Cour d’appel administrative de Paris, le 11 mars 2025, n°24PA01234

L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 11 mars 2025 offre un éclairage précis sur les conditions d’assujettissement d’une entreprise à l’obligation de revitalisation du bassin d’emploi. En l’espèce, une société spécialisée dans la manutention de bagages, filiale d’un groupe de dimension nationale, avait procédé au licenciement pour motif économique de l’intégralité de son personnel, soit quarante-huit salariés. En conséquence, l’autorité administrative, par une décision du 20 novembre 2020, l’a soumise à l’obligation de contribuer à la création d’activités et au développement des emplois sur le territoire concerné, conformément à l’article L. 1233-84 du code du travail. La société a contesté cette décision, initialement devant le tribunal administratif de Melun qui a rejeté sa demande, puis devant la cour administrative d’appel. Elle soutenait principalement que, son effectif étant inférieur à cinquante salariés, elle n’était pas tenue d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, condition qu’elle jugeait nécessaire pour l’application de l’obligation de revitalisation. Subsidiairement, elle contestait l’appréciation de l’administration quant à l’impact réel des licenciements sur l’équilibre du bassin d’emploi. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si une entreprise, en raison de son appartenance à un groupe de grande taille, peut être soumise à l’obligation de revitalisation indépendamment de sa propre taille et de son assujettissement au régime du plan de sauvegarde de l’emploi. Par ailleurs, la cour devait se prononcer sur les critères permettant d’apprécier si un licenciement collectif affecte, par son ampleur, l’équilibre d’un bassin d’emploi. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que l’obligation de revitalisation est liée à celle de proposer un congé de reclassement, laquelle dépend de l’effectif du groupe d’appartenance, et non à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi. Elle valide en outre l’analyse de l’administration, qui a tenu compte du contexte économique local et des caractéristiques des salariés licenciés pour caractériser l’atteinte à l’équilibre du bassin d’emploi. La décision vient ainsi clarifier le champ d’application de l’obligation de revitalisation en l’autonomisant par rapport à d’autres dispositifs de gestion des licenciements collectifs (I), tout en confirmant la marge d’appréciation de l’administration pour en évaluer le bien-fondé (II).

I. L’autonomie affirmée de l’obligation de revitalisation

La cour opère une lecture stricte des textes pour définir le périmètre de l’obligation de revitalisation, la détachant de manière explicite du mécanisme du plan de sauvegarde de l’emploi (A) pour la rattacher à un critère distinct, celui de l’appartenance de l’entreprise à un groupe de taille significative (B).

A. Un assujettissement déconnecté du plan de sauvegarde de l’emploi

L’argumentaire de la société requérante reposait sur une interprétation liant l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi à celle, pour l’entreprise, de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi. Selon cette thèse, seules les entreprises d’au moins cinquante salariés procédant au licenciement d’au moins dix salariés sur une même période de trente jours seraient concernées. La cour écarte ce raisonnement en s’appuyant sur la lettre même des dispositions applicables. Elle rappelle que l’article L. 1233-84 du code du travail, qui institue l’obligation, renvoie pour la détermination des entreprises concernées à l’article L. 1233-71 du même code. Or, ce dernier article vise les entreprises tenues de proposer un congé de reclassement, et non celles astreintes à un plan de sauvegarde de l’emploi. La cour souligne ainsi que « Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas de la combinaison des dispositions précitées que seules les entreprises qui ont l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 1233-61 du code du travail seraient assujetties à l’obligation de revitalisation ». Par cette analyse, les juges consacrent l’indépendance juridique des deux dispositifs. Ils précisent que le délai de négociation de la convention de revitalisation, dont le point de départ est lié à la notification d’un projet de plan de sauvegarde de l’emploi, est une simple modalité procédurale sans incidence sur le champ d’application de l’obligation elle-même.

B. Le critère déterminant de l’appartenance à un groupe

Une fois le lien avec le plan de sauvegarde de l’emploi écarté, la cour se concentre sur le véritable critère d’assujettissement fixé par le législateur : le champ des entreprises visées par l’article L. 1233-71 du code du travail. Celui-ci inclut non seulement les entreprises d’au moins mille salariés, mais également celles appartenant à un groupe, au sens du droit du travail, dont l’effectif total dépasse ce seuil. En l’espèce, il n’était pas contesté que la société requérante était une filiale détenue intégralement par une autre société, elle-même contrôlée par un grand groupe public national. Dès lors que l’effectif consolidé de ce groupe excédait mille salariés, la filiale, quelle que soit sa propre taille, entrait dans le champ de l’obligation de proposer un congé de reclassement. Par voie de conséquence, elle se trouvait également soumise à l’obligation de revitalisation. Cette solution réaffirme une logique bien établie en droit du travail, qui vise à faire peser sur l’ensemble du groupe, entendu comme une unité économique, la responsabilité sociale liée aux restructurations. Elle prévient ainsi les stratégies d’évitement qui consisteraient, pour de grands groupes, à loger des activités dans de petites filiales afin de se soustraire à certaines obligations légales en matière de licenciement économique. La décision illustre la prévalence de la réalité économique du groupe sur la personnalité morale de la seule filiale.

II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’administration

Au-delà de la question du champ d’application, la cour se prononce sur le bien-fondé de la décision administrative, validant l’analyse des conséquences du licenciement menée par l’autorité compétente. Elle admet ainsi une appréciation concrète et multifactorielle de l’atteinte au bassin d’emploi (A), consacrant une interprétation extensive de la notion de déséquilibre économique (B).

A. Une appréciation concrète de l’atteinte au bassin d’emploi

Pour assujettir une entreprise à l’obligation de revitalisation, l’administration doit démontrer que le licenciement collectif « affecte, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi ». La société requérante tentait de minimiser cet impact en avançant que les emplois supprimés étaient peu nombreux, que certains salariés ne résidaient pas dans le bassin d’emploi concerné et que son activité n’induisait que de faibles effets indirects sur l’économie locale. La cour rejette cette vision restrictive. Elle valide au contraire la démarche de l’administration, qui a fondé son analyse sur un faisceau d’indices contextuels. Le juge relève ainsi que la société a « cessé totalement son activité », que les quarante-huit licenciements concernaient des emplois non qualifiés dans un secteur des transports déjà fragilisé par la crise sanitaire, et que la moitié des salariés avaient plus de quarante-cinq ans, « circonstance qui rendait moins aisée leur adaptabilité et leur recherche d’emploi ». De plus, il est constaté que le bassin d’emploi avait connu une hausse significative du chômage durant la période considérée. Cette approche globale, qui tient compte à la fois du nombre de suppressions de postes, des caractéristiques socio-économiques des salariés concernés et de la conjoncture particulière du territoire, est jugée conforme aux dispositions réglementaires.

B. La validation d’une conception extensive du déséquilibre économique

En validant l’appréciation portée par l’administration, la cour confirme que la notion d’« ampleur » du licenciement ne se réduit pas à une simple approche quantitative. Un licenciement de moins de cinquante personnes peut suffire à déséquilibrer un bassin d’emploi si les circonstances l’aggravent. Le contrôle du juge administratif en la matière se limite à celui de l’erreur d’appréciation, ce qui laisse à l’administration une marge de manœuvre importante pour évaluer l’opportunité de sa décision. En l’espèce, la cour estime que le préfet « n’a pas fait une inexacte application des dispositions du code de travail ». Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence qui reconnaît à l’autorité administrative un rôle de régulateur économique local, chargé de veiller à la cohésion des territoires face aux conséquences des restructurations. Elle constitue un rappel que l’obligation de revitalisation poursuit un objectif de solidarité territoriale qui dépasse la seule gestion des conséquences individuelles des licenciements. La portée de l’arrêt est donc de conforter les services de l’État dans leur capacité à imposer cette contribution aux entreprises, dès lors que leur analyse de l’impact économique et social des licenciements est suffisamment étayée, même en l’absence de suppressions d’emplois d’une ampleur massive.

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Hassan KOHEN
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