Par un arrêt en date du 4 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé une ordonnance du tribunal administratif de Rennes qui avait jugé irrecevable la requête d’un ressortissant étranger. Ce dernier contestait le rejet implicite de sa demande de titre de séjour par l’autorité préfectorale. Les faits concernent un ressortissant camerounais, entré régulièrement en France, qui avait adressé par voie postale une demande d’admission exceptionnelle au séjour. Face au silence de l’administration pendant plus de quatre mois, il a saisi la juridiction administrative. Le premier juge a rejeté sa demande au motif qu’aucune décision susceptible de recours n’était née du silence de l’administration. Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant qu’une décision implicite de rejet était bien née et qu’elle était illégale.
La cour administrative d’appel devait donc déterminer si le silence gardé par l’administration sur une demande de titre de séjour régulièrement formée suffisait à faire naître une décision implicite de rejet attaquable. Dans l’affirmative, il lui appartenait d’apprécier la légalité de cette décision, notamment au regard de l’obligation de motivation. La juridiction d’appel censure l’appréciation du premier juge, considérant qu’une décision implicite de rejet était bien née à l’expiration d’un délai de quatre mois. Évoquant l’affaire, elle annule ensuite cette décision implicite au motif que l’administration n’a pas communiqué les motifs de son refus suite à la demande qui lui avait été faite. Cette décision rappelle ainsi la portée du silence de l’administration face à une demande de titre de séjour (I), avant de souligner la sanction attachée au manquement de l’administration à son obligation de motivation (II).
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I. La confirmation de la naissance d’une décision implicite de rejet
La cour administrative d’appel rappelle d’abord les conditions dans lesquelles le silence de l’administration suffit à créer une décision attaquable (A), avant de censurer logiquement l’ordonnance d’irrecevabilité rendue en première instance (B).
A. La formation de la décision par le silence administratif
La décision commentée expose avec pédagogie le mécanisme de naissance des décisions implicites en matière de droit des étrangers. Elle se fonde sur les dispositions combinées du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, précisant que la demande de titre de séjour peut, dans certains cas, être effectuée par voie postale. Le juge constate que le requérant s’est conformé à cette modalité, comme l’indiquait d’ailleurs le site internet de la préfecture. L’administration n’a d’ailleurs pas contesté la régularité du dépôt de la demande.
Une fois la demande valablement formée, le silence gardé par l’autorité administrative pendant un délai de quatre mois vaut, aux termes de l’article R. 432-1 du même code, décision implicite de rejet. Dans le cas d’espèce, la demande ayant été complétée le 29 février 2024, le juge d’appel fixe précisément la naissance de la décision implicite au 29 juin 2024. La cour énonce clairement que « une décision implicite de rejet de la demande de M. B… est née le 29 juin 2024, dont l’intéressé était recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir ». Cette analyse factuelle et juridique rigoureuse établit sans ambiguïté l’existence d’un acte administratif faisant grief, condition nécessaire à la recevabilité du recours.
B. La censure de l’irrecevabilité opposée par le premier juge
La reconnaissance de l’existence d’une décision implicite conduit la cour à annuler l’ordonnance du tribunal administratif. Le premier juge avait en effet estimé que la requête était manifestement irrecevable, faute de décision attaquable. Cette position était motivée par l’information donnée par l’administration elle-même, qui avait indiqué au conseil du requérant que « L’instruction de sa demande, compte tenu du nombre important de dossiers, n’a pas débuté ». Le juge de première instance en avait déduit qu’en l’absence d’instruction, aucune décision n’avait pu être prise.
La cour d’appel rejette ce raisonnement en affirmant que l’état d’avancement interne du dossier est sans incidence sur la naissance de la décision implicite. Le simple écoulement du temps, après une saisine régulière, suffit à créer la décision. En déclarant que « c’est à tort que le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi », la juridiction d’appel réaffirme un principe fondamental du contentieux administratif : l’administré dispose d’un droit au recours contre l’inertie de l’administration, et cette dernière ne peut s’y soustraire en invoquant sa propre carence organisationnelle.
II. La sanction du défaut de communication des motifs
Après avoir annulé l’ordonnance et évoqué l’affaire, la cour examine la légalité de la décision implicite. Elle rappelle l’obligation qui pèse sur l’administration de motiver ses décisions de refus (A), puis prononce l’annulation pour sanctionner le non-respect de cette obligation (B).
A. Le rappel de l’obligation de motivation des refus de séjour
La décision implicite de rejet d’une demande de titre de séjour constitue une mesure de police administrative qui doit être motivée en application de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. La décision commentée rappelle le régime spécifique applicable aux décisions implicites. Une telle décision n’est pas illégale du seul fait de son absence de motivation, mais l’administration est tenue de communiquer ses motifs à l’intéressé si celui-ci en fait la demande dans le délai de recours contentieux.
En l’espèce, le conseil du requérant avait sollicité la communication des motifs par un courriel reçu par la préfecture le 10 juillet 2024. Le juge relève que l’administration, qui n’a pas produit de mémoire en défense, n’a pas contesté ne pas avoir répondu à cette demande. Conformément à une jurisprudence constante, le non-respect de cette obligation dans le délai d’un mois imparti par l’article L. 232-4 du même code entache la décision d’illégalité. Le juge énonce ainsi que « en l’absence de communication par cette autorité des motifs de la décision implicite en litige, (…) cette décision se trouve entachée d’illégalité ».
B. L’annulation, conséquence de la violation d’une garantie procédurale
La constatation de l’illégalité de la décision implicite conduit la cour à l’annuler, sans même avoir à examiner les autres moyens soulevés par le requérant, tirés notamment de la violation de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette approche témoigne de l’importance attachée à l’obligation de motivation, considérée comme une garantie substantielle pour l’administré. Le droit de connaître les raisons d’une décision défavorable est en effet la condition première pour pouvoir la contester utilement.
En conséquence de cette annulation, le juge enjoint au préfet de réexaminer la demande dans un délai d’un mois. Cette injonction est la suite logique de l’annulation pour un vice de forme : la décision étant anéantie, l’administration est remise en situation de devoir statuer à nouveau. L’arrêt illustre ainsi parfaitement la fonction du juge administratif, qui, en sanctionnant une carence procédurale, contraint l’administration à respecter les droits des administrés et à exercer effectivement ses compétences.