Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel a statué sur les conditions d’établissement du lien de filiation dans le cadre d’une demande de réunification familiale pour l’enfant d’une personne réfugiée.
En l’espèce, une ressortissante étrangère ayant obtenu le statut de réfugiée en France a sollicité un visa de long séjour pour un enfant qu’elle présente comme son fils, afin qu’il puisse la rejoindre. Suite au refus implicite des autorités consulaires, un recours a été formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Cette commission a rejeté la demande par une décision explicite du 4 mai 2023, au motif que le lien de filiation n’était pas établi. Saisi par la mère, le tribunal administratif de Nantes a confirmé cette position par un jugement du 3 juin 2024. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation portée sur les preuves de sa filiation.
Le problème de droit soumis à la cour consistait donc à déterminer si un acte d’état civil étranger, même produit pour la première fois en appel et présentant des imperfections formelles, pouvait, lorsqu’il est corroboré par d’autres éléments, suffire à prouver un lien de filiation contesté par l’administration.
La cour administrative d’appel annule le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision de la commission. Elle juge que l’acte de naissance produit en appel, combiné aux déclarations constantes de la mère et à des éléments de possession d’état, établit suffisamment le lien de filiation. Par conséquent, le refus de visa était fondé sur un motif juridiquement erroné.
Cette décision rappelle utilement l’office du juge administratif dans le contrôle des preuves du lien familial (I), avant d’en appliquer les principes pour garantir l’effectivité du droit à la réunification familiale (II).
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I. La réaffirmation du pouvoir d’appréciation du juge sur la preuve du lien de filiation
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation extensive des modes de preuve admissibles en matière d’état des personnes. Elle rappelle ainsi que la validité d’un acte étranger n’est pas absolue (A) et que son appréciation doit dépasser les simples considérations formelles (B).
A. Le caractère non absolu de la force probante de l’acte d’état civil étranger
L’arrêt s’appuie sur les dispositions de l’article 47 du code civil, qui régit la valeur probante des actes d’état civil étrangers. Il rappelle la règle selon laquelle un tel acte, rédigé dans les formes locales, fait foi en France. Toutefois, cette présomption de validité n’est pas irréfragable. La cour souligne que « la force probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d’établir que l’acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact ».
Cette position confirme que ni l’administration ni le juge ne sont liés de manière automatique par la production d’un document étranger. Il appartient au juge administratif, en cas de contestation, de forger sa propre conviction au vu de tous les éléments du dossier. L’arrêt réitère ainsi la plénitude de son pouvoir de contrôle, qui l’oblige à examiner l’ensemble des pièces produites par les parties pour déterminer si les faits déclarés dans l’acte correspondent à la réalité.
B. Le dépassement des imperfections formelles de la preuve
Dans cette affaire, la cour administrative d’appel fait une application pragmatique des principes qu’elle énonce. Un certificat de naissance soudanais était produit pour la première fois en appel. La cour écarte d’emblée l’objection potentielle liée à sa présentation tardive ou à ses modalités de traduction. Elle énonce que « la seule circonstance que le traducteur de cet acte n’est pas un interprète assermenté n’est pas de nature à priver cet acte d’état-civil de sa force probante ».
Cette approche démontre que le juge privilégie la recherche de la vérité matérielle sur un formalisme excessif. En refusant de disqualifier une pièce probante pour un motif de forme mineur, la cour affirme que la valeur d’un document dépend avant tout de sa cohérence intrinsèque et de sa corroboration par d’autres éléments. L’analyse ne s’arrête donc pas à la matérialité de l’acte, mais s’étend à sa crédibilité dans le contexte global du dossier.
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II. L’application concrète au service du droit à la vie familiale
La cour ne se contente pas d’affirmer des principes généraux ; elle les met en œuvre de manière concrète pour censurer l’erreur d’appréciation de l’administration. Pour ce faire, elle recourt à la méthode du faisceau d’indices (A), ce qui la conduit à prononcer une sanction forte garantissant l’effectivité du droit en cause (B).
A. Le recours à la méthode du faisceau d’indices
Le raisonnement de la cour ne repose pas sur le seul acte de naissance. Il s’ancre dans une appréciation globale des faits et des preuves. La décision prend soin de relever plusieurs éléments concordants qui renforcent la crédibilité du lien de filiation allégué. La cour note ainsi que la requérante « a été constante dans ses déclarations, notamment lors de sa demande d’asile, concernant l’existence de cet enfant ».
De plus, l’arrêt précise que « cet acte d’état-civil est cohérent avec les autres éléments présentés par Mme C… au titre de la possession d’état ». En combinant la preuve par titre (l’acte de naissance) et la preuve par les faits (la possession d’état et la constance des déclarations), la cour utilise la technique du faisceau d’indices pour établir sa conviction. Cette méthode permet de surmonter le doute initial de l’administration et de considérer le lien familial comme suffisamment établi.
B. La sanction de l’erreur d’appréciation par une injonction de délivrance
Tirant les conséquences logiques de son analyse, la cour administrative d’appel conclut que le motif de refus opposé par la commission était infondé. Elle annule donc la décision attaquée pour méconnaissance de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais la portée de l’arrêt ne se limite pas à cette annulation.
La cour juge en effet que « l’exécution du présent arrêt implique nécessairement qu’un visa de long séjour soit délivré au jeune A… B… ». Elle adresse une injonction directe au ministre de l’intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois. Ce faisant, elle assure l’entière effectivité de sa décision et du droit à la réunification familiale du réfugié, protégé par les textes nationaux et internationaux. Cette injonction transforme une victoire contentieuse en un droit concret et immédiat pour l’enfant concerné.