Un réfugié a sollicité l’annulation d’une décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, qui confirmait le refus des autorités consulaires de délivrer des visas de long séjour à ses deux enfants au titre de la réunification familiale. Cette demande a été initialement rejetée par le tribunal administratif de Nantes par un jugement en date du 29 septembre 2023. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le lien de filiation était établi et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit à la vie familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur de l’enfant. Il contestait le motif de tentative de fraude retenu par l’administration et demandait, à titre subsidiaire, une expertise biologique pour prouver sa paternité. Le problème de droit soulevé par cette affaire concernait la question de savoir si l’administration pouvait légalement refuser des visas de réunification familiale en se fondant sur une simple suspicion de fraude, non étayée par des éléments concrets, face à la production d’actes d’état civil et de décisions de justice étrangères apparemment réguliers. La cour administrative d’appel a annulé le jugement de première instance ainsi que la décision de la commission de recours. Elle a jugé que l’administration n’établissait pas le caractère frauduleux des documents produits pour prouver la filiation et que le requérant justifiait détenir l’autorité parentale en vertu d’une décision de justice. En conséquence, la cour a enjoint au ministre de l’intérieur de délivrer les visas sollicités.
La décision commentée illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge administratif sur l’appréciation par l’administration des preuves de filiation et d’autorité parentale dans le cadre de la réunification familiale des réfugiés. Elle réaffirme que la charge de la preuve de la fraude documentaire incombe à l’administration, qui ne peut se contenter d’allégations générales. Ainsi, la cour renforce la présomption de validité des documents d’état civil étrangers (I), tout en assurant l’effectivité du droit à la réunification familiale par un contrôle strict de la légalité de la décision administrative (II).
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I. La consolidation de la présomption de validité des documents d’état civil étrangers
La cour administrative d’appel censure la décision de l’administration en rappelant que la suspicion de fraude ne peut suffire à écarter des documents d’état civil étrangers. Elle impose à l’administration de prouver le caractère frauduleux des actes produits (A) et juge insuffisant le simple motif tiré d’une tentative de fraude non circonstanciée (B).
A. L’exigence d’une preuve de la fraude incombant à l’administration
L’administration avait fondé son refus sur une « tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale ». Pour autant, le juge administratif relève que le requérant a produit des jugements supplétifs d’actes de naissance, des actes transcrits et rectifiés par des ordonnances judiciaires, ainsi que des passeports établis sur la base de ces documents. Face à cet ensemble de pièces, la cour constate que « le ministre de l’intérieur et des outre-mer n’établit pas, ni même n’allègue, que les actes ainsi produits seraient inauthentiques ou frauduleux ». Cette approche confirme le principe selon lequel les actes d’état civil étrangers font foi jusqu’à preuve du contraire. Le juge ne se contente pas d’un doute émis par l’administration ; il exige que celle-ci apporte des éléments concrets et probants de nature à établir la fraude. En l’espèce, la simple existence d’une rectification d’erreur matérielle sur le prénom du père, opérée par une décision de justice étrangère, ne saurait constituer un indice de fraude suffisant. La cour réaffirme ainsi que la charge de la preuve pèse sur l’administration lorsqu’elle entend contester l’authenticité ou la véracité des documents qui lui sont présentés.
B. La censure d’un motif de refus fondé sur une suspicion non étayée
La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa s’était approprié les motifs des autorités consulaires, qui se limitaient à invoquer une « tentative frauduleuse » sans plus de précision. La cour considère qu’un tel motif, général et non circonstancié, ne peut légalement justifier un refus. Elle souligne que « l’administration n’apporte aucun autre élément de nature à établir que les déclarations de M. A… révèleraient une tentative frauduleuse pour obtenir un visa ». En conséquence, elle en conclut que « c’est à tort que la commission s’est fondée sur ce motif pour rejeter le recours ». Cette solution est une garantie importante pour les administrés, en particulier pour les bénéficiaires de la protection internationale qui proviennent souvent de pays où l’état civil peut présenter des fragilités. Le juge administratif s’assure que le refus ne repose pas sur une appréciation subjective ou sur des préjugés, mais sur des faits matériellement vérifiables. En écartant un motif lapidaire et non fondé, la cour rappelle l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions de manière précise, surtout lorsque celles-ci portent atteinte à des droits fondamentaux tels que le droit à la vie familiale.
Le contrôle exercé par la cour ne se limite pas au motif initial de la décision. Il s’étend également au motif de substitution invoqué par le ministre en cours d’instance, confirmant ainsi sa volonté de garantir l’effectivité du droit à la réunification familiale.
II. Le rejet de la substitution de motifs et la garantie effective du droit à la réunification familiale
Après avoir écarté le motif initial tiré de la fraude, la cour examine la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l’intérieur. Elle rejette cette demande au terme d’une analyse factuelle précise (A), ce qui la conduit à ordonner la délivrance des visas pour assurer l’exécution pleine et entière de sa décision (B).
A. L’échec de la tentative de substitution de motifs par l’administration
Devant le juge, le ministre de l’intérieur a tenté de justifier le refus par un nouveau motif : l’absence de production d’un jugement de délégation de l’autorité parentale de la mère des enfants. La cour examine cette argumentation en application de la jurisprudence sur la substitution de motifs, qui permet à l’administration de « sauver » sa décision si un autre motif légal la justifie. Toutefois, la cour constate que le requérant avait bien produit les pièces nécessaires. Elle relève qu’ont été versés au dossier « un acte de signification d’un jugement de délégation de l’autorité parentale » ainsi que le « jugement, ainsi que le certificat de non appel ». Le juge écarte également l’argument du ministre tenant à la production d’un jugement différent lors d’une demande antérieure, en affirmant que cette circonstance « ne suffit pas à établir le caractère frauduleux du jugement de délégation parentale du 13 juillet 2021 ». En procédant à cette vérification minutieuse, la cour refuse de valider la décision par un motif qui s’avère, à l’examen des pièces du dossier, tout aussi infondé que le motif initial. Cette démarche montre que la substitution de motifs n’est pas une simple formalité et que le juge exerce un contrôle complet sur la réalité des faits invoqués par l’administration.
B. La consécration du droit par une injonction de délivrance des visas
Tirant toutes les conséquences de l’illégalité des motifs de refus, la cour administrative d’appel ne se limite pas à annuler la décision attaquée. Elle juge que « l’exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés aux jeunes D… A… et C… A… au titre de la réunification familiale ». Elle assortit donc son arrêt d’une injonction faite au ministre de délivrer ces visas dans un délai de deux mois. Cette approche pragmatique garantit l’effectivité de la protection juridictionnelle et du droit à la réunification familiale des réfugiés, consacré par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La décision de ne pas ordonner l’expertise biologique sollicitée, jugée non nécessaire, est également significative. Elle indique que lorsque le droit est établi par les documents légaux requis, le juge n’a pas à recourir à des mesures d’instruction supplémentaires qui pourraient être longues et coûteuses. La solution retenue est ainsi une affirmation claire de la primauté des preuves légales sur la suspicion administrative et une protection concrète et rapide du droit des réfugiés à être rejoints par leur famille.