Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur la régularité d’une procédure de rectification fiscale et sur la qualification des revenus issus d’une activité d’entremise non déclarée.
En l’espèce, un contribuable a fait l’objet d’une procédure de contrôle fiscal portant sur plusieurs années. L’administration fiscale, s’appuyant notamment sur des éléments recueillis auprès de l’autorité judiciaire dans le cadre d’une procédure pénale, a considéré que des sommes importantes créditées sur ses comptes bancaires constituaient la rémunération d’une activité occulte d’intermédiaire. En conséquence, elle a procédé à des rehaussements en matière d’impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités pour activité occulte. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 14 juin 2023. Il a alors interjeté appel de cette décision. Devant la Cour, le requérant soulevait de multiples irrégularités de procédure, arguant notamment d’une violation du principe de l’égalité des armes et du droit à un procès équitable du fait de l’utilisation d’informations issues d’un dossier pénal auquel il n’avait pas pleinement accès. Il contestait également le point de départ du contrôle, le défaut de motivation de l’avis de vérification, ainsi que la tardiveté de la communication de certaines pièces par l’administration. Sur le fond, il contestait la qualification de ses revenus, l’existence d’une activité occulte et, par conséquent, l’extension du délai de reprise de l’administration et l’application des pénalités.
Se posait alors la question de savoir si des revenus tirés d’une activité d’intermédiation occasionnelle mais lucrative, non déclarée par le contribuable, pouvaient être qualifiés de bénéfices non commerciaux et caractériser une activité occulte justifiant l’extension du délai de reprise de l’administration à dix ans et l’application d’une majoration. De plus, il était demandé à la cour de déterminer si l’utilisation par l’administration fiscale d’éléments issus d’une procédure pénale distincte, sans que le contribuable ait un accès complet à celle-ci, portait atteinte aux garanties procédurales et au droit à un procès équitable.
La Cour administrative d’appel a rejeté l’ensemble des moyens du requérant. Elle a d’abord jugé que les garanties du procès équitable prévues par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’appliquaient pas à la procédure administrative d’imposition, mais uniquement à la phase contentieuse devant les juridictions. Elle a ensuite validé la procédure de contrôle menée par l’administration, en précisant que le droit de communication est une prérogative distincte qui peut précéder une vérification de comptabilité, et que l’avis de vérification n’a pas à mentionner la nature de l’activité contrôlée. Sur le fond, la Cour a confirmé que les sommes perçues par le contribuable en contrepartie de son rôle d’intermédiaire relevaient bien de la catégorie des bénéfices non commerciaux, et que l’absence de toute déclaration caractérisait une activité occulte. Elle en a déduit que l’administration était fondée à appliquer le délai de reprise étendu de dix ans ainsi que la majoration de 80 % pour activité occulte.
I. La stricte délimitation des garanties procédurales du contribuable face aux prérogatives de l’administration
La décision de la Cour administrative d’appel réaffirme une conception rigoureuse de l’équilibre entre la protection des droits du contribuable et l’efficacité de l’action administrative. Elle opère une distinction nette entre la phase d’imposition et la phase contentieuse s’agissant de l’application du droit au procès équitable (A), tout en confirmant la légalité des modalités d’engagement du contrôle fiscal fondé sur le droit de communication (B).
A. Une application restreinte des garanties du procès équitable à la procédure d’imposition
Le requérant soutenait que l’utilisation par l’administration fiscale d’éléments provenant d’un dossier pénal auquel son accès était limité violait le principe de l’égalité des armes et le droit à un procès équitable. La Cour écarte ce moyen en s’appuyant sur une interprétation classique de la portée de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle rappelle en effet que ces stipulations, relatives aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou au bien-fondé d’une accusation en matière pénale, ne régissent pas les procédures administratives. La Cour énonce ainsi que « ces stipulations ne sont applicables qu’aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu’elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale, et non aux procédures administratives ». Cette solution confirme que les garanties du procès équitable ne s’étendent pas à la phase de détermination de l’assiette de l’impôt, qui demeure une procédure inquisitoriale menée par l’administration. De même, la Cour juge que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’a pas été méconnu, dès lors que le contribuable a bien été informé de l’origine et de la teneur des renseignements utilisés et a pu y avoir accès dans un délai raisonnable avant la mise en recouvrement, ce qui préserve ses droits de la défense.
B. La validation d’une procédure de contrôle fondée sur l’exercice du droit de communication
Le contribuable arguait également de l’irrégularité de la procédure de vérification de comptabilité, estimant qu’elle avait débuté avant la réception de l’avis formel, par l’exercice du droit de communication auprès de l’autorité judiciaire. La Cour rejette cette argumentation en rappelant que le droit de communication et la vérification de comptabilité sont deux procédures distinctes et autonomes. Elle précise qu’« aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l’administration exerce son droit à communication avant de diligenter, si elle le juge utile, une vérification de comptabilité ». Par cette formule, la juridiction conforte la liberté d’action de l’administration dans la collecte d’informations. De surcroît, elle réfute l’argument selon lequel l’avis de vérification aurait dû préciser la nature de l’activité concernée par le contrôle. La Cour affirme en effet qu’« aucune disposition ni aucun principe ne prescrit à l’administration fiscale d’indiquer, dans l’avis qu’elle adresse au contribuable […] la nature de l’activité et la catégorie de revenus sur lesquelles portera la vérification ». Cette interprétation littérale des textes du livre des procédures fiscales préserve les prérogatives du service vérificateur et refuse d’ajouter des contraintes procédurales non prévues par la loi.
II. La confirmation des lourdes conséquences attachées à l’exercice d’une activité occulte
Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt est éclairant sur les conséquences substantielles découlant de la qualification des revenus et de la reconnaissance d’une activité non déclarée. La Cour confirme l’inclusion des profits litigieux dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et caractérise l’existence d’une activité occulte (A), ce qui justifie en cascade l’extension du délai de reprise et l’application de pénalités sévères (B).
A. La qualification extensive des bénéfices non commerciaux et la caractérisation de l’activité occulte
Le tribunal administratif avait procédé à une substitution de base légale, qualifiant les revenus de bénéfices non commerciaux (BNC) alors que l’administration les avait initialement rangés parmi les bénéfices industriels et commerciaux (BIC). La Cour valide cette requalification. Elle retient que les sommes perçues en contrepartie d’une intervention en qualité d’intermédiaire, même si elles présentent un caractère occasionnel, constituent une source de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de revenus. Elle juge que « la seule circonstance que cette source de profit, qui n’est pas, par nature, insusceptible de se renouveler, ait été occasionnelle ne fait pas obstacle à la qualification de bénéfice non commercial ». Cette solution illustre le caractère résiduel et large de la catégorie des BNC définie à l’article 92 du code général des impôts. Par ailleurs, la Cour confirme la qualification d’activité occulte, relevant que le contribuable « n’a ni déposé les déclarations fiscales correspondant aux sommes perçues, ni fait connaître son activité auprès d’un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce ». L’occultation est donc factuellement établie par l’absence de toute démarche déclarative, ce qui emporte des conséquences majeures.
B. L’application rigoureuse du délai de reprise spécial et des pénalités afférentes
La caractérisation de l’activité occulte constitue le fondement de l’extension du délai de reprise et de l’application de lourdes sanctions. Conformément à l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, l’existence d’une telle activité permet à l’administration de remonter jusqu’à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due, au lieu du délai de droit commun de trois ans. La Cour estime logiquement qu’« en présence d’une activité occulte d’entremise et en application de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, l’administration était fondée à étendre son droit de reprise ». De la même manière, l’application de la majoration de 80 % prévue par l’article 1728 du code général des impôts est une conséquence directe et justifiée de cette qualification. L’arrêt confirme ainsi l’automaticité et la rigueur des sanctions prévues par le législateur pour réprimer la dissimulation d’une activité économique. La solution est identique pour l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, l’activité d’entremise constituant une prestation de services réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, ce qui la rend imposable.