Cour d’appel administrative de Nantes, le 7 mars 2025, n°23NT02133

La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu le 7 mars 2025 un arrêt précisant les pouvoirs de l’administration face à une fraude à la filiation. Le litige portait sur le refus de délivrer une carte nationale d’identité et un passeport à un enfant mineur dont la nationalité française était contestée. L’autorité administrative soupçonnait une reconnaissance de paternité frauduleuse destinée uniquement à obtenir des titres de séjour et la nationalité pour l’enfant ainsi que pour sa mère.

Une ressortissante étrangère a sollicité ces documents pour son fils né en 2017 et reconnu par un citoyen français quelques mois avant sa naissance. Le préfet a opposé un refus explicite après une phase de référé, estimant que l’acte de reconnaissance constituait une manœuvre frauduleuse manifeste. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de la requérante par un jugement du 16 mai 2023 dont elle a ensuite interjeté appel.

La question posée au juge consistait à savoir si l’administration peut légalement écarter un acte civil de filiation pour refuser la délivrance de titres d’identité. La juridiction d’appel confirme que l’autorité préfectorale doit faire échec à la fraude, même si celle-ci se présente sous la forme d’un acte de droit privé. La solution retenue par le juge valide l’exercice d’un contrôle de sincérité sur les actes civils avant d’en tirer les conséquences matérielles dans l’espèce.

I. La reconnaissance d’un pouvoir administratif de contrôle de la filiation

A. La primauté de la lutte contre la fraude sur l’opposabilité des actes privés Le juge administratif rappelle qu’il appartient aux autorités de s’assurer que les pièces produites à l’appui d’une demande de titre établissent réellement la nationalité. Bien qu’un acte de droit privé soit normalement opposable aux tiers, « il appartient cependant à l’administration, lorsque se révèle une fraude, d’y faire échec ». Ce principe général du droit permet d’écarter l’application de dispositions de droit public indûment sollicitées par le biais d’une manœuvre trompeuse. L’administration exerce ainsi une compétence de contrôle de la régularité des preuves qui lui sont soumises lors de l’instruction d’une demande.

B. L’autonomie de la décision administrative face au juge judiciaire La décision souligne que l’administration doit exercer ses propres compétences sans être tenue de renvoyer une question préjudicielle à l’autorité judiciaire civile compétente. La Cour précise que l’autorité administrative peut ne pas tenir compte d’actes de droit privé opposables tant qu’une action en contestation n’a pas abouti. Cette autonomie décisionnelle permet une réaction rapide du préfet face à des situations où la fraude au droit de la nationalité est suspectée. L’absence d’annulation préalable du lien de filiation par le juge judiciaire ne fait pas obstacle au refus administratif de délivrer les titres.

II. L’établissement souverain du caractère frauduleux de la reconnaissance

A. Le faisceau d’indices matériels démontrant l’absence de lien réel Le juge valide le raisonnement du préfet en s’appuyant sur plusieurs éléments factuels concordants démontrant l’absence de toute relation réelle entre le père et l’enfant. L’auteur de la reconnaissance avait également reconnu deux autres enfants nés de mères différentes en situation irrégulière sur une très courte période chronologique. Les magistrats relèvent que l’intéressé n’a jamais participé à l’entretien de l’enfant et a ignoré systématiquement les convocations administratives ou judiciaires pour s’en expliquer. Ces circonstances permettent d’établir que « la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le seul but de faciliter l’obtention de la nationalité française ».

B. L’éviction de la force probante du certificat de nationalité française La solution apportée par la Cour écarte l’argument fondé sur la possession d’un certificat de nationalité française délivré antérieurement à l’enfant par les services judiciaires. Le juge administratif estime que ce document ne fait foi que jusqu’à la preuve du contraire et ne saurait couvrir une fraude initiale. L’arrêt affirme que le préfet a fait une exacte application du droit « sans qu’y fasse obstacle le certificat de nationalité délivré (…) sur présentation de cet acte frauduleux ». La primauté de la réalité des faits sur l’apparence juridique protège ainsi l’intégrité de l’accès aux droits civiques et à la nationalité française.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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