Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une autorisation de recherche sur l’embryon humain délivrée par l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. En l’espèce, une agence sanitaire avait autorisé un établissement public hospitalier à mettre en œuvre un essai clinique visant à évaluer l’efficacité d’une technique de diagnostic chromosomique sur des embryons conçus in vitro, dans le but d’améliorer les chances de succès de l’assistance médicale à la procréation. Une fondation a saisi le Tribunal administratif de Montreuil d’une demande d’annulation de cette autorisation, au motif principal que la technique de diagnostic employée n’était pas légalement autorisée en France. Par un jugement du 7 février 2024, les premiers juges ont fait droit à cette demande et annulé la décision. L’agence sanitaire et l’établissement hospitalier ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le régime juridique applicable à la recherche sur l’embryon permettait de déroger aux règles encadrant les pratiques cliniques courantes de l’assistance médicale à la procréation. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si un protocole de recherche impliquant la personne humaine peut légalement inclure une technique de diagnostic qui n’est pas reconnue au nombre des activités cliniques et biologiques autorisées en matière d’assistance médicale à la procréation. La Cour administrative d’appel rejette les requêtes de l’agence et de l’établissement hospitalier, confirmant ainsi l’annulation de l’autorisation de recherche. Elle juge que si les recherches menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation relèvent d’un régime d’autorisation spécifique, elles doivent néanmoins porter sur des « activités cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation ». Or, la cour constate que le diagnostic préimplantatoire en cause ne figure pas dans la liste de ces activités, ce qui rend l’autorisation de recherche illégale.
La Cour administrative d’appel confirme ainsi l’annulation de l’autorisation en appliquant une lecture stricte des différents régimes juridiques (I), une solution qui, bien que juridiquement fondée, interroge quant à ses conséquences sur l’évolution de la recherche biomédicale (II).
I. La confirmation de l’illégalité de l’autorisation de recherche par une application stricte des régimes juridiques
La Cour administrative d’appel, pour confirmer la censure de la décision de l’agence sanitaire, reconnaît l’existence d’un cadre spécifique pour la recherche sur l’embryon mais le subordonne au respect du périmètre des pratiques autorisées en assistance médicale à la procréation (B), rejetant ainsi la thèse d’une autonomie totale de ce régime de recherche (A).
A. L’autonomie du régime de la recherche sur l’embryon affirmée mais cantonnée
Le raisonnement des requérants reposait sur l’idée que la recherche biomédicale sur l’embryon humain, encadrée par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, constitue un régime spécial et dérogatoire. Selon cette thèse, ce cadre législatif aurait précisément pour objet de permettre l’évaluation de techniques nouvelles qui, par définition, ne sont pas encore autorisées en pratique courante. L’autorisation de recherche délivrée par l’autorité compétente se suffirait donc à elle-même, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la procédure étudiée est déjà listée parmi les actes d’assistance médicale à la procréation. La cour ne nie pas l’existence de ce régime spécifique, qui permet de conduire des recherches sur l’embryon in vitro « avant ou après son transfert à des fins de gestation ».
Cependant, la juridiction d’appel refuse de conférer une portée absolue à cette autonomie. Elle lie l’application de ce régime de recherche à une condition essentielle tirée d’autres dispositions réglementaires. En effet, elle s’appuie sur l’article R. 1125-14 du code de la santé publique qui précise que ces recherches doivent porter sur « les activités cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation ». C’est par cette articulation des textes que la cour encadre strictement la liberté laissée aux chercheurs, la soumettant au respect d’un périmètre d’activités déjà défini par le législateur et le pouvoir réglementaire.
B. La subordination de la recherche aux pratiques autorisées en assistance médicale à la procréation
L’argument central de l’arrêt repose sur une interprétation combinée des textes régissant la recherche et ceux listant les pratiques autorisées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. La cour énonce clairement que « cet essai implique un diagnostic préimplantatoire, régi par l’article L. 2131-4 du code de la santé publique, lequel ne constitue pas une activité clinique ou biologique relevant de l’assistance médicale à la procréation en vertu des articles L. 2141-1, L. 2141-2 et R. 2142-1 de code ». La conclusion est dès lors imparable : l’autorisation a été délivrée pour une recherche portant sur un acte qui n’entre pas dans le champ légal de l’assistance médicale à la procréation, elle est par conséquent entachée d’illégalité.
Cette solution revient à poser une hiérarchie entre les normes, où le cadre général de l’assistance médicale à la procréation prime sur les possibilités ouvertes par le régime de la recherche. En d’autres termes, une technique ne peut être évaluée dans le cadre d’un protocole de recherche que si elle est déjà, au moins en principe, reconnue comme une activité potentielle de l’AMP. Le juge administratif se fait ici le gardien de la cohérence des dispositifs bioéthiques et refuse que l’autorisation de recherche ne devienne un moyen de contourner les interdictions ou les silences du législateur concernant les pratiques cliniques.
En retenant une telle solution, la juridiction d’appel opère un choix d’interprétation dont il convient d’apprécier la valeur et d’interroger la portée.
II. La portée d’une solution protectrice de la cohérence du droit positif au détriment de l’évolution scientifique
La décision de la Cour administrative d’appel, en faisant prévaloir une lecture littérale des textes, conforte la volonté du législateur en matière de bioéthique (A), mais elle expose également les limites d’une approche restrictive qui pourrait freiner l’innovation biomédicale (B).
A. La valeur d’une interprétation littérale confortant la volonté du législateur
L’arrêt présente la valeur d’une décision qui assure la sécurité juridique et le respect de la hiérarchie des normes. En refusant qu’une agence administrative puisse, par le biais d’une autorisation de recherche, permettre l’expérimentation d’une pratique non validée par la loi, le juge administratif garantit la primauté de la volonté du législateur. Dans un domaine aussi sensible que la bioéthique, où chaque nouvelle technique soulève des questions éthiques fondamentales, cette prudence juridique apparaît comme une garantie contre d’éventuelles dérives. La cour s’assure que toute évolution substantielle des pratiques autorisées sur l’embryon demeure de la compétence exclusive du Parlement.
Cette interprétation stricte a également le mérite de clarifier les compétences respectives de l’agence sanitaire et de l’Agence de la biomédecine. La première autorise les protocoles de recherche, tandis que la seconde participe à la définition des bonnes pratiques. En liant l’autorisation de recherche au périmètre des activités d’AMP, la cour évite que des zones grises ne permettent l’émergence de pratiques nouvelles en dehors du cadre de concertation et de surveillance prévu par la loi. La solution est donc cohérente avec une vision du droit de la bioéthique fondé sur des autorisations expresses et limitativement énumérées.
B. Les limites d’une approche restrictive face aux enjeux de la recherche biomédicale
Toutefois, cette lecture rigoureuse n’est pas exempte de critiques au regard des finalités mêmes de la recherche scientifique. Le but d’un essai clinique est précisément d’évaluer la balance bénéfice-risque d’une technique qui n’est pas encore établie, afin de déterminer si elle doit être intégrée à l’arsenal thérapeutique ou diagnostique. En subordonnant la possibilité de mener une recherche à l’autorisation préalable de la technique étudiée, la décision crée une forme de paradoxe. Une technique ne pourra être autorisée en pratique courante sans avoir fait la preuve de son efficacité, mais cette preuve ne pourra être apportée par la recherche si la technique n’est pas déjà, d’une certaine manière, pré-autorisée.
Cette situation risque de freiner considérablement l’innovation en France dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, alors que l’arrêt mentionne que la pratique en cause est déjà autorisée dans plusieurs pays européens. La décision commentée pourrait ainsi contraindre les chercheurs à attendre une modification législative ou réglementaire pour chaque nouvelle piste explorée, un processus souvent long et complexe. Il est donc possible de s’interroger sur la portée de cette décision : s’agit-il d’une solution d’espèce, liée à la sensibilité du diagnostic préimplantatoire, ou d’un principe général destiné à encadrer strictement toute recherche future en AMP, au risque de la scléroser.