En l’espèce, un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 7 février 2025 vient préciser les conditions d’engagement de la responsabilité d’une collectivité publique du fait d’un dommage causé à un usager par un ouvrage public. Un conducteur de cyclomoteur a été grièvement blessé après avoir heurté un arbre tombé en travers d’une voie communale en pleine nuit. Saisi par la victime et d’autres ayants droit, le tribunal administratif de Rennes avait rejeté leur demande d’indemnisation dirigée contre la commune par un jugement en date du 12 octobre 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision, soutenant que la commune avait manqué à son obligation d’entretien de la voie publique et que la victime n’avait commis aucune faute. La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si la chute soudaine d’un arbre apparemment sain sur la chaussée suffisait à caractériser un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public de nature à engager la responsabilité de la commune. La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête, considérant que la collectivité rapporte la preuve d’un entretien normal de l’ouvrage, ce qui l’exonère de sa responsabilité. Bien que la cour reconnaisse que l’arbre faisait partie des dépendances de l’ouvrage public, elle estime que sa chute était imprévisible et ne révélait aucune négligence de la part de la commune.
Cette décision illustre le raisonnement en deux temps traditionnellement appliqué en matière de responsabilité pour dommage d’ouvrage public, en confirmant d’abord le lien entre le dommage et l’ouvrage (I), pour ensuite admettre une cause d’exonération qui limite la portée de l’indemnisation pour l’usager (II).
I. L’identification préalable du lien entre le dommage et l’ouvrage public
Pour que le régime de responsabilité du fait d’un ouvrage public s’applique, le juge doit d’abord s’assurer que le dommage trouve bien son origine dans un tel ouvrage. La cour s’attache à cette vérification en retenant une définition extensive de l’ouvrage public (A), avant de se pencher sur les causes exonératoires de responsabilité (B).
A. L’application extensive de la notion d’accessoire de l’ouvrage public
Le juge administratif confirme une jurisprudence constante selon laquelle les dépendances nécessaires à un ouvrage public en font partie intégrante. En l’espèce, la commune contestait que l’arbre lui appartînt, arguant qu’il se situait sur une parcelle privée voisine. La cour écarte cet argument en se fondant sur un rapport d’expertise qui localisait l’arbre sur le talus bordant la chaussée. Elle juge que « le talus, jusqu’à sa crête, est nécessaire au soutien de la chaussée ou à sa protection, notamment en participant au bon écoulement des eaux pluviales, et constitue, par suite, un accessoire indispensable de la voie publique ». Cette qualification est déterminante car elle ancre l’accident dans le périmètre de la responsabilité administrative. En qualifiant le talus d’accessoire indispensable, la cour rattache l’arbre qui s’y trouvait au domaine public routier de la commune. Ainsi, la condition première de l’engagement de la responsabilité du maître de l’ouvrage est satisfaite, le dommage étant bien imputable à un élément de l’ouvrage public dont la commune avait la garde.
B. La reconnaissance du caractère imprévisible de la chute comme preuve de l’entretien normal
Une fois le lien de causalité établi, le maître de l’ouvrage peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve l’entretien normal de l’ouvrage, la faute de la victime ou un cas de force majeure. La cour se concentre ici sur la première cause d’exonération. Elle constate que la chute de l’arbre a été soudaine et que la commune n’avait pas été avertie du danger avant l’accident. Le juge s’appuie sur les éléments du dossier pour affirmer que « rien ne laissait présager la chute de cet arbre qui ne présentait pas une inclinaison particulière ou un risque avéré de déracinement qui aurait dû conduire la commune à intervenir ». Les photographies et les témoignages recueillis indiquent que l’arbre ne manifestait aucun signe extérieur de dépérissement ou de fragilité. Par conséquent, la cour conclut que la commune, n’ayant pu déceler un quelconque danger, doit être regardée comme ayant procédé à un entretien normal de la voie et de ses dépendances. Cette approche démontre que l’obligation d’entretien pesant sur la collectivité est une obligation de moyens et non de résultat.
II. Une solution rigoureuse pour l’usager victime
En validant l’exonération de la commune, la cour rend une décision qui, tout en étant juridiquement fondée, soulève des questions quant à la répartition du risque entre la collectivité et l’usager. L’appréciation de la valeur de cette solution est discutable (A), tandis que sa portée confirme une tendance jurisprudentielle limitant l’indemnisation des victimes face à certains aléas (B).
A. Une appréciation critiquable de l’obligation d’entretien
La décision peut sembler sévère pour l’usager qui, sans commettre de faute, subit un préjudice grave du fait d’un défaut objectif de la voie publique. En se contentant de l’absence de signes extérieurs de dangerosité de l’arbre, le juge adopte une vision restrictive de l’obligation de surveillance qui incombe au maître de l’ouvrage. On pourrait en effet s’interroger sur le niveau de diligence attendu d’une commune dans le suivi de son patrimoine arboré longeant les voies de circulation. Exiger la preuve d’un « risque avéré » pour caractériser un défaut d’entretien normal place la barre très haut pour la victime. Cette solution pragmatique, qui évite d’imposer aux personnes publiques une surveillance préventive exhaustive et coûteuse, conduit à faire peser le risque d’un accident lié à une défaillance non visible sur l’usager. La notion d’entretien normal est ainsi interprétée d’une manière qui favorise la collectivité gestionnaire au détriment de la sécurité de celui qui emprunte l’ouvrage.
B. La confirmation d’une responsabilité sans faute mais non sans limite
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence bien établie qui, bien que posant un régime de responsabilité sans faute, n’instaure pas une garantie absolue pour l’usager. Il réaffirme que le risque inhérent à l’utilisation d’un ouvrage public n’est pas intégralement pris en charge par la collectivité. La solution retenue est une décision d’espèce, mais elle est révélatrice des limites de l’indemnisation lorsque le dommage est lié à un événement d’origine naturelle, soudain et imprévisible. Le juge rappelle que l’usager doit supporter une part de risque, notamment celle liée aux aléas que le maître de l’ouvrage ne pouvait raisonnablement anticiper ni prévenir. La responsabilité de la puissance publique est ainsi contenue, et la solidarité nationale ne va pas jusqu’à couvrir tous les dommages accidentels survenant sur le domaine public, même en l’absence de toute faute de la victime.