elle est justifiée de manière crédible, ne saurait suffire à fonder un refus. En adoptant une telle posture, la cour s’assure que les obstacles administratifs, parfois liés aux difficultés d’obtention de documents fiables dans certains pays, ne vident pas de sa substance le droit à être rejoint par sa famille, qui constitue un élément essentiel de la reconstruction personnelle et sociale des réfugiés.

B. Le renforcement du droit à la vie familiale du réfugié

En annulant la décision de refus de visa et en ordonnant directement sa délivrance, la cour confère sa pleine portée au régime dérogatoire de la réunification familiale applicable aux réfugiés. Ce régime, contrairement au droit commun, n’est pas soumis à des conditions de ressources ou de logement, afin de tenir compte de la vulnérabilité particulière de ces personnes. La décision commentée s’inscrit dans cette logique protectrice en refusant que des doutes non étayés sur l’état civil ne deviennent un obstacle dirimant.

La solution assure ainsi la primauté du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. En sanctionnant une appréciation administrative jugée excessivement suspicieuse, le juge administratif rappelle que la lutte contre la fraude ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à ces droits fondamentaux, particulièrement lorsque la protection internationale a été accordée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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