Cour d’appel administrative de Nantes, le 7 mars 2025, n°23NT03741

Par un arrêt en date du 7 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a statué sur la régularité d’une ordonnance de première instance constatant un désistement d’office, en raison du dépôt tardif d’un mémoire complémentaire par une requérante.

Une fonctionnaire, admise en qualité d’élève au sein d’une école de la fonction publique, s’est vu notifier une décision lui octroyant une indemnité de maintien de rémunération. Estimant le calcul de cette indemnité erroné, notamment en ce qu’il ne tenait pas compte de sa promotion récente, elle a formé un recours gracieux, lequel a été rejeté. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Rennes par le biais de l’application de saisine en ligne, en annonçant la production d’un mémoire complémentaire. Le greffe du tribunal lui a adressé une mise en demeure de produire ce mémoire, lui accordant un délai supplémentaire expirant à une heure précise. La requérante n’ayant déposé son mémoire que trois quarts d’heure après l’échéance fixée, le président de la formation de jugement a, par ordonnance, donné acte de son désistement sur le fondement de l’article R. 612-5 du code de justice administrative. La requérante a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant d’une part son irrégularité formelle, et d’autre part l’existence d’un dysfonctionnement technique de l’application de téléprocédure qui l’aurait empêchée de respecter le délai.

La question de droit posée à la cour était de déterminer si un justiciable qui invoque une défaillance technique d’une plateforme de saisine en ligne pour justifier le non-respect d’un délai de production est dispensé de rapporter une preuve circonstanciée de cet empêchement pour faire obstacle à un désistement d’office. La Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête. Elle juge que les éléments produits par la requérante, n’étant ni datés ni probants, ne permettent pas d’établir la réalité du dysfonctionnement allégué durant la matinée concernée. Par conséquent, la cour estime que le premier juge a pu à bon droit considérer que la requérante devait être réputée s’être désistée de sa requête.

La solution retenue par la cour réaffirme la rigueur des sanctions procédurales en cas de négligence du requérant (I), tout en soulignant l’impératif probatoire qui pèse sur celui qui se prévaut d’une défaillance technique des outils de justice dématérialisée (II).

I. La confirmation de la rigueur du désistement d’office

La cour valide sans surprise le mécanisme du désistement d’office, rappelant son caractère quasi automatique lorsque la diligence du requérant fait défaut (A), et écarte par ailleurs un moyen de pure forme qui ne saurait entacher la régularité de la décision de première instance (B).

A. La sanction rigoureuse du manquement à une diligence procédurale

Le désistement d’office prévu à l’article R. 612-5 du code de justice administrative est un outil essentiel à la bonne administration de la justice, destiné à purger la procédure des requêtes qui ne sont pas poursuivies par leurs auteurs. En l’espèce, la requérante, après avoir annoncé un mémoire complémentaire, avait été mise en demeure de le produire dans un délai précis. La cour relève que le mémoire a été produit tardivement, ce qui suffit en principe à caractériser le défaut de diligence. La décision rappelle ainsi que le respect des délais impartis par la juridiction constitue une obligation substantielle pour le justiciable. En considérant que « le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Rennes a pu considérer à bon droit qu’en l’absence de production du mémoire complémentaire annoncé avant la date et l’heure fixées dans la lettre du greffe, [la requérante] devait être réputée s’être désistée de sa requête », l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui voit dans le non-respect des délais une présomption de renonciation à l’instance. Cette rigueur garantit que les juridictions ne restent pas indéfiniment saisies de dossiers en déshérence et permet une gestion plus efficace du contentieux.

B. L’indifférence envers un vice de forme non substantiel

La requérante soulevait également l’irrégularité de l’ordonnance au motif que l’ampliation qui lui avait été notifiée ne comportait pas la signature manuscrite du magistrat. La cour écarte ce moyen avec une grande fermeté, en se fondant sur l’article R. 742-5 du code de justice administrative. Elle opère une distinction classique entre la minute de la décision, qui est l’original conservé au greffe et qui doit être signé, et l’ampliation, qui n’est qu’une copie notifiée aux parties. La cour constate que « l’ordonnance attaquée a été signée par M. Nicolas Tronel, président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Rennes, conformément aux prescriptions de l’article R. 742-5 du code de justice administrative ». Elle en déduit logiquement que « la circonstance que l’ampliation de l’ordonnance qui a été notifiée à Mme A… ne comporte pas cette signature est sans incidence sur la régularité de cette ordonnance ». Cette solution, bien établie, prévient l’annulation de décisions pour des motifs de pur formalisme qui ne lèsent en rien les droits des parties et ne portent pas atteinte au caractère contradictoire de la procédure.

La stricte application des règles de procédure conduit ainsi au rejet des moyens formels, reportant l’issue du litige sur la seule question de la preuve de l’empêchement technique invoqué par la requérante.

II. L’exigence probatoire à l’ère de la justice dématérialisée

La généralisation des téléprocédures engendre de nouveaux types d’incidents, dont la charge de la preuve incombe entièrement au justiciable qui s’en prévaut (A), ce qui emporte des conséquences pratiques importantes pour la sécurité juridique des échanges dématérialisés (B).

A. La charge de la preuve du dysfonctionnement technique pesant sur le requérant

Le cœur de l’argumentation de la requérante reposait sur l’impossibilité matérielle de déposer son mémoire en temps voulu, en raison d’une panne de l’application Télérecours citoyen. La cour ne conteste pas par principe qu’un tel événement puisse constituer un cas de force majeure excusant le non-respect d’un délai. Cependant, elle se montre particulièrement exigeante quant à la preuve de cet événement. La décision analyse méticuleusement les pièces fournies : « la photo d’écran de télérecours citoyen faisant état d’un incident technique et celle relative à un échange téléphonique sur l’application whatsapp avec une amie portant sur cet incident, qui ne sont pas datées, ainsi que la copie d’un extrait de la facture détaillée des appels téléphoniques […], ne permettent pas d’identifier un problème technique ». Le raisonnement de la cour est implacable. En l’absence de datation, de mention du numéro de téléphone du tribunal ou de tout autre élément permettant d’établir avec certitude le lieu et le moment de l’incident, les preuves sont jugées insuffisantes. Cette solution est une application directe du principe selon lequel la charge de la preuve appartient à celui qui allègue un fait à son avantage.

B. La portée de la décision pour la sécurité des téléprocédures

En validant le raisonnement du premier juge, la cour administrative d’appel adresse un message clair aux justiciables qui utilisent les portails de justice en ligne. Elle les incite à une vigilance accrue et à une grande rigueur dans la constitution de leurs preuves en cas d’incident technique. Un simple dysfonctionnement ne suffit pas ; il doit être documenté de manière précise et irréfutable. La décision suggère implicitement les types de preuves qui auraient pu être recevables : une capture d’écran horodatée, un courriel de réclamation envoyé immédiatement au support technique de la juridiction, voire un constat d’huissier dans les cas les plus critiques. Cette jurisprudence, si elle peut paraître sévère, est nécessaire à la fiabilité des procédures dématérialisées. Elle prévient les allégations dilatoires et garantit que seules les véritables impossibilités d’agir sont prises en compte, renforçant ainsi la confiance de tous les acteurs dans ces nouveaux outils de communication avec la justice administrative. L’arrêt souligne que la dématérialisation, si elle facilite l’accès au juge, ne dispense pas le justiciable de sa responsabilité procédurale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture