Cour d’appel administrative de Paris, le 11 mars 2025, n°24PA02662

Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a eu à se prononcer sur l’étendue d’une garantie procédurale en droit des étrangers, spécifiquement l’obligation de saisine de la commission du titre de séjour. En l’espèce, un ressortissant étranger, présent sur le territoire national depuis 2008, d’abord sous couvert d’un titre de séjour pour études puis en situation irrégulière, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Le préfet a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français par un arrêté du 11 avril 2023. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Montreuil a confirmé cette décision par un jugement du 21 mai 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, arguant notamment d’un vice de procédure tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour, formalité qu’il estimait requise en raison de sa résidence en France depuis plus de dix ans. Il s’agissait donc de déterminer si l’autorité préfectorale, lorsqu’elle conteste le caractère probant des pièces fournies pour établir une résidence habituelle de plus de dix ans, peut légalement s’abstenir de saisir pour avis la commission du titre de séjour avant de statuer sur une demande d’admission exceptionnelle au séjour. À cette question, la Cour administrative d’appel répond par la négative, jugeant que le préfet ne pouvait écarter la demande sans cette consultation préalable. Elle consacre ainsi l’effectivité de la saisine de la commission comme une garantie substantielle (I), dont la méconnaissance entraîne nécessairement l’annulation de la décision administrative (II).

I. La consécration du caractère substantiel de la garantie procédurale

La décision commentée réaffirme avec force l’importance de la saisine de la commission du titre de séjour en adoptant une approche pragmatique de la preuve de la résidence (A) et en qualifiant cette formalité de garantie effective pour l’étranger (B).

A. L’appréciation extensive de la résidence habituelle décennale

La Cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée des éléments produits par le requérant pour justifier de sa présence continue sur le territoire. Elle estime que l’étranger justifie de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans en produisant « des documents suffisamment nombreux, variés et probants ». Le juge d’appel prend le soin d’énumérer la nature de ces pièces, incluant des factures, des documents médicaux, des contrats de travail, des relevés bancaires ou encore des titres de transport. Cette approche se distingue de celle du tribunal administratif et du préfet, qui avaient écarté la continuité de la résidence pour certaines périodes. En validant des documents de la vie courante et en les considérant comme un faisceau d’indices concordants, la cour adopte une méthode d’appréciation souple et réaliste. Elle refuse de faire peser sur l’étranger une charge de la preuve excessive, considérant que la justification de la résidence peut être apportée « par tout moyen », comme le prévoit l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

B. La qualification de la saisine de la commission en garantie effective

Une fois la condition de résidence décennale établie, la cour en tire la conséquence procédurale qui s’impose. Elle juge que le préfet « ne pouvait rejeter sa demande de titre de séjour […] sans saisir préalablement la commission du titre de séjour ». En qualifiant cette consultation de « garantie pour l’intéressé », elle lui confère une portée qui dépasse la simple formalité. Il ne s’agit pas d’une simple faculté laissée à la discrétion de l’administration, mais bien d’une obligation dont la finalité est de protéger les droits du demandeur. Cette étape procédurale permet en effet à une instance collégiale et indépendante d’émettre un avis sur la situation de l’étranger, offrant ainsi un éclairage supplémentaire à l’autorité préfectorale avant qu’elle ne prenne sa décision. La solution retenue par la cour renforce le caractère contradictoire de la procédure administrative et assure que le dossier d’un étranger justifiant d’une longue résidence en France fasse l’objet d’un examen approfondi.

II. La sanction rigoureuse de la méconnaissance d’une formalité protectrice

Le manquement de l’administration à son obligation de saisine emporte des conséquences radicales, se traduisant par une annulation inévitable de l’acte (A), dont la portée est avant tout pédagogique à l’endroit de l’autorité préfectorale (B).

A. L’annulation inévitable de l’acte administratif

La Cour administrative d’appel décide que le vice de procédure suffit à lui seul à fonder l’annulation de la décision attaquée. Elle précise que le requérant « est fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision portant refus de titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, celle de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ». Le juge choisit de ne pas examiner les autres moyens soulevés, tels que l’erreur manifeste d’appréciation ou la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette économie de moyens démontre la solidité du motif d’annulation retenu. La méconnaissance d’une garantie procédurale substantielle est une illégalité qui vicie entièrement la décision, la privant de toute base légale, sans qu’il soit nécessaire pour le juge d’analyser le bien-fondé de la décision au regard de la situation personnelle de l’étranger. La sanction est donc particulièrement claire et rigoureuse.

B. Une portée pédagogique à l’endroit de l’administration

En annulant la décision pour un unique motif de procédure, la cour adresse un message clair à l’administration. Elle lui rappelle que l’appréciation de la situation d’un étranger ne peut se faire au mépris des garanties prévues par la loi. La portée de l’arrêt est renforcée par la nature de l’injonction prononcée. Le juge n’ordonne pas la délivrance d’un titre de séjour, ce qui relève du pouvoir d’appréciation du préfet, mais enjoint à ce dernier de « réexaminer la situation […] après avoir saisi la commission du titre de séjour ». La décision a donc une valeur corrective et pédagogique : elle contraint l’administration à reprendre la procédure à l’étape qui a été omise. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui veille au respect scrupuleux par l’administration des règles de forme qui protègent les administrés, réaffirmant ainsi que le respect de la procédure est une condition essentielle de la légalité des actes administratifs.

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Hassan KOHEN
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