Cour d’appel administrative de Paris, le 11 juin 2025, n°24PA01555

Par un arrêt en date du 11 juin 2025, la cour administrative d’appel a précisé les conditions d’examen d’une demande de remise gracieuse d’un indu de revenu minimum d’insertion. En l’espèce, une allocataire s’est vu réclamer par le département le remboursement d’une somme de plus de 7 000 euros, perçue indûment au titre du revenu minimum d’insertion sur une période de près de deux ans. L’indu résultait de l’omission de déclarer une pension de réversion ainsi que de nombreux séjours hors du territoire national. L’allocataire a sollicité une remise gracieuse de cette dette auprès du président du conseil général, qui a rejeté sa demande par une décision du 26 janvier 2009.

Saisie d’un recours contre ce refus, la commission départementale d’aide sociale s’est déclarée incompétente par une décision du 10 juillet 2009, au motif qu’un signalement pour fraude avait été transmis au procureur de la République. L’allocataire a interjeté appel de cette décision devant la commission centrale d’aide sociale. Suite à une réforme du contentieux social, l’affaire, sur laquelle la commission centrale n’avait pas statué, a été transférée à la cour administrative d’appel. Il revenait donc à la juridiction administrative de déterminer, d’une part, si une commission d’aide sociale peut décliner sa compétence au seul motif de l’existence d’un signalement pour fraude. D’autre part, elle devait se prononcer sur les critères permettant d’apprécier le bien-fondé d’une telle demande de remise de dette.

À la première question, la cour répond par la négative, jugeant que la commission départementale avait méconnu l’étendue de sa compétence. Faisant usage de son pouvoir d’évocation, elle examine ensuite directement la demande de remise gracieuse. Sur ce point, elle juge que la situation financière de l’intéressée ne justifie pas une remise totale ou partielle de sa dette et rejette sa demande au fond. La décision commentée se distingue ainsi par la clarification de l’office du juge en matière de contentieux de l’aide sociale (I), avant de procéder à une application rigoureuse des conditions de fond de la remise gracieuse (II).

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I. La clarification de l’office du juge du contentieux de l’aide sociale

La cour administrative d’appel censure en premier lieu l’erreur de droit commise par la juridiction de première instance (A) avant de statuer elle-même sur le fond du litige en usant de son pouvoir d’évocation (B).

A. L’annulation de la déclaration d’incompétence de la commission départementale

La commission départementale d’aide sociale avait estimé qu’un signalement pour fraude au procureur de la République suffisait à lui retirer la compétence pour statuer sur la demande de remise gracieuse. La cour administrative d’appel infirme cette analyse en des termes dénués d’ambiguïté, affirmant qu’« un dépôt de plainte auprès du procureur de la République pour obtention frauduleuse du revenu minimum d’insertion ne fait pas obstacle à l’examen par la commission départementale d’aide sociale de la requête présentée par l’allocataire du revenu minimum d’insertion ».

Cette solution rappelle la distinction fondamentale entre la procédure administrative de recouvrement d’un indu et d’éventuelles poursuites pénales. La commission saisie d’une contestation relative à l’aide sociale est tenue d’examiner au fond la requête qui lui est soumise. Elle ne peut se retrancher derrière l’existence d’une procédure parallèle pour se déclarer incompétente. Le juge administratif souligne ainsi que la commission devait instruire l’affaire, quitte à rejeter la demande au fond si les conditions n’étaient pas réunies, notamment en cas de manœuvre frauduleuse avérée. En ne le faisant pas, la commission a commis une erreur de droit et a méconnu l’étendue de sa propre compétence, ce qui justifie l’annulation de sa décision.

B. L’exercice du pouvoir d’évocation par la juridiction d’appel

Ayant annulé la décision de la commission départementale pour incompétence, la cour administrative d’appel aurait pu renvoyer l’affaire devant une juridiction de premier degré pour qu’elle statue au fond. Toutefois, dans un souci de bonne administration de la justice et pour accélérer le traitement du litige, elle choisit de recourir à son pouvoir d’évocation, comme l’indique le considérant 6 : « Il y a lieu d’évoquer l’affaire et de statuer sur la demande de Mme B… ».

Ce faisant, le juge d’appel se saisit de l’intégralité du litige. Cette technique procédurale lui permet de ne pas se limiter au contrôle de la régularité de la décision de première instance, mais de trancher lui-même le fond de l’affaire. La cour se substitue ainsi à la commission défaillante pour examiner directement la légitimité du refus de remise gracieuse opposé par le département. Cette démarche assure le règlement définitif d’un contentieux initié de nombreuses années auparavant et démontre la plénitude de juridiction dont dispose le juge administratif dans ce type d’affaires.

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II. L’application rigoureuse des conditions de la remise gracieuse

Après avoir réglé la question de compétence, la cour procède à l’examen au fond de la demande. Elle rappelle d’abord l’étendue de son contrôle sur les conditions de la remise gracieuse (A), pour ensuite rejeter la demande sur la base d’une analyse concrète de la situation de l’allocataire (B).

A. L’appréciation souveraine de la bonne foi et de la précarité

Le juge administratif rappelle le cadre juridique de son intervention, en se fondant sur l’article L. 262-41 du code de l’action sociale et des familles. Selon cet article, la remise ou la réduction d’un indu est possible en cas de « précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausse déclaration ». La cour précise l’office qui est le sien lorsqu’elle statue sur un recours contre un refus de remise gracieuse. Il lui « appartient d’examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise ».

Cette formulation confirme que le juge ne se contente pas de vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de l’administration. Il procède à un examen complet et autonome de la situation de l’allocataire, en se plaçant à la date où il statue. Il doit ainsi évaluer de manière cumulative, d’une part, la bonne foi de l’intéressé et, d’autre part, le caractère précaire de sa situation. En l’espèce, bien que la question de la bonne foi soit sous-jacente en raison des omissions déclaratives, la cour concentre son analyse sur le seul critère de la précarité financière pour motiver sa décision finale.

B. Le rejet de la demande fondé sur une analyse financière concrète

La cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée des finances de l’allocataire, telle qu’elle ressort des pièces du dossier. Elle énumère précisément l’ensemble des ressources mensuelles perçues, qui s’élèvent à 1 135,23 euros. Face à ces revenus, elle liste les charges fixes et justifiées, pour un total de 675,11 euros. La juridiction examine également les autres dépenses invoquées par l’intéressée, notamment des compléments alimentaires, mais les écarte faute de justification quant à leur nécessité.

Au terme de ce bilan financier, la cour conclut que, même en tenant compte des frais de vie courante, « il ne résulte pas de l’instruction que la situation de [l’allocataire] justifie une remise totale ou partielle des indus de revenus minimum d’insertion mis à sa charge ». Le rejet de la demande n’est donc pas fondé sur l’existence d’une éventuelle mauvaise foi, mais sur la constatation objective que la situation matérielle du débiteur ne présentait pas un degré de précarité suffisant pour justifier un effacement de la dette. Par ailleurs, elle écarte logiquement les arguments relatifs aux modalités de recouvrement, les jugeant sans influence sur le bien-fondé du refus de remise gracieuse, qui constitue l’unique objet du litige.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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