Cour d’appel administrative de Nantes, le 6 mai 2025, n°24NT01265

Un requérant de nationalité étrangère a sollicité l’acquisition de la nationalité française par naturalisation. Le préfet compétent a ajourné sa demande pour une durée de deux ans par une décision en date du 16 juin 2020. Cette décision était motivée par le comportement du postulant, jugé incompatible avec une telle mesure. L’intéressé a formé un recours administratif préalable obligatoire auprès du ministre de l’intérieur, qui a implicitement puis explicitement rejeté sa demande le 25 janvier 2021. L’étranger a alors saisi le tribunal administratif de Nantes afin d’obtenir l’annulation de la décision préfectorale initiale ainsi que du rejet ministériel. Par un jugement du 12 mars 2024, le tribunal a rejeté sa requête. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, limitant ses conclusions en appel à la seule annulation de la décision préfectorale du 16 juin 2020. Il soutenait que cette dernière était entachée d’une erreur de fait et d’une erreur manifeste d’appréciation, arguant de son intégration professionnelle et de l’absence de condamnation sur son casier judiciaire. Il contestait notamment la prise en compte de faits d’usage de faux en écriture ayant donné lieu à un simple rappel à la loi. Il appartenait donc à la juridiction d’appel de déterminer si des faits, n’ayant pas conduit à une condamnation pénale mais ayant fait l’objet d’un rappel à la loi, peuvent légalement fonder une décision d’ajournement de demande de naturalisation. Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle juge d’abord irrecevables les conclusions dirigées contre la décision du préfet, dès lors que la décision ministérielle prise sur recours préalable s’y est substituée. Se prononçant ensuite sur la légalité de cette décision ministérielle, la cour estime que l’administration a pu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, tenir compte de faits anciens ayant donné lieu à une amende pour travail dissimulé, mais également de faits d’usage de faux en écriture, bien que la procédure ait été classée sans suite. Elle précise que « si la procédure a donné lieu à un classement sans suite, cette circonstance ne fait pas obstacle à la prise en considération des agissements incriminés ».

Cette décision réaffirme le large pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration en matière de naturalisation (I), tout en précisant la portée des antécédents comportementaux dans l’évaluation de l’opportunité d’une telle mesure (II).

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**I. La réaffirmation du large pouvoir d’appréciation de l’administration**

La cour confirme la marge de manœuvre étendue de l’autorité administrative, tant dans la sélection des éléments factuels pertinents (A) que dans la soumission de sa décision à un contrôle juridictionnel restreint (B).

**A. La prise en compte de l’ensemble du comportement du postulant**

L’arrêt illustre la capacité de l’administration à fonder son appréciation sur une vision globale de la conduite du demandeur, au-delà des seules sanctions pénales. En l’espèce, le ministre s’est appuyé non seulement sur des faits de travail dissimulé ayant entraîné une amende, mais aussi sur une mise en cause pour usage de faux en écriture. Le requérant faisait valoir que cette dernière procédure, conclue par un simple rappel à la loi et un classement sans suite, était dénuée de valeur juridique. La cour écarte cet argument en opérant une distinction fondamentale entre l’issue d’une procédure pénale et la matérialité des faits.

Elle considère que le classement sans suite, qui est une mesure administrative prise par le procureur et non une décision juridictionnelle sur la culpabilité, ne prive pas les faits de leur existence. L’administration conserve ainsi la faculté de les prendre en considération pour évaluer la condition d’assimilation et de loyauté du candidat. Cette solution est classique et rappelle que l’appréciation portée en matière de naturalisation n’est pas une procédure de sanction, mais une évaluation de l’opportunité d’intégrer un nouveau membre à la communauté nationale, ce qui autorise un examen plus large du comportement passé.

**B. Le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation**

Conformément à une jurisprudence constante pour les décisions prises en opportunité, la cour exerce un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Le juge administratif ne substitue pas sa propre évaluation à celle du ministre, mais vérifie seulement que la décision ne repose pas sur une appréciation des faits qui serait manifestement erronée ou disproportionnée. En l’occurrence, la cour estime que les faits reprochés, à savoir l’emploi d’un étranger sans autorisation de travail et l’usage de faux, « n’étaient ni excessivement anciens ni dépourvus de gravité ».

En validant la décision d’ajournement, la juridiction confirme que de tels agissements sont de nature à faire naître un doute légitime sur l’intégration du postulant aux valeurs de la société française. Le large pouvoir d’appréciation reconnu au ministre implique que, dès lors que sa décision repose sur des faits matériellement établis et pertinents, le juge ne peut la censurer que si elle apparaît comme une sanction manifestement excessive au regard du comportement de l’intéressé. Tel n’était pas le cas en l’espèce, l’ajournement de deux ans constituant une mesure d’attente proportionnée.

Au-delà de la confirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration, l’arrêt précise la valeur accordée à des agissements passés n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation définitive.

**II. La portée des antécédents comportementaux sur l’octroi de la nationalité**

La décision souligne que l’évaluation administrative de la dignité d’un candidat à la nationalité se distingue de la qualification pénale de ses actes (A) et s’inscrit dans une conception exigeante de la condition d’assimilation (B).

**A. La dissociation entre la sanction pénale et l’évaluation administrative**

L’apport principal de l’arrêt réside dans la confirmation explicite que l’absence de condamnation pénale n’interdit pas la prise en compte des faits sous-jacents. La cour juge que la circonstance qu’une procédure pénale ait été classée sans suite « ne fait pas obstacle à la prise en considération des agissements incriminés ». Cette formule établit une claire dissociation entre la responsabilité pénale, qui requiert une preuve et une qualification juridique strictes, et l’appréciation administrative, qui vise à déterminer si le comportement d’un individu est compatible avec les attentes placées en un futur citoyen.

Un rappel à la loi, s’il n’est pas une déclaration de culpabilité, constitue néanmoins la reconnaissance par une autorité judiciaire que des faits répréhensibles ont bien été commis. L’administration est donc fondée à y voir l’indice d’un comportement qui, sans nécessairement justifier une sanction pénale, révèle une faille dans le respect des lois et des obligations sociales. La naturalisation n’étant pas un droit mais une faveur, l’autorité publique est en droit de faire preuve d’une vigilance particulière et de considérer des faits qui, aux yeux du juge pénal, ne méritaient pas une condamnation formelle.

**B. Une illustration de la conception exigeante de l’assimilation**

Cette jurisprudence s’inscrit dans une ligne constante qui fait de la naturalisation l’aboutissement d’un parcours d’intégration réussi et non une simple formalité administrative. En permettant au ministre de tenir compte de faits remontant à plusieurs années, la cour valide une approche où le passé du demandeur est examiné avec soin pour prédire son comportement futur en tant que citoyen. La décision d’ajournement, plutôt qu’un rejet définitif, agit ici comme une période probatoire, invitant le postulant à démontrer sur une plus longue durée son adhésion aux règles de la vie en société.

La solution retenue témoigne d’une conception exigeante de l’assimilation, qui ne se limite pas à la maîtrise de la langue ou à l’insertion professionnelle, mais englobe également une probité et une loyauté jugées irréprochables. L’arrêt, bien qu’étant une décision d’espèce, rappelle ainsi à tous les candidats à la nationalité française que tout manquement passé à leurs obligations légales, même s’il n’a pas été lourdement sanctionné, peut être retenu par l’administration dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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