Cour d’appel administrative de Nantes, le 6 juin 2025, n°24NT03439

Par un arrêt en date du 6 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a statué sur la situation d’une ressortissante étrangère faisant l’objet d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, une ressortissante ghanéenne, entrée régulièrement en France en mars 2023 avec un visa étudiant pour y rejoindre son époux, n’a pu poursuivre la scolarité envisagée. Le couple a eu un troisième enfant né en France en janvier 2024. En avril 2024, l’intéressée a sollicité un changement de statut vers une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Par un arrêté du 6 mai 2024, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, lui a enjoint de quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour d’un an. La requérante a saisi le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 26 septembre 2024. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant sa régularité que son bien-fondé.

Le litige portait sur deux points principaux. Il s’agissait d’abord de déterminer si le refus d’autoriser le séjour portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée, au regard notamment de sa récente arrivée en France et de la naissance de son enfant. Il s’agissait ensuite d’apprécier la légalité de l’obligation de quitter le territoire, dont l’un des motifs déterminants était une mesure similaire prise à l’encontre de son époux, mesure qui fut par la suite annulée par une décision de justice devenue définitive. La Cour administrative d’appel répond à cette double interrogation par une solution nuancée : elle confirme la légalité du refus de titre de séjour, mais annule l’obligation de quitter le territoire et les décisions subséquentes.

Si la Cour confirme l’exercice par l’administration de son pouvoir d’appréciation quant à l’octroi du titre de séjour (I), elle censure en revanche une obligation d’éloignement fondée sur une motivation privée de base légale par l’effet de l’autorité de la chose jugée (II).

I. La validation du contrôle restreint sur le refus de séjour

La Cour administrative d’appel, en confirmant le jugement de première instance sur ce point, valide la décision du préfet de refuser le titre de séjour. Elle opère une appréciation rigoureuse des conditions d’admission au séjour (A) et circonscrit la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au cadre juridique précis de la demande (B).

A. L’appréciation des liens personnels et familiaux au regard de la précarité du séjour

La Cour rappelle que l’octroi d’une carte de séjour « vie privée et familiale » sur le fondement de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile suppose une analyse de l’intensité, de l’ancienneté et de la stabilité des liens en France. En l’espèce, le juge administratif constate que le séjour de l’intéressée était récent, à peine supérieur à un an à la date de la décision attaquée. Il relève également qu’elle ne justifiait « d’aucune intégration particulière et ne s’exprime qu’en anglais ».

De plus, la situation de son conjoint, loin de stabiliser son droit au séjour, le rendait plus précaire. En effet, l’époux s’était lui-même vu refuser la délivrance d’un titre de séjour, une décision confirmée par le tribunal administratif. Ainsi, la cellule familiale n’avait pas vocation à se maintenir durablement sur le territoire. La Cour considère que ces éléments, appréciés globalement, suffisent à justifier le refus du préfet sans que celui-ci ait commis une erreur manifeste d’appréciation. L’analyse demeure classique, centrée sur les critères objectifs d’intégration et de durée de présence, et refuse de donner une portée déterminante à la seule composition familiale.

B. La portée conditionnée de l’intérêt supérieur de l’enfant

La requérante invoquait la situation de son troisième enfant, né en France et atteint d’une pathologie grave. Toutefois, la Cour écarte cet argument en soulignant le cadre juridique strict dans lequel la demande a été présentée. La demande de titre de séjour était fondée sur l’article L. 423-23 du code précité, relatif aux liens personnels et familiaux généraux, et non sur l’article L. 425-9, qui vise spécifiquement le cas de l’étranger parent d’un enfant ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine.

Le juge constate qu’au moment de la décision, « il ne ressort pas des pièces du dossier (…) que les services préfectoraux auraient été spécifiquement alertés sur la situation de santé du jeune enfant ». Faute pour l’administration d’avoir été saisie sur le fondement juridique pertinent et avec les justificatifs médicaux adéquats, la Cour estime que le préfet n’était pas tenu d’engager la procédure spécifique de consultation du collège des médecins de l’OFII. L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que devant être une « considération primordiale », ne peut donc prospérer que s’il est invoqué dans le cadre procédural approprié, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

II. La sanction de l’obligation d’éloignement fondée sur un motif erroné en droit

Alors qu’elle valide le refus de séjour, la Cour administrative d’appel censure l’obligation de quitter le territoire qui l’accompagnait. Cette annulation repose sur l’autorité de la chose jugée attachée à une décision de justice antérieure (A), entraînant par voie de conséquence l’annulation des autres mesures d’éloignement (B).

A. L’autorité de la chose jugée comme rempart contre une motivation devenue illégale

La Cour relève que la motivation de l’obligation de quitter le territoire prise à l’encontre de la requérante reposait sur un élément déterminant : le fait que son époux « fait lui-même l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ». Or, par un jugement antérieur, le tribunal administratif de Rennes avait précisément annulé cette mesure d’éloignement visant le conjoint. Cette annulation, devenue définitive, est revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée.

La Cour en tire une conséquence logique et imparable : la décision annulée « est réputée n’être jamais intervenue ». Par conséquent, le motif principal sur lequel le préfet a fondé l’obligation de quitter le territoire de l’épouse était, au moment où le juge statue, dépourvu de toute existence légale. La motivation de l’acte administratif reposait donc sur une erreur de droit fondamentale. En censurant pour ce motif, la Cour réaffirme avec force le principe selon lequel l’administration ne peut se fonder sur un acte qui a été anéanti par le juge, et que l’autorité de la chose jugée s’impose à elle de manière absolue.

B. Les conséquences de l’annulation de l’obligation de quitter le territoire

L’annulation de la mesure d’éloignement principale entraîne, par un effet mécanique, l’illégalité des décisions qui en dépendent. La Cour annule ainsi, par voie de conséquence, l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an et les mesures de contrôle qui y étaient associées. Cette solution illustre la construction « en cascade » des décisions en matière de droit des étrangers, où la légalité de chaque mesure est conditionnée par la validité de celle qui la précède.

Enfin, l’arrêt tire les conséquences de cette annulation en matière d’injonction. Conformément à l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’annulation d’une obligation de quitter le territoire implique pour l’administration le devoir de réexaminer la situation de l’étranger et de lui délivrer, dans l’attente, une autorisation provisoire de séjour. La Cour enjoint donc au préfet de procéder à ce réexamen dans un délai d’un mois, offrant ainsi à la requérante une protection temporaire et la possibilité de faire valoir à nouveau ses droits, y compris potentiellement sur un autre fondement juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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