Cour d’appel administrative de Nantes, le 4 avril 2025, n°25NT00279

Par un arrêt en date du 4 avril 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences procédurales du retrait en cours d’instance d’un arrêté préfectoral comportant plusieurs décisions distinctes. En l’espèce, un administré avait sollicité l’annulation d’une décision préfectorale du 22 juillet 2024 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire. Postérieurement à l’introduction du recours, le préfet, par un nouvel arrêté en date du 14 octobre 2024, a procédé au retrait de la décision contestée, motivant cette dernière par la réception d’une pièce nouvelle.

Saisi du litige, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 15 janvier 2025, a considéré que le retrait n’était que partiel. Il a en conséquence prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions relatives à l’obligation de quitter le territoire et à l’interdiction de retour, mais a annulé le refus de titre de séjour pour erreur de fait, en joignant au préfet de réexaminer la situation de l’intéressé. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le retrait de son arrêté du 22 juillet 2024 était total et aurait dû conduire les premiers juges à prononcer un non-lieu à statuer sur l’ensemble des conclusions de la demande.

La question soumise à la cour était donc de déterminer la portée d’un acte de retrait visant un arrêté préfectoral composite et, par conséquent, de définir l’office du juge administratif face à une telle situation. La cour administrative d’appel a infirmé le raisonnement des premiers juges en retenant que le retrait opéré par le préfet était total et visait l’ensemble des décisions contenues dans l’arrêté du 22 juillet 2024. Elle en a déduit que l’acte litigieux avait disparu de l’ordonnancement juridique, privant d’objet la totalité du recours et imposant au juge de constater un non-lieu à statuer général, annulant ainsi le jugement de première instance en ce qu’il s’était prononcé au fond.

La solution retenue, si elle consacre une interprétation extensive de l’acte de retrait (I), emporte des conséquences ambivalentes quant à la situation juridique de l’administré (II).

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I. La consécration d’une interprétation extensive de l’acte de retrait

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse finaliste de la volonté de l’administration (A) pour en déduire une application rigoureuse de la théorie du non-lieu à statuer (B).

A. La recherche de la volonté réelle de l’auteur de l’acte

Le litige portait sur la divisibilité du retrait d’un arrêté contenant plusieurs mesures distinctes. Alors que le tribunal administratif avait opéré une distinction, la cour d’appel a privilégié une approche unitaire en se fondant sur l’intention de l’auteur de l’acte. Elle relève que l’arrêté du 14 octobre 2024 indique en son article premier que « l’arrêté du 22 juillet 2014 (…) est retiré », sans opérer de distinction entre les différentes décisions qu’il contient. L’emploi de cette formule générale, non restrictive, constituait un premier indice en faveur d’un retrait global.

Surtout, la cour s’est attachée aux justifications fournies par le préfet. Celui-ci précisait avoir pris sa décision de retrait en raison de la production tardive d’une autorisation de travail, pièce maîtresse de la demande de titre de séjour. Cet élément factuel démontrait que le motif du retrait concernait directement le bien-fondé du refus de séjour. La cour souligne ainsi que le préfet avait lui-même indiqué, dans ses écritures, avoir décidé « de retirer [sa] décision du 22 juillet 2024 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ». En combinant l’analyse littérale de l’acte de retrait et l’interprétation de ses motifs, les juges d’appel ont ainsi pu reconstituer une volonté administrative claire et non équivoque de faire disparaître l’intégralité de l’acte initial.

B. L’application rigoureuse de la théorie du non-lieu à statuer

Une fois établie la portée totale du retrait, la cour en tire la conséquence procédurale qui s’impose. Elle rappelle dans un considérant de principe que le recours pour excès de pouvoir a pour seul objet de « faire prononcer l’annulation avec effet rétroactif » de l’acte attaqué. Dès lors que cet acte est rapporté par l’autorité compétente de manière définitive, il « emporte alors disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique de l’acte contesté ». Cette disparition prive le recours de son objet, ce qui conduit à ce qu’il n’y ait plus lieu pour le juge de statuer.

En appliquant ce principe, la cour censure le raisonnement des premiers juges. Le tribunal ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, constater un non-lieu partiel et statuer au fond sur une partie du litige dès lors que le retrait était total. La cour juge ainsi « qu’à la date du jugement attaqué, le préfet du Morbihan a entendu […] retirer non seulement les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour […], mais l’ensemble des décisions contenues dans cet arrêté ». Le caractère définitif de cet acte de retrait, non contesté dans le délai de recours contentieux, rendait inévitable le non-lieu. La cour procède donc par la voie de l’évocation et constate elle-même qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions en annulation.

II. Une solution pragmatique aux effets ambivalents pour l’administré

Si le non-lieu à statuer apparaît comme une solution procédurale orthodoxe, ses implications pratiques méritent d’être soulignées, qu’il s’agisse de la répartition des frais de justice (A) ou de la persistance de l’incertitude quant au droit au séjour (B).

A. Le maintien équitable de la charge des frais de l’instance

De manière remarquable, la cour, tout en annulant le jugement sur le fond, préserve la condamnation de l’État au paiement des frais irrépétibles en première instance. Elle juge en effet que, « dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’annuler le jugement attaqué en tant que, par son article 6, il a mis à la charge de l’Etat » le versement d’une somme au titre des frais d’avocat. De plus, statuant sur l’appel, elle condamne à nouveau l’État à verser une somme supplémentaire pour les frais engagés devant elle.

Cette solution, bien qu’à première vue paradoxale dans le cadre d’un non-lieu, est conforme à une jurisprudence bien établie. Le juge administratif peut mettre les frais du procès à la charge de la partie qui, par son comportement, a rendu le litige sans objet, lorsque le recours était justifié à la date de son introduction. En l’espèce, le requérant avait de bonnes raisons de contester le refus de séjour, comme l’a d’ailleurs reconnu le tribunal en relevant une erreur de fait. Le retrait de l’acte par le préfet, s’il met fin au litige, ne saurait exonérer l’administration des conséquences financières d’une décision initialement illégale. Cette approche pragmatique garantit à l’administré de ne pas supporter le coût d’une procédure qu’il a été contraint d’engager.

B. La persistance de l’incertitude sur le droit au séjour

Le principal effet du non-lieu à statuer est de clore l’instance sans qu’une solution de fond ne soit apportée au litige. Pour l’administré, le bénéfice de la décision est donc mitigé. Certes, l’acte de retrait a fait disparaître rétroactivement le refus de séjour et ses conséquences. Cependant, le requérant se retrouve dans la même situation qu’avant la décision contestée : sa demande de titre de séjour est de nouveau pendante devant l’administration, qui doit la réexaminer.

La cour annule d’ailleurs l’injonction de réexamen prononcée par les premiers juges, la jugeant privée de base légale du fait de l’annulation du jugement sur le fond. Bien qu’un considérant mentionne que c’est « à juste titre » que le tribunal avait ordonné le réexamen, cette mention reste sans portée effective dans le dispositif de l’arrêt. L’administré n’obtient donc aucune garantie quant au délai dans lequel sa situation sera de nouveau étudiée, ni sur l’issue de ce nouvel examen. Il demeure ainsi à la merci d’une nouvelle décision, potentiellement un nouveau refus qui l’obligerait à engager un nouveau contentieux. La solution, si elle est juridiquement impeccable, illustre les limites d’un règlement procédural du litige qui ne tranche pas la question substantielle du droit de l’administré.

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