Par un arrêt en date du 6 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité haïtienne, entré en France en 2016 alors qu’il était mineur, a bénéficié de titres de séjour réguliers jusqu’en mai 2024. N’ayant pas sollicité le renouvellement de son titre, il a fait l’objet d’une interpellation en octobre 2024 dans le cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants, ce qui a conduit le préfet à édicter à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai. L’intéressé a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision, mais sa demande a été rejetée. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était insuffisamment motivée, qu’elle méconnaissait son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Se posait ainsi la question de savoir si une mesure d’éloignement, prise à l’encontre d’un étranger ayant résidé durablement sur le territoire national depuis son adolescence mais qui a négligé de renouveler son titre de séjour tout en étant impliqué dans des faits de nature à troubler l’ordre public, porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que la décision préfectorale était justifiée et proportionnée au regard de la situation globale de l’intéressé. Elle confirme ainsi la validité de la mesure d’éloignement en s’appuyant sur une appréciation rigoureuse des faits (I), livrant une solution dont la portée semble toutefois conditionnée par la particularité du cas d’espèce (II).
I. La confirmation de la légalité de la décision d’éloignement
La cour administrative d’appel valide le raisonnement des premiers juges en écartant tant les critiques de forme que de fond adressées à l’arrêté préfectoral. Elle estime d’une part que l’obligation de quitter le territoire était suffisamment motivée (A) et d’autre part que l’appréciation des faits par l’administration n’était entachée d’aucune erreur, notamment au regard des exigences conventionnelles (B).
**A. Une motivation de l’obligation de quitter le territoire jugée suffisante**
La juridiction d’appel écarte rapidement le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision contestée. Elle rappelle que l’article L. 613-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose que la décision portant obligation de quitter le territoire français soit motivée en fait et en droit. En l’occurrence, la cour relève que l’arrêté préfectoral visait les dispositions législatives et réglementaires applicables ainsi que la situation personnelle de l’intéressé. La décision attaquée mentionnait expressément « que M. B… se maintient sur le territoire français sans avoir obtenu préalablement le renouvellement de son titre de séjour, qu’il déclare être célibataire et sans enfant à charge et qu’il ne justifie pas avoir de la famille en France ni être dépourvu de liens familiaux à Haïti ». En se fondant sur ces éléments factuels et en les confrontant à la situation administrative de l’étranger, le préfet a, selon la cour, exposé de manière adéquate les « considérations de droit et de fait qui en sont le fondement ». L’exigence de motivation est donc considérée comme satisfaite, la décision permettant à l’intéressé de comprendre les raisons de son éloignement et au juge d’exercer son contrôle. Cette approche pragmatique confirme une jurisprudence constante selon laquelle la motivation n’a pas à être exhaustive, mais doit être suffisamment précise pour éclairer les motifs de la décision administrative.
**B. La prééminence de l’ordre public dans l’appréciation de l’atteinte à la vie privée et familiale**
Le cœur de l’argumentation de la cour réside dans l’analyse de la proportionnalité de l’ingérence au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour ce faire, le juge procède à une balance des intérêts en présence. D’un côté, il prend en compte la durée de présence de l’étranger en France depuis 2016 et son intégration attestée par l’obtention d’un diplôme professionnel. De l’autre côté, il retient plusieurs éléments défavorables : le caractère célibataire et sans enfant de l’intéressé, son absence d’activité professionnelle, et surtout sa négligence à solliciter le renouvellement de son titre de séjour. La cour accorde une importance décisive à son interpellation en flagrant délit pour des faits de trafic de stupéfiants et de détention d’arme, y voyant une menace concrète pour l’ordre public. Face à ces agissements, la cour estime que les liens de l’intéressé avec la France ne sont pas d’une intensité telle que la décision d’éloignement puisse être qualifiée de disproportionnée. Elle conclut que « la décision en litige n’est pas de nature à porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé ». Le trouble à l’ordre public, combiné à la précarité volontaire du séjour, l’emporte ainsi sur l’ancienneté de la résidence sur le territoire national.
II. Une solution dictée par les circonstances de l’espèce
Si la décision est classiquement motivée au regard du droit positif, sa portée doit être analysée avec prudence. Elle apparaît en effet fortement déterminée par le comportement même de l’étranger (A), ce qui tend à la qualifier de décision d’espèce et à en limiter la portée jurisprudentielle (B).
**A. Une solution justifiée par le comportement personnel de l’étranger**
L’arrêt commenté illustre parfaitement la manière dont le juge administratif peut faire du comportement de l’administré un critère déterminant dans l’appréciation de sa situation. Deux éléments sont ici particulièrement significatifs. D’une part, la cour souligne à plusieurs reprises que l’intéressé n’a pas sollicité le renouvellement de son titre de séjour, se plaçant de lui-même en situation irrégulière. Cette inaction est interprétée comme un manque de volonté de s’intégrer durablement et de respecter les lois de la République, ce qui affaiblit considérablement la force de son argumentation fondée sur la durée de sa présence en France. D’autre part, et de manière plus décisive encore, son implication dans une affaire de trafic de stupéfiants constitue l’élément déclencheur et le principal fondement de la mesure d’éloignement. La gravité de ces faits suffit, aux yeux du juge, à justifier une réaction ferme de l’administration. La solution ne sanctionne donc pas un parcours d’intégration en soi, mais bien une rupture manifeste du contrat social par des agissements délictueux et une négligence administrative. La décision est ainsi moins une remise en cause du droit au séjour des étrangers intégrés qu’une sanction ciblée d’un comportement individuel jugé inacceptable.
**B. Une décision d’espèce à la portée jurisprudentielle limitée**
En raison de son ancrage factuel très marqué, la portée de cet arrêt doit être relativisée. Il ne s’agit pas d’un arrêt de principe qui viendrait modifier l’équilibre général de la jurisprudence relative à l’article 8 de la Convention. La solution aurait sans doute été différente si l’étranger, même en situation irrégulière, avait pu se prévaloir de liens familiaux plus intenses en France, d’une insertion professionnelle stable ou, surtout, d’une absence de trouble à l’ordre public. Le juge réaffirme ici une ligne jurisprudentielle bien établie : la protection de la vie privée et familiale n’est pas absolue et doit être mise en balance avec les impératifs de l’ordre public, dont la prévention des infractions pénales est une composante essentielle. L’arrêt constitue une application de ce principe à un cas d’école où les éléments à charge sont particulièrement nets. Il sert de rappel que l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure d’éloignement demeure une analyse « in concreto » où chaque élément du dossier est pesé. Par conséquent, cette décision ne saurait être interprétée comme le signe d’un durcissement général de la jurisprudence, mais plutôt comme la conséquence logique et prévisible de l’accumulation de circonstances défavorables propres à la situation personnelle de l’appelant.