Cour d’appel administrative de Nantes, le 4 mars 2025, n°24NT01372

Par un arrêt en date du 4 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé les conditions d’appréciation du défaut d’allégeance à la France pouvant justifier un refus de naturalisation. Un ressortissant étranger, résidant en France depuis 2006, s’était vu opposer un refus à sa demande de naturalisation par le préfet, décision confirmée par un rejet de son recours hiérarchique par le ministre de l’intérieur. L’administration fondait sa décision sur l’emploi occupé par l’intéressé, un poste de secrétaire administratif au sein d’un service de gestion d’étudiants rattaché à l’ambassade de son pays d’origine, estimant que cette fonction révélait un lien particulier incompatible avec l’allégeance requise pour devenir français. Saisi du litige, le tribunal administratif de Nantes avait rejeté la demande d’annulation formée par le requérant. Ce dernier a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision ministérielle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Il se posait donc la question de savoir si l’exercice de fonctions administratives salariées, sous un contrat de droit local, pour un service lié à une ambassade étrangère, suffisait à caractériser un défaut d’allégeance justifiant un refus de naturalisation. La Cour administrative d’appel de Nantes répond par la négative en annulant le jugement et les décisions administratives contestées. Elle juge que la nature de l’emploi occupé par le postulant, eu égard à ses fonctions et à son statut de recruté local, n’est pas de nature à créer un doute sur son allégeance envers la France. La cour affine ainsi l’appréciation du critère d’allégeance en le distinguant de la simple existence de liens professionnels avec le pays d’origine (I), consacrant une analyse pragmatique de la situation du postulant qui renforce la portée du contrôle juridictionnel en la matière (II).

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I – La distinction entre le lien professionnel avec le pays d’origine et le défaut d’allégeance

La cour administrative d’appel, tout en rappelant le cadre juridique qui confère une large marge de manœuvre à l’administration en matière de naturalisation (A), refuse de déduire mécaniquement un défaut d’allégeance du seul exercice d’un emploi pour un service étranger (B).

A – Le rappel du large pouvoir d’appréciation de l’administration

La naturalisation constitue une prérogative de la puissance publique, ce que l’arrêt ne manque pas de souligner en visant l’article 21-15 du code civil et l’article 48 du décret du 30 décembre 1993. Il est de jurisprudence constante que l’autorité administrative dispose, dans ce domaine, d’un large pouvoir d’appréciation pour juger de l’opportunité d’accorder la nationalité française. Ce pouvoir lui permet de prendre en considération des « renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que les renseignements de tous ordres recueillis sur son allégeance envers la France ». Le contrôle du juge administratif se limite par conséquent à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation, c’est-à-dire une erreur grossière et évidente dans l’évaluation des faits et de leurs conséquences juridiques. Dans le cas présent, le ministre de l’intérieur s’est fondé sur une telle appréciation pour rejeter la demande, estimant que l’emploi du requérant auprès de l’ambassade de son pays natal « sous-tend un lien particulier avec son pays d’origine non compatible avec l’allégeance française ». Cette position initiale de l’administration s’inscrit dans une logique de précaution, où tout lien substantiel avec un État étranger est perçu comme un obstacle potentiel à l’intégration nationale.

B – Le refus d’une présomption de défaut d’allégeance liée à l’emploi

La cour opère une clarification essentielle en jugeant que la seule existence d’un lien, même professionnel, avec le pays d’origine ne saurait fonder à elle seule un refus. Elle énonce que si « des liens particuliers entretenus par le postulant avec un Etat ou des autorités publiques étrangères » peuvent justifier un rejet, la nature de ces liens est déterminante. L’apport de la décision réside dans le refus de considérer l’emploi du requérant comme constitutif d’un tel lien problématique. Le juge prend soin d’analyser concrètement les fonctions exercées, notant que l’intéressé n’est pas « employé par l’ambassade du B… en France en qualité de fonctionnaire, mais comme un recruté local sur un poste de secrétaire administratif ». La nature administrative et non diplomatique des tâches, visant à aider des étudiants, est ainsi mise en exergue pour écarter l’idée d’un conflit d’allégeance. En concluant que cette situation « n’est pas de nature à créer un doute sur l’allégeance de M. A… envers la France, eu égard notamment à la nature de cet emploi », la cour rejette toute forme de présomption et impose à l’administration une analyse au cas par cas, fondée sur des éléments factuels précis plutôt que sur une suspicion de principe.

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II – La portée d’un contrôle concret de l’erreur manifeste d’appréciation

En sanctionnant la décision ministérielle, la cour administrative d’appel ne se contente pas de rectifier une situation individuelle ; elle promeut une méthode d’analyse factuelle approfondie (A) et renforce par là même l’intensité du contrôle juridictionnel sur les décisions discrétionnaires de naturalisation (B).

A – La consécration d’une analyse factuelle et circonstanciée

La valeur de cet arrêt tient à la méthode d’analyse qu’il met en œuvre. Le juge ne s’arrête pas à la qualification formelle de l’employeur, à savoir une émanation d’un État étranger. Il examine la réalité de la situation du postulant dans sa globalité. Plusieurs éléments sont ainsi relevés et pesés : l’ancienneté de la résidence en France depuis 2006, la présence de ses enfants nés sur le territoire, le statut de son contrat de travail « de droit local », et la finalité de son poste au sein du « service de gestion des étudiants … à l’étranger ». Cette approche pragmatique s’oppose à la vision abstraite de l’administration qui avait isolé un seul fait, l’emploi, pour en tirer une conclusion radicale. En jugeant que « la décision en litige ne tient pas compte de l’ensemble de sa situation personnelle et familiale », la cour souligne l’obligation pour l’administration d’opérer une balance entre les différents éléments du dossier d’un postulant. La nationalité des revenus, bien que provenant de l’État d’origine, est également relativisée par le fait qu’ils sont imposés en France, ce qui constitue un marqueur de participation à la communauté nationale.

B – L’approfondissement du contrôle juridictionnel en matière de naturalisation

La portée de la décision dépasse le cas d’espèce. En censurant pour erreur manifeste d’appréciation une décision qui pouvait sembler relever du pouvoir discrétionnaire de l’administration, le juge administratif rappelle que ce pouvoir ne doit pas verser dans l’arbitraire. Il signifie que les motifs d’un refus de naturalisation, particulièrement lorsqu’ils touchent à une notion aussi subjective que l’allégeance, doivent reposer sur des faits établis, pertinents et suffisants. Cet arrêt pourrait ainsi influencer la pratique administrative en l’incitant à motiver plus précisément ses décisions de rejet fondées sur l’existence de liens avec le pays d’origine, et à distinguer clairement les situations selon la nature et l’intensité de ces liens. Il constitue un rappel que le contrôle du juge, même restreint à l’erreur manifeste, implique une vérification sérieuse de la cohérence du raisonnement de l’administration et de l’adéquation des faits retenus à la qualification juridique qui en est tirée. La décision renforce la protection des droits des postulants en s’assurant que leur parcours d’intégration et leur situation globale soient équitablement évalués.

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