Cour d’appel administrative de Nantes, le 6 juin 2025, n°25NT00600

Par un arrêt en date du 6 juin 2025, une cour administrative d’appel a statué sur les conditions de renouvellement d’un titre de séjour pour un étranger dont l’état de santé requiert une prise en charge médicale. En l’espèce, un ressortissant marocain, souffrant d’une pathologie psychiatrique sévère depuis de nombreuses années, avait sollicité le renouvellement de son titre de séjour pour raisons de santé. Il bénéficiait de la présence à ses côtés de sa mère, désignée comme sa tutrice par une décision de justice de son pays d’origine. L’Office français de l’immigration et de l’intégration, dans son avis, avait estimé que si l’état de santé de l’intéressé nécessitait une prise en charge dont le défaut entraînerait des conséquences d’une extrême gravité, il pourrait néanmoins bénéficier de soins appropriés dans son pays. Se fondant sur cet avis, le préfet avait refusé le renouvellement du titre, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’étranger, le tribunal administratif de Rennes avait annulé cet arrêté et enjoint à l’administration de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement qu’il n’était pas établi que l’état de santé du requérant nécessitait l’accompagnement de sa mère. Il appartenait donc à la cour de déterminer si la nécessité de la présence d’un proche, en raison de son impact sur l’état de santé d’un étranger, doit être prise en compte par l’autorité administrative pour apprécier l’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays d’origine. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative et rejeté la requête du préfet, confirmant ainsi l’analyse des premiers juges. Elle a considéré que les éléments médicaux et juridiques versés au dossier établissaient le caractère indispensable de la présence de la mère de l’intéressé pour sa stabilité psychique et, par conséquent, pour l’effectivité de sa prise en charge médicale.

Cette décision permet de préciser les contours du contrôle exercé par le juge sur l’appréciation de l’autorité administrative en matière de droit au séjour pour soins, en y intégrant pleinement la dimension de l’environnement personnel et familial du demandeur (I). Elle consacre ainsi une approche concrète et individualisée de la situation de l’étranger, dont la portée influe sur la nature des preuves à apporter dans ce type de contentieux (II).

I. L’intégration de l’environnement familial dans l’appréciation du droit au séjour pour soins

La cour administrative d’appel, tout en s’inscrivant dans le cadre juridique défini par l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en affine l’interprétation. Elle rappelle d’abord le mécanisme de contrôle classique de l’accès effectif aux soins (A), avant de l’enrichir en assimilant le soutien familial indispensable à une condition même de l’effectivité du traitement (B).

A. Le rappel du contrôle classique de l’accès effectif aux soins

Conformément à une jurisprudence constante, le refus de délivrance d’un titre de séjour à un étranger malade ne peut être légalement prononcé que s’il existe des possibilités de traitement approprié dans son pays d’origine. La décision commentée s’inscrit dans ce cadre en rappelant que le juge de l’excès de pouvoir contrôle l’appréciation de l’administration sur la nature et la gravité des risques qu’entraînerait un défaut de prise en charge. Le juge vérifie si l’étranger peut ou non bénéficier *effectivement* d’un traitement dans son pays. Cela implique d’examiner non seulement l’existence théorique de l’offre de soins, mais aussi son accessibilité concrète pour l’individu, compte tenu de son coût, des structures sanitaires, et de sa situation personnelle. La décision réitère ce principe en citant la grille d’analyse habituelle, qui pèse les risques pour la santé de l’intéressé face à l’offre de soins disponible dans le pays d’origine. Dans ce schéma, l’avis du collège de médecins de l’Office constitue un élément d’appréciation central, mais il ne lie pas l’autorité administrative ni le juge, qui conservent leur entier pouvoir d’appréciation.

B. L’assimilation du soutien familial à une condition d’effectivité du traitement

L’apport principal de l’arrêt réside dans la manière dont la cour évalue la notion de « traitement approprié ». Elle ne se limite pas à la disponibilité de médicaments ou de protocoles médicaux. Elle considère que l’environnement de l’étranger est une composante essentielle de l’efficacité des soins. En l’espèce, le juge prend appui sur un certificat médical circonstancié indiquant que « `la séparation d’avec son milieu maternel-familial ne peut qu’entraîner une pathologie traumatique qui se surajouterait à sa maladie propre` ». Ce faisant, la cour établit un lien de causalité direct entre la présence de la mère et la stabilité de l’état de santé du requérant. Ce soutien n’est plus un simple élément de confort ou de vie privée et familiale, mais une condition thérapeutique. Cette analyse est renforcée par la mention d’un jugement étranger ayant désigné la mère comme tutrice, objectivant ainsi son rôle indispensable dans la prise en charge de son fils. La cour en déduit que l’argument du préfet, qui tentait d’isoler la question médicale de celle du soutien familial, n’est pas fondé. Le traitement approprié n’est donc pas seulement une question de technique médicale, mais un ensemble de conditions, y compris affectives et psychologiques, qui permettent à la prise en charge de produire ses effets.

II. La portée d’une appréciation concrète et individualisée de la situation de l’étranger

En adoptant une telle lecture, la cour administrative d’appel renforce la primauté d’une analyse globale de la vulnérabilité du demandeur (A) et, par voie de conséquence, elle précise la force probante des éléments personnels et familiaux dans le débat contradictoire (B).

A. La consécration d’une approche globale de la vulnérabilité du demandeur

Cette décision illustre une tendance de fond de la jurisprudence administrative, qui tend à examiner la situation des personnes de manière de plus en plus concrète et individualisée, particulièrement lorsqu’un droit fondamental est en jeu. En refusant de dissocier la pathologie de l’individu qui la subit, avec ses attaches et son histoire, le juge s’écarte d’une application abstraite et purement administrative des textes. La vulnérabilité n’est pas seulement médicale, elle est aussi psychologique et sociale. Le fait que l’intéressé soit atteint d’une schizophrénie paranoïde depuis l’adolescence et que sa mère ait été sa principale aidante, reconnue juridiquement comme telle, constitue une « circonstance exceptionnelle » qui empêche l’accès effectif aux soins dans son pays d’origine, même si ces derniers y sont techniquement disponibles. La cour estime que priver le malade de ce soutien indispensable équivaudrait à le priver de l’effectivité de son traitement. Cette approche holistique garantit une meilleure protection des personnes dont la fragilité dépasse le seul cadre de leur pathologie.

B. La précision sur la force probante des éléments personnels et familiaux

Sur le plan probatoire, l’arrêt enseigne que des éléments précis et circonstanciés relatifs à la situation personnelle de l’étranger peuvent faire échec à l’avis du collège de médecins de l’Office, lorsque celui-ci conclut à la disponibilité de soins dans le pays d’origine. En l’espèce, un certificat médical d’un psychiatre qui suit le patient depuis plusieurs années et un jugement de tutelle étranger ont été jugés suffisants pour établir que le requérant ne pouvait effectivement bénéficier d’un traitement approprié sans la présence de sa mère. La décision met ainsi en lumière le poids que le juge accorde à des pièces qui ne sont pas purement médicales, mais qui éclairent de manière déterminante les conditions de la prise en charge. La cour confirme qu’il appartient bien à la partie qui conteste l’avis de l’Office d’apporter « des éléments de fait susceptibles de faire présumer » le bien-fondé de sa demande. Le préfet, en se bornant à contester la nécessité de la présence maternelle sans produire d’éléments contraires, n’a pas renversé cette présomption. Cette solution incite donc les parties, et notamment l’administration, à ne pas s’en tenir à une lecture littérale de l’avis médical de l’Office, mais à engager une discussion contradictoire sur tous les aspects de la situation personnelle de l’étranger.

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Hassan KOHEN
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