Par un arrêt en date du 31 janvier 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du refus de délivrance d’un visa de long séjour au conjoint d’une ressortissante française. En l’espèce, un ressortissant géorgien, marié à une citoyenne française, s’était vu opposer un refus de visa par les autorités consulaires, décision confirmée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Ce refus était motivé d’une part par l’existence d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) d’une durée d’un an, et d’autre part par la menace que sa présence représenterait pour l’ordre public, l’intéressé ayant fait l’objet de plusieurs condamnations pénales. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Nantes avait annulé cette décision, estimant que l’IRTF n’était plus en cours d’exécution et que la menace à l’ordre public n’était pas suffisamment caractérisée. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer a alors interjeté appel de ce jugement. Il revenait donc à la cour de déterminer si une interdiction de retour sur le territoire français, dont le point de départ et l’exécution sont contestés, ainsi que le passé pénal du demandeur, pouvaient légalement justifier un refus de visa de long séjour pour un conjoint de français. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance. Elle a jugé que l’interdiction de retour sur le territoire français était bien en vigueur à la date de la décision contestée, ce qui imposait à l’administration de refuser le visa. Elle a par ailleurs considéré que les condamnations pénales de l’intéressé constituaient une menace à l’ordre public.
La décision commentée réaffirme avec force les conditions strictes encadrant l’entrée sur le territoire national, y compris pour les conjoints de ressortissants français. La cour valide une lecture rigoureuse des dispositions relatives à l’exécution de l’interdiction de retour sur le territoire (I), ce qui a pour effet de rendre inopérants les autres moyens soulevés, notamment ceux tirés de la protection de la vie familiale (II).
I. La consolidation des effets de l’interdiction de retour
La cour administrative d’appel a procédé à une analyse méticuleuse des règles régissant l’interdiction de retour sur le territoire français, en précisant d’abord les modalités de computation de son délai (A), pour ensuite en déduire son caractère impératif lorsque la mesure est en cours d’exécution (B).
A. La computation stricte du délai de l’interdiction de retour
Le juge d’appel a infirmé le raisonnement des premiers juges qui avaient considéré que l’interdiction de retour d’un an n’était plus en vigueur. La cour rappelle que le point de départ de cette mesure est la date de l’exécution effective de l’obligation de quitter le territoire. Elle précise que la preuve de cette exécution ne peut résulter d’un simple document administratif préparatoire, mais doit être établie par des éléments probants. En l’espèce, la cour a retenu que « il ressort des pièces du dossier, notamment de son passeport, que M. C… n’a quitté le territoire français, ainsi que le fait valoir le ministre, que le 13 janvier 2022 ». Ce faisant, elle écarte les allégations du requérant qui prétendait avoir quitté le territoire à une date antérieure. De plus, la cour relève que le retour de l’intéressé en France avant l’expiration du délai d’un an a eu pour effet de suspendre l’exécution de cette mesure. En conséquence, « l’interdiction de retour sur le territoire français, partiellement exécutée, continuait de produire ses effets à la date d’édiction, le 8 novembre 2022, de la décision contestée ». Cette interprétation rigoriste du mécanisme de l’IRTF renforce considérablement l’efficacité de cette mesure administrative.
B. Le caractère obligatoire du refus de visa en présence d’une IRTF active
Une fois établie la validité de l’interdiction de retour, la cour en tire une conséquence radicale quant à la marge de manœuvre de l’administration. Elle s’appuie sur les dispositions de l’article L. 213-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui dispose que l’accès au territoire peut être refusé à un étranger faisant l’objet d’une interdiction de retour. La cour en déduit que l’administration n’avait d’autre choix que de rejeter la demande. Elle affirme en des termes clairs que « la commission était tenue, en application des dispositions précitées, de refuser la délivrance du visa demandé ». Cette analyse place l’administration en situation de compétence liée. La présence d’une IRTF en cours d’exécution constitue ainsi un obstacle dirimant à la délivrance du visa, quelle que soit la situation personnelle et familiale du demandeur. La cour valide la position de l’administration et démontre que le non-respect d’une mesure d’éloignement emporte des conséquences automatiques et sévères sur les demandes ultérieures d’entrée sur le territoire.
II. L’appréciation souveraine de l’atteinte à l’ordre public et ses conséquences
Outre le motif tiré de l’IRTF, la cour se penche sur la menace à l’ordre public, confirmant l’appréciation de l’administration (A). Cette double motivation a pour effet de neutraliser la portée des droits fondamentaux invoqués par le requérant (B).
A. La confirmation de la menace à l’ordre public
Bien que le motif lié à l’interdiction de retour fût suffisant pour justifier légalement le refus, la cour examine également le second motif avancé par l’administration. Elle se livre à sa propre appréciation des faits et, contrairement aux premiers juges, estime que la menace à l’ordre public est caractérisée. La cour s’appuie sur le casier judiciaire de l’intéressé, relevant des condamnations pour « vol par ruse », « refus d’obtempérer » et « conduite d’un véhicule sans permis ». Elle souligne « la gravité des faits ainsi commis, ainsi que de leur caractère récent et répété » pour en conclure que « la présence en France de M. C… doit être regardée comme présentant, à la date de la décision contestée, une menace pour l’ordre public ». Cette appréciation souveraine des faits par le juge d’appel vient conforter la position de l’administration et illustre le contrôle concret qu’il opère sur la notion d’ordre public, en particulier lorsque le parcours pénal d’un individu est jalonné d’infractions de nature diverse. Le visa de long séjour, même pour un conjoint de Français, n’est donc pas un droit absolu et demeure subordonné à l’absence de menace pour la sécurité et la tranquillité publiques.
B. L’éviction du droit au respect de la vie familiale normale
La conséquence la plus notable de ce raisonnement est la mise à l’écart des arguments fondés sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Le requérant invoquait les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cependant, la cour considère cet argument inopérant. Dès lors que la commission était en situation de compétence liée en raison de l’IRTF en vigueur, l’examen des autres conditions, et notamment la mise en balance des intérêts, devenait sans objet. La cour l’exprime sans ambiguïté : « Les requérants ne peuvent, dès lors, utilement soutenir que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’arrêt illustre ainsi une hiérarchie claire entre, d’une part, le respect par l’étranger des mesures administratives qui lui sont imposées et, d’autre part, son droit à mener une vie familiale. La transgression de la loi sur le séjour anéantit la possibilité d’invoquer utilement un droit fondamental qui, en d’autres circonstances, aurait nécessité un contrôle de proportionnalité approfondi de la part du juge.