Cour d’appel administrative de Nantes, le 4 mars 2025, n°24NT00402

Par un arrêt en date du 4 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État à la suite de l’annulation d’un refus d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. En l’espèce, une société s’était vu refuser par l’inspecteur du travail, le 8 avril 2013, l’autorisation de licencier pour motif économique une salariée bénéficiant d’une protection. Un recours hiérarchique fut exercé par l’employeur, lequel fut rejeté par une décision du ministre chargé du travail en date du 19 septembre 2013, se fondant notamment sur le non-respect par l’employeur de son obligation de reclassement. La société saisit alors le tribunal administratif de Caen qui rejeta sa demande d’annulation de ces décisions. Sur l’appel de la société, la cour administrative d’appel, par un arrêt du 3 décembre 2018, annula la décision de l’inspecteur du travail mais confirma celle du ministre. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État, le 24 décembre 2019, annula l’arrêt d’appel en tant qu’il avait rejeté les conclusions de la société, et annula par voie de conséquence la décision ministérielle. Forte de ces annulations contentieuses, la société a recherché la responsabilité de l’État. Le tribunal administratif de Caen, par un jugement du 15 décembre 2023, a rejeté cette demande indemnitaire. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’illégalité des décisions administratives constituait une faute engageant la responsabilité de l’État et qu’un lien de causalité direct existait avec ses préjudices, constitués par le maintien des salaires et les frais de procédure. Il appartenait ainsi au juge d’appel de déterminer si l’annulation pour excès de pouvoir d’un refus d’autorisation de licenciement suffit à établir le lien de causalité entre la faute de l’administration et le préjudice subi par l’employeur. La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que le préjudice lié au maintien de la rémunération du salarié n’est pas directement imputable à l’illégalité des décisions de refus, dès lors que l’administration aurait pu légalement fonder sa décision sur le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

La solution retenue par la cour administrative d’appel réaffirme le pouvoir d’appréciation du juge du plein contentieux dans l’examen du lien de causalité, neutralisant la portée de l’annulation initiale (I), tout en adoptant une conception restrictive de la réparation des préjudices annexes (II).

I. Une causalité neutralisée par le pouvoir d’appréciation du juge

L’arrêt commenté confirme que la faute de l’administration, matérialisée par une décision illégale, n’emporte pas une réparation automatique pour l’employeur. Le juge de l’indemnisation conserve en effet la faculté d’examiner si, en dépit de l’illégalité constatée, le préjudice invoqué découle bien directement de la faute, ce qui le conduit à rejeter l’existence d’un lien de causalité automatique (A) en se fondant sur la légalité hypothétique de la décision administrative (B).

A. Le rejet d’un lien de causalité automatique entre l’illégalité et le préjudice

La cour rappelle qu’un refus illégal d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé constitue une faute engageant la responsabilité de l’État, mais précise que la réparation n’est due que si un préjudice direct et certain en a résulté. Le juge du fond n’est donc pas lié par les motifs de l’annulation prononcée par le juge de l’excès de pouvoir. Il doit se forger sa propre conviction quant à l’existence du lien de causalité. Pour ce faire, il lui « appartient de rechercher (…) si la même décision aurait pu légalement être prise ». Cette approche permet de distinguer la question de la légalité de l’acte, tranchée précédemment, de celle de l’imputabilité du dommage. La cour écarte ainsi l’argument de la société selon lequel l’absence d’irrégularité procédurale retenue lors de l’annulation empêcherait le juge de rechercher un autre motif justifiant le refus. Le juge de la responsabilité dispose donc d’une autonomie d’appréciation qui le contraint à un examen concret et complet de la situation, au-delà de la seule autorité de la chose jugée en excès de pouvoir.

B. La substitution d’un motif légal au soutien de la décision

L’application de ce principe conduit la cour à rechercher si un autre motif aurait permis à l’administration de refuser légalement l’autorisation de licenciement. Elle identifie ce motif dans le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, prévue par l’article L. 1233-4 du code du travail. Le juge relève que la décision ministérielle du 19 septembre 2013, versée au dossier, avait déjà soulevé ce point, reprochant à la société de s’être bornée à communiquer une simple liste de postes disponibles sans formuler d’offres fermes, concrètes et personnalisées. La cour estime que « ce seul motif (…) permettait à l’administration, en application des principes rappelés au point 3 et des dispositions citées au point 4, de refuser légalement l’autorisation de licenciement sollicitée par la société ». Par conséquent, le préjudice né du maintien des rémunérations ne trouve pas sa cause directe dans la faute de l’État, car ce même préjudice aurait existé si l’administration avait, dès l’origine, fondé son refus sur ce motif légal. Le lien de causalité est ainsi rompu, privant la demande indemnitaire de son fondement pour ce chef de préjudice.

Au-delà du préjudice principal, la cour se prononce également sur la réparation des frais de procédure engagés par la société, en adoptant une solution tout aussi rigoureuse qui limite la portée de l’indemnisation.

II. Une conception restrictive de la réparation des préjudices annexes

L’arrêt illustre une approche stricte quant à l’indemnisation des frais de justice exposés par le requérant. Il consacre une exclusion de principe pour les frais liés à l’instance en annulation (A) et applique une exigence probatoire rigoureuse pour les autres frais allégués (B).

A. L’irréparabilité des frais exposés dans le cadre du contentieux de l’annulation

La cour analyse la demande de remboursement des frais d’avocat engagés pour les recours en annulation. Elle se fonde sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative pour considérer que ce préjudice est déjà réparé. Elle énonce que lorsque le demandeur obtient l’annulation d’une décision, « la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l’instance en cause sur le fondement de l’article L. 761-1 ». Il s’agit d’une fiction juridique qui présume la réparation intégrale de ce poste de préjudice, interdisant à la partie d’en solliciter une nouvelle indemnisation dans le cadre d’une action en responsabilité. Cette solution assure la cohérence du système de remboursement des frais de justice et évite une double réparation pour un même dommage. La demande de la société est donc logiquement rejetée sur ce point.

B. L’exigence d’une preuve stricte du lien de causalité pour les autres frais

La société réclamait également le remboursement de frais exposés devant les juridictions judiciaires ainsi que pour l’instance indemnitaire elle-même. Pour les premiers, la cour rejette la demande au motif que la requérante ne démontre pas en quoi ces frais trouveraient leur origine directe dans la faute de l’administration. Cette solution n’est que la traduction de l’application rigoureuse des règles de la charge de la preuve en matière de responsabilité. Quant aux frais engagés pour le présent litige indemnitaire, leur rejet découle de l’issue même du procès. La demande indemnitaire ayant été jugée non fondée, la société ne peut prétendre au remboursement des sommes exposées pour une action qu’elle a perdue. Cette position confirme que le droit à réparation des frais de justice est subordonné au bien-fondé des prétentions du demandeur au principal. Le rejet de l’ensemble de ces chefs de préjudice confirme la démarche rigoureuse du juge administratif dans l’appréciation des conséquences indemnitaires d’une illégalité fautive.

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