Cour d’appel administrative de Nantes, le 4 avril 2025, n°24NT00926

Par un arrêt en date du 4 avril 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la répartition des responsabilités entre la solidarité nationale et un établissement public de santé en matière d’indemnisation des dommages résultant d’infections nosocomiales. En l’espèce, un patient avait dû subir plusieurs interventions chirurgicales dans un centre hospitalier universitaire suite à des complications liées à un défibrillateur cardiaque. Au cours de sa prise en charge, il a contracté diverses infections qui ont entraîné une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique. Une commission de conciliation et d’indemnisation a d’abord reconnu que les préjudices relevaient de la solidarité nationale, conduisant l’office national d’indemnisation à verser une indemnité à la victime. Par la suite, l’office a engagé une action subrogatoire contre l’établissement de santé devant le tribunal administratif, estimant que la responsabilité de ce dernier était en réalité engagée. Le tribunal ayant rejeté cette demande, l’office a interjeté appel, arguant que le seuil de gravité requis pour une prise en charge par la solidarité nationale n’était pas atteint. L’établissement hospitalier, quant à lui, soutenait que les infections étaient indissociables d’un accident médical non fautif initial et devaient suivre le même régime d’indemnisation. La question de droit posée à la cour était donc de savoir si la responsabilité sans faute d’un établissement de santé pouvait être retenue pour une infection nosocomiale n’atteignant pas le seuil de gravité légal, alors même que cette infection était survenue dans les suites d’un accident médical initial non fautif. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative, annulant ainsi le jugement de première instance. Elle a jugé que le régime de responsabilité pour infection nosocomiale est autonome et que, dès lors que le taux d’incapacité était inférieur au seuil de 25 % fixé par le code de la santé publique, la responsabilité de l’hôpital devait être engagée. Cette solution a pour effet de valider le bien-fondé de l’action subrogatoire de l’office national d’indemnisation.

Cette décision permet ainsi de clarifier l’articulation des régimes d’indemnisation en matière de dommages corporels (I), ce qui assure la pleine effectivité des actions récursoires entre les différents acteurs du système (II).

I. L’autonomie affirmée du régime de responsabilité pour infection nosocomiale

La cour fonde sa solution sur une application rigoureuse des critères légaux de la responsabilité hospitalière. Elle écarte d’abord l’application du mécanisme de solidarité nationale en raison d’un seuil de gravité non atteint (A), pour ensuite retenir la responsabilité de plein droit de l’établissement de santé, en dépit du contexte médical antérieur (B).

A. L’inapplicabilité de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale

Le code de la santé publique subordonne la prise en charge des infections nosocomiales par la solidarité nationale à une condition de gravité particulière. Selon l’article L. 1142-1-1, seuls les dommages correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % peuvent ouvrir droit à une réparation sur ce fondement. L’appréciation de ce seuil constitue un préalable indispensable à la détermination du débiteur final de l’indemnisation.

En l’espèce, la cour relève que les infections contractées par le patient, bien que multiples et sérieuses, n’ont pas atteint le niveau de gravité requis par la loi. Elle constate en effet que « ces infections ont généré un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 20 %, soit un taux inférieur à celui de plus de 25 % prévu par les dispositions susmentionnées de l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ». Ce constat factuel, tiré de l’instruction du dossier, emporte une conséquence juridique déterminante : le régime d’exception de la solidarité nationale est inapplicable. La solution de la cour se borne ici à une stricte application de la lettre du texte, rappelant que le législateur a entendu réserver ce mécanisme de socialisation du risque aux seules conséquences les plus graves des infections nosocomiales.

B. La consécration de la responsabilité de plein droit de l’établissement

L’inapplicabilité de la solidarité nationale conduit logiquement la cour à examiner le régime de responsabilité de droit commun applicable aux établissements de santé. En la matière, l’article L. 1142-1 du code de la santé publique institue une responsabilité sans faute pour les dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf si l’établissement rapporte la preuve d’une cause étrangère. L’argumentation du centre hospitalier visait précisément à caractériser une telle cause, en liant les infections à l’accident médical non fautif initial.

Toutefois, la cour rejette fermement cette analyse et consacre une scission juridique entre les différents événements dommageables. Elle juge que « la responsabilité sans faute de l’hôpital est engagée sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la cause directe de cette infection à savoir l’extériorisation mécanique du défibrillateur interne en mars 2011 ». Ce faisant, elle considère que l’infection nosocomiale constitue un fait générateur de responsabilité autonome, qui ne saurait être absorbé par l’aléa thérapeutique initial. La solution est juridiquement orthodoxe, car elle refuse de créer une chaîne de causalité globale qui effacerait la spécificité du régime de l’infection nosocomiale, lequel repose sur un risque inhérent à l’activité de soins. La responsabilité de l’hôpital est donc engagée non pas en raison d’une faute, mais du simple fait que l’infection est survenue au cours de la prise en charge.

II. La portée renforcée de l’action subrogatoire de l’office d’indemnisation

En établissant clairement la responsabilité de l’établissement de santé, la décision de la cour produit des effets directs sur les recours entre les payeurs. Elle justifie ainsi pleinement l’action subrogatoire de l’office (A) et organise une répartition cohérente de la charge financière finale de l’indemnisation (B).

A. Le bien-fondé de la subrogation exercée contre l’établissement responsable

L’action de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux trouve son fondement à l’article L. 1142-17 du code de la santé publique. Ce texte lui permet, après avoir indemnisé une victime, de se retourner contre le tiers qu’il estime responsable pour obtenir le remboursement des sommes versées. L’exercice de cette action est conditionné à la démonstration préalable que la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est bel et bien engagée.

L’analyse menée dans la première partie du raisonnement de la cour prend ici tout son sens. En qualifiant l’infection nosocomiale de dommage engageant la responsabilité de plein droit du centre hospitalier, la cour fournit à l’office le fondement juridique qui lui était nécessaire. Elle en déduit logiquement que « l’ONIAM dispose d’une action subrogatoire à l’encontre de l’établissement de santé et de son assureur pour obtenir le remboursement des sommes […] qu’il a exposées ». Cette solution confirme la nature de l’office, qui agit comme un mécanisme d’avance pour garantir une indemnisation rapide à la victime, sans pour autant que ce paiement initial ne vaille reconnaissance définitive de la charge de la dette. Le recours subrogatoire apparaît alors comme un outil correcteur essentiel, assurant que le poids financier du dommage pèse in fine sur l’entité que la loi désigne comme responsable.

B. La juste répartition de la charge finale des préjudices

Au-delà du seul recours de l’office, l’arrêt emporte des conséquences pour l’ensemble des tiers payeurs. La cour fait d’ailleurs droit aux prétentions similaires de la caisse primaire d’assurance maladie, qui avait également exposé des frais pour le compte de la victime, en condamnant l’hôpital à lui rembourser ses débours. La portée de la décision est donc générale : elle réaffirme le principe selon lequel la responsabilité de l’établissement de santé pour une infection nosocomiale non sévère est entière.

Cette solution a le mérite de la clarté et préserve la cohérence du système d’indemnisation. Elle évite que le fonds de la solidarité nationale ne supporte des charges qui ne lui incombent pas légalement, réservant son intervention aux cas les plus graves pour lesquels aucune responsabilité ne peut être établie. En retour, elle incite les établissements de santé à maintenir un haut niveau de vigilance et de prévention du risque infectieux, puisque la survenance d’une telle infection engage leur responsabilité de manière quasi automatique. La décision commentée, bien que d’application classique, constitue un rappel utile de la stricte étanchéité des différents régimes de responsabilité et de la logique qui préside à leur articulation.

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