Par un arrêt du 4 avril 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du refus de délivrance d’un visa de long séjour à un ressortissant étranger, conjoint d’une citoyenne française. En l’espèce, une autorité consulaire avait rejeté une demande de visa au motif d’une suspicion de fraude, considérant que le mariage avait été conclu dans un but étranger à l’union matrimoniale. Saisie d’un recours préalable obligatoire, la commission compétente avait implicitement confirmé ce refus. Le requérant avait alors saisi le tribunal administratif de Nantes, lequel avait annulé la décision de la commission et enjoint à l’administration de délivrer le visa sollicité. Le ministre de l’intérieur a interjeté appel de ce jugement. Devant la cour, le requérant, bien que mis en demeure de présenter ses observations en défense, n’a produit aucun mémoire. Le problème de droit soulevé par cette affaire est double. Il s’agit d’une part de déterminer les conséquences procédurales du silence gardé par une partie intimée après une mise en demeure et, d’autre part, de savoir si cette abstention peut suffire à considérer comme établie la fraude au mariage alléguée par l’administration. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle juge que l’absence de réponse à la mise en demeure emporte un acquiescement aux faits exposés par le ministre. Par conséquent, la fraude matrimoniale, fondée sur l’absence de communauté de vie, est réputée établie, ce qui justifie légalement le refus de visa. La cour annule donc le jugement de première instance et rejette la demande du requérant.
La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une application stricte des règles de procédure contentieuse, dont les effets déterminent l’issue du litige sur le fond. Ainsi, la décision consacre la portée d’une présomption procédurale dont découle la preuve de la fraude (I), ce qui conduit à une neutralisation des droits normalement attachés à la qualité de conjoint de Français (II).
I. L’acquiescement procédural comme preuve de la fraude
La cour fonde sa décision sur un mécanisme procédural précis, la mise en demeure, dont elle tire une conséquence radicale quant à l’établissement des faits. Elle applique rigoureusement la présomption d’acquiescement (A), ce qui limite l’office du juge à une simple vérification formelle (B).
A. La portée de la présomption d’acquiescement en cas de silence
Le juge administratif rappelle le cadre juridique défini par le code de justice administrative, qui permet d’adresser une mise en demeure à une partie n’ayant pas produit de mémoire en défense. En l’absence de production dans le délai imparti, l’article R. 612-6 du code dispose que la partie défaillante « est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ». L’arrêt met en évidence que l’usage de cette procédure n’est pas une obligation pour le juge, mais un choix dont il doit assumer toutes les conséquences juridiques. En l’espèce, la cour a notifié à l’intéressé une mise en demeure qui précisait explicitement le risque encouru en cas de silence.
Face à l’absence de toute observation de la part de l’intimé, la cour applique sans réserve la présomption qui en découle. Les allégations du ministre, selon lesquelles les époux n’ont entretenu aucune communauté de vie, sont alors considérées comme des faits avérés. Cette approche confère une efficacité particulière à la procédure écrite et souligne le caractère contraignant de la participation des parties au débat contentieux. Le silence n’est pas interprété comme une simple abstention, mais bien comme une reconnaissance implicite des faits présentés par l’adversaire, transformant une allégation en vérité procédurale.
B. Un contrôle judiciaire limité à l’absence d’inexactitude manifeste
Une fois la présomption d’acquiescement aux faits établie, le rôle du juge s’en trouve considérablement restreint. La cour précise qu’il lui appartient seulement de « vérifier que l’inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d’aucune pièce du dossier ». Le contrôle ne porte donc plus sur la réalité intrinsèque des faits ou sur l’administration de la preuve par la partie qui allègue, mais sur la cohérence du dossier existant. L’office du juge devient passif ; il ne recherche pas la vérité matérielle mais se contente de constater l’absence de contradiction évidente.
Dans cette affaire, aucun document versé au dossier, que ce soit en première instance ou en appel, ne venait contredire l’affirmation du ministre quant à l’absence de communauté de vie. En conséquence, le juge considère que la charge de la preuve pesant sur l’administration est remplie par le simple effet de la défaillance procédurale de l’adversaire. La fraude au mariage est ainsi consacrée non par des éléments de preuve positifs apportés par l’administration, mais par l’absence de contestation de l’intéressé. Cette solution, bien que rigoureuse, illustre la logique du contentieux administratif, où la collaboration des parties est essentielle à la manifestation de la vérité.
II. La neutralisation du droit au séjour du conjoint de Français
La reconnaissance de la fraude par le biais d’une présomption procédurale a des conséquences substantielles directes, puisqu’elle anéantit les protections légales dont bénéficie normalement le conjoint d’un ressortissant français. Le caractère frauduleux du mariage fait ainsi obstacle à la délivrance de plein droit du visa (A) et prive le requérant de la possibilité d’invoquer le droit au respect de sa vie privée et familiale (B).
A. L’exception de fraude paralysant le visa de plein droit
L’article L. 312-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile institue un principe de délivrance de plein droit du visa de long séjour au conjoint d’un ressortissant français. Ce droit n’est cependant pas absolu et peut être écarté dans des cas limitativement énumérés, notamment la fraude. La cour rappelle que pour faire obstacle à ce droit, il appartient à l’administration d’établir l’existence de cette fraude. En l’espèce, le juge considère que la preuve est rapportée.
Le raisonnement est implacable : puisque le requérant est réputé avoir acquiescé à l’absence de communauté de vie, l’intention matrimoniale fait défaut. Dès lors, « le ministre de l’intérieur doit être regardé comme établissant le caractère frauduleux de ce mariage ». La cour en déduit que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que la commission de recours avait fait une inexacte application des dispositions légales. La fraude, une fois établie par le jeu de la procédure, justifie légalement le refus de visa et fait perdre au demandeur le bénéfice du régime de faveur attaché à son statut matrimonial. L’arrêt confirme ainsi que la protection du mariage franco-étranger cède face à la démonstration d’un détournement de l’institution.
B. L’inoppérabilité du droit au respect de la vie privée et familiale
Enfin, la cour examine les autres moyens soulevés en première instance par le requérant, conformément à l’effet dévolutif de l’appel. Parmi ceux-ci figurait une violation alléguée de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le requérant soutenait que le refus de visa portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
La cour écarte ce moyen de manière lapidaire mais logique. Ayant conclu au caractère frauduleux du mariage, elle juge que le demandeur « n’est pas fondé à se prévaloir de ce lien matrimonial pour soutenir que la décision contestée aurait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cette position est constante en jurisprudence : une union contractée à des fins étrangères à la vie familiale ne saurait constituer le fondement d’une protection au titre du droit à la vie familiale. La fraude vicie le lien matrimonial à la racine, le rendant impropre à créer des droits invocables devant le juge. L’arrêt illustre ainsi parfaitement comment une défaillance procédurale peut entraîner des conséquences en cascade, anéantissant non seulement les droits spécifiques prévus par le droit des étrangers, mais également les garanties fondamentales fondées sur un lien matrimonial jugé inexistant dans son intention.