Cour d’appel administrative de Nantes, le 4 avril 2025, n°23NT01176

Par un arrêt en date du 4 avril 2025, la Cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’obtention d’un visa de long séjour au titre de la réunification familiale pour le conjoint d’une personne réfugiée. En l’espèce, une ressortissante syrienne s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée en 2015. Son conjoint, de même nationalité, a sollicité un visa de long séjour pour la rejoindre, ce qui lui a été refusé par les autorités consulaires françaises en Égypte le 25 avril 2021, décision confirmée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France le 6 octobre 2021. La commission a justifié son refus par le fait que l’enregistrement du mariage des intéressés était postérieur à la date d’introduction de la demande d’asile par l’épouse, ne remplissant ainsi pas la condition d’antériorité posée par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Saisis par les requérants, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 5 décembre 2022, a rejeté leur demande d’annulation. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision portait une atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale.

La question de droit posée à la Cour administrative d’appel était donc de savoir si le refus de délivrer un visa de réunification familiale, fondé sur la postériorité de l’enregistrement officiel du mariage par rapport à la demande d’asile, constitue une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lorsque l’existence d’une relation stable et continue antérieure à cette demande est démontrée par un ensemble d’éléments probants.

À cette question, la cour répond par l’affirmative. Elle juge qu’en l’occurrence, malgré la date de l’enregistrement formel du mariage, les nombreux éléments versés au dossier établissent sans équivoque la réalité et l’ancienneté de la vie commune des requérants. Par conséquent, elle estime qu’en refusant le visa, l’administration a porté « au droit [des requérants] au respect de leur vie privée et familiale une atteinte excessive aux buts en vue desquels elle a été prise ». La cour annule donc le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision de la commission de recours.

Il convient d’analyser la manière dont le juge administratif privilégie une approche concrète de la vie familiale au détriment d’une application littérale du droit à la réunification (I), avant d’étudier la portée de ce contrôle de proportionnalité dans la protection des liens familiaux préexistants (II).

***

I. Le dépassement d’une application littérale des conditions de la réunification familiale

La cour opère une distinction nette entre l’application stricte des textes nationaux régissant la réunification familiale et le contrôle de conventionnalité qu’elle se doit d’exercer. Elle écarte ainsi une lecture formaliste des conditions légales (A) pour faire prévaloir une analyse concrète de la situation au regard des garanties offertes par la Convention européenne des droits de l’homme (B).

A. L’écart de la condition légale d’antériorité du mariage

Le droit à la réunification familiale du réfugié est précisément encadré par l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte subordonne le droit à être rejoint par son conjoint au fait que « le mariage ou l’union civile est antérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile ». C’est sur ce seul fondement que la commission de recours a justifié sa décision, relevant que le mariage religieux des intéressés avait été « enregistré le 23/06/2019 par le tribunal musulman d’Al-Qutayfah, postérieurement à la date d’introduction de la demande d’asile ». Le tribunal administratif de Nantes, en première instance, avait validé cette analyse purement légaliste, s’en tenant à la date de la formalisation de l’union pour rejeter la demande.

Cette approche, si elle est conforme à la lettre du texte, ignore cependant la complexité des parcours migratoires et les difficultés que peuvent rencontrer des personnes fuyant leur pays pour faire reconnaître officiellement leur situation personnelle. La cour, sans contester la légalité de la disposition en elle-même, choisit de ne pas en faire le seul critère d’appréciation de la demande. Elle déplace le centre de gravité de son analyse du terrain de la légalité interne vers celui du contrôle de conventionnalité.

B. La primauté d’un contrôle de conventionnalité in concreto

Face au raisonnement de l’administration, la cour choisit d’examiner la décision au prisme de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle ne se demande pas si la décision respecte la loi française, mais si, dans les faits de l’espèce, elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à un droit fondamental. C’est la méthode du contrôle de proportionnalité *in concreto*, qui consiste à évaluer les effets d’une mesure sur la situation particulière d’un individu plutôt qu’à en juger la conformité abstraite à la loi.

En procédant de la sorte, le juge administratif rappelle que le respect des conditions posées par le droit national ne suffit pas à immuniser une décision administrative contre la censure. L’administration reste tenue de s’assurer que ses décisions ne violent pas les engagements internationaux de la France, notamment en matière de droits fondamentaux. La cour met ainsi en balance l’objectif de maîtrise des flux migratoires poursuivi par la condition d’antériorité et le droit des individus au respect de leur vie familiale. La décision de la cour illustre que ce droit peut et doit prévaloir lorsque la réalité du lien familial est solidement établie, même si les critères formels ne sont pas remplis.

***

II. La consécration d’une appréciation souveraine de la réalité du lien familial

En s’appuyant sur un faisceau d’indices, la cour démontre sa volonté de rechercher la vérité matérielle de la relation des requérants (A), ce qui renforce significativement la protection accordée à la vie familiale face aux exigences procédurales (B).

A. La force probante d’un faisceau d’indices concordants

Pour fonder sa décision, la cour se livre à une analyse méticuleuse des pièces du dossier, qui, prises dans leur ensemble, attestent de la continuité et de la stabilité de la relation. Elle relève ainsi que les requérants ont quitté la Syrie ensemble, ont tous deux demandé l’asile en Égypte, et y ont célébré un mariage religieux dès 2014, matérialisé par un contrat dont la validité n’est pas contestée. Elle prend également en compte les démarches ultérieures entreprises pour obtenir une reconnaissance civile de leur union en France, bien que celles-ci aient été entravées par un premier refus de visa.

Le jugement du tribunal musulman validant le mariage religieux, les attestations de proches, les photographies et les communications numériques constituent autant de preuves qui, combinées, emportent la conviction du juge. La cour souligne que « l’ensemble de ces éléments » permet d’établir la réalité du lien. Cette méthode du faisceau d’indices confère au juge un pouvoir d’appréciation souverain pour reconstituer une réalité factuelle que la simple application d’une règle de droit formelle aurait occultée. Le juge ne se contente pas d’un seul document, mais apprécie une situation globale.

B. La portée de la décision pour la protection de la vie familiale

Cet arrêt, s’il constitue avant tout une décision d’espèce reposant sur une analyse factuelle détaillée, n’en est pas moins porteur d’une signification importante. Il rappelle à l’administration que le droit à la réunification familiale des réfugiés ne saurait être examiné sous un angle purement bureaucratique. La protection due à la vie familiale, particulièrement pour des personnes ayant obtenu une protection internationale, impose un examen attentif et humain de chaque situation individuelle. La déclaration initiale de célibat faite à l’OFPRA, souvent avancée par l’administration pour contester la sincérité des liens, est ici relativisée au regard de la masse des preuves contraires.

La décision ne remet pas en cause le principe de la condition d’antériorité posé par la loi, mais elle en limite la portée en le soumettant à un contrôle de proportionnalité rigoureux au regard de l’article 8 de la Convention européenne. Elle envoie un signal clair : lorsque la preuve d’une vie commune stable et continue est apportée, un refus fondé sur un formalisme excessif est susceptible de constituer une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale. La solution adoptée par la cour s’inscrit ainsi dans une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux, qui fait prévaloir la substance des liens personnels sur la rigueur des exigences administratives.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture