Cour d’appel administrative de Paris, le 10 juillet 2025, n°24PA02688

Un arrêt rendu le 10 juillet 2025 par une cour administrative d’appel illustre la portée du contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. La décision est relative à la situation d’un ressortissant étranger, entré régulièrement sur le territoire national mais qui s’y est maintenu après l’expiration de son visa, et où il a été rejoint par sa famille. Faisant l’objet d’un arrêté préfectoral lui imposant de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour d’une durée d’un an, l’intéressé a saisi la justice administrative. Par un jugement du 4 juin 2024, le tribunal administratif de Montreuil n’a que partiellement fait droit à sa demande, en annulant l’interdiction de retour sur le territoire français mais en rejetant le surplus de ses conclusions, notamment celles dirigées contre l’obligation de quitter le territoire. Saisie par un double appel, émanant tant de l’administré, qui contestait le maintien de l’obligation de quitter le territoire, que du préfet, qui contestait l’annulation de l’interdiction de retour, la cour administrative d’appel a procédé à une annulation complète du jugement de première instance. Statuant par la voie de l’évocation, elle a finalement rejeté l’ensemble des prétentions de l’étranger. Il s’agissait pour la cour de déterminer si les décisions préfectorales, prises à l’encontre d’un étranger justifiant de liens familiaux et d’une insertion professionnelle, étaient entachées d’irrégularités de procédure ou d’une erreur d’appréciation, et de préciser les conséquences d’une omission de statuer des premiers juges. La cour administrative d’appel a jugé que l’omission du tribunal de répondre à certains moyens constituait une irrégularité justifiant l’annulation du jugement. Sur le fond, elle a écarté l’ensemble des moyens soulevés par le requérant, estimant que ni l’obligation de quitter le territoire ni l’interdiction de retour n’étaient entachées d’illégalité, considérant notamment que l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressé n’était pas disproportionnée au regard des buts poursuivis par les décisions.

La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière l’office du juge d’appel, qui se manifeste d’abord par la censure des irrégularités procédurales commises en première instance avant de permettre un examen approfondi de la légalité des actes administratifs contestés (I). Cet examen révèle ensuite une application rigoureuse des standards de contrôle, aboutissant à la validation des mesures d’éloignement au terme d’une balance concrète des intérêts en présence (II).

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I. La censure de l’irrégularité du jugement, préalable à l’examen au fond du litige

La cour administrative d’appel, avant de se prononcer sur la légalité des décisions préfectorales, a dû rectifier les erreurs de procédure du jugement de première instance. Cette démarche l’a conduite à annuler le jugement pour une omission à statuer (A), puis, usant de son pouvoir d’évocation, à écarter les moyens de légalité externe dirigés contre l’arrêté préfectoral (B).

A. L’annulation justifiée par l’omission à statuer du premier juge

Le juge d’appel exerce un contrôle sur la régularité des jugements qui lui sont soumis, garantissant ainsi le respect du droit à un recours effectif. En l’espèce, la cour a constaté que le premier juge avait manqué à son office en ne se prononçant pas sur plusieurs moyens soulevés par le requérant. Il était notamment soutenu que l’obligation de quitter le territoire était « entachée d’une erreur de fait et qu’elle méconnaissait les stipulations des articles 3, 1 et 16 de la convention internationale des droits de l’enfant ». Le juge d’appel relève que le magistrat désigné « ne s’est pas prononcé sur ces moyens, qu’il n’a pas visés dans son jugement ». De même, le moyen tiré de l’illégalité de la décision fixant le pays de destination par voie de conséquence de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire avait été ignoré. Cette double omission à statuer constitue un vice de procédure substantiel qui entache d’irrégularité le jugement. La seule sanction possible était donc son annulation, permettant à la cour, par l’effet de l’évocation, de statuer elle-même sur les conclusions initiales du requérant.

B. La neutralisation des moyens de légalité externe

Une fois le litige évoqué, la cour administrative d’appel a examiné l’ensemble des moyens, y compris ceux relatifs à la légalité externe des décisions contestées. Le requérant invoquait en premier lieu l’incompétence du signataire de l’arrêté. La cour a écarté ce moyen en se fondant sur une approche pragmatique, relevant qu’il « ressort des mentions du courrier de notification comportant la même signature que l’arrêté attaqué a été signé par » une personne bénéficiant d’une délégation de signature. L’absence de mention lisible du nom et de la qualité du signataire sur l’arrêté lui-même a ainsi été palliée par les informations concordantes d’un autre document. De même, le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu a été jugé inopérant, le juge rappelant que l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’adresse qu’aux institutions de l’Union. La cour a ajouté qu’en toute hypothèse, l’étranger avait eu l’occasion de présenter ses observations lors de sa demande de titre de séjour et de son audition par les services de police, et ne démontrait pas avoir été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents.

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II. L’application rigoureuse des standards de contrôle de la légalité interne

Après avoir écarté les moyens de procédure, la cour a procédé à un contrôle de la légalité interne des décisions. Cet examen l’a conduite à exercer un contrôle restreint sur les erreurs d’appréciation (A), pour finalement conclure, au terme d’une appréciation concrète de la situation, à la proportionnalité des mesures attentatoires à la vie privée et familiale de l’intéressé (B).

A. Le contrôle limité de l’erreur de fait et de l’erreur d’appréciation

La jurisprudence administrative distingue traditionnellement le contrôle de l’erreur de fait de celui de l’erreur d’appréciation. En l’espèce, le requérant soutenait que le préfet avait commis une erreur de fait en affirmant qu’il était entré irrégulièrement en France. La cour a admis l’existence de cette erreur, mais a immédiatement neutralisé sa portée en jugeant qu’elle était « sans influence sur sa légalité » dès lors que l’intéressé s’était de toute façon maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa. Cette approche illustre le principe selon lequel seule une erreur de fait déterminante pour le sens de la décision peut entraîner son annulation. Par ailleurs, s’agissant du refus d’octroyer un délai de départ volontaire, le juge a exercé un contrôle restreint à l’erreur manifeste, considérant que la situation de l’intéressé, notamment l’existence d’une précédente mesure d’éloignement, justifiait la décision préfectorale nonobstant la stabilité de son logement.

B. L’appréciation concrète de la proportionnalité des mesures

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’appréciation de la proportionnalité de l’obligation de quitter le territoire au regard du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Contrairement au premier juge qui avait annulé l’interdiction de retour en relevant les efforts d’intégration de l’intéressé, la cour d’appel a adopté une lecture plus stricte. Elle a relevé que l’intéressé était entré en France à un âge avancé, que son séjour irrégulier était prolongé et que « ses liens privés et familiaux en France ne revêtent pas un caractère ancien et durable ». Elle a également minimisé la portée de son insertion professionnelle, jugée non ancienne, et de la présence de sa famille, celle-ci ayant vocation à le suivre dans son pays d’origine. La cour en a conclu que l’ingérence dans la vie familiale de l’intéressé n’était pas disproportionnée. Ce faisant, elle a validé non seulement l’obligation de quitter le territoire, mais également l’interdiction de retour d’un an, infirmant sur ce point l’appréciation du tribunal administratif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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