Cour d’appel administrative de Paris, le 12 février 2025, n°24PA02575

Par un arrêt en date du 12 février 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision préfectorale invitant une ressortissante étrangère à solliciter un nouveau visa de long séjour pour obtenir le renouvellement de son titre de séjour.

En l’espèce, une ressortissante de nationalité gabonaise était entrée régulièrement sur le territoire français sous couvert d’un visa de long séjour valant titre de séjour portant la mention « passeport talent », valable pour une durée d’un an. Avant l’expiration de ce titre, elle en a sollicité le renouvellement auprès des services préfectoraux. Par une décision ultérieure, le préfet compétent ne s’est pas prononcé sur sa demande de renouvellement, mais l’a invitée à présenter une nouvelle demande de titre de séjour après avoir obtenu un nouveau visa de long séjour « passeport talent » depuis son pays d’origine. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande tendant à l’annulation de cette décision.

Par un jugement en date du 9 avril 2024, le tribunal administratif a rejeté sa demande. La ressortissante a interjeté appel de ce jugement, en soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité du jugement qu’à la légalité de la décision préfectorale. Elle soutenait notamment que la décision contestée portait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

La question de droit qui se posait à la Cour administrative d’appel était donc de savoir si la décision préfectorale, qui contraint une étrangère régulièrement installée en France à retourner dans son pays d’origine pour y solliciter un nouveau visa en vue du renouvellement de son titre de séjour, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la décision attaquée ne peut, dans les circonstances de l’espèce, « être regardée comme portant une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations citées ci-dessus, ou comme reposant sur une erreur manifeste d’appréciation ». La Cour confirme ainsi le jugement de première instance et valide la décision préfectorale.

Cette décision conduit à examiner la manière dont le juge administratif exerce son contrôle sur les décisions de l’administration en matière de séjour, confirmant une approche pragmatique mais rigoureuse (I), ce qui aboutit à une solution d’espèce dont la portée doit être mesurée (II).

***

I. La confirmation de la légalité de la décision préfectorale par un contrôle de proportionnalité

La Cour administrative d’appel valide la décision du préfet en écartant d’abord les moyens de légalité formelle (A) avant de se livrer à un contrôle concret de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de la requérante (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe et formelle

La requérante soulevait plusieurs moyens tenant à l’incompétence du signataire de l’acte, à l’insuffisance de motivation ainsi qu’à l’absence d’un examen sérieux de sa situation. La Cour d’appel choisit d’écarter ces moyens « par adoption des motifs retenus par les premiers juges ». Cette technique jurisprudentielle, courante et efficace, permet au juge d’appel de ne pas reproduire inutilement le raisonnement déjà développé par le tribunal administratif lorsque celui-ci est jugé pertinent et suffisant. Elle témoigne de la volonté du juge de concentrer son analyse sur le cœur du litige, à savoir la question de la conciliation entre les prérogatives de l’administration et les droits fondamentaux de l’administré. De même, la Cour écarte le grief tiré d’une prétendue irrégularité de la procédure de première instance, rappelant qu’il n’existe aucune obligation pour le juge de « satisfaire aux demandes des parties tendant à la production de pièces », clarifiant ainsi l’étendue de l’office du juge dans la direction de l’instruction.

B. L’application du contrôle de proportionnalité à la situation personnelle de l’étrangère

Le moyen principal de la requête reposait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour y répondre, le juge se livre à une balance des intérêts en présence. D’une part, il prend en considération les éléments relatifs à l’intégration de la requérante en France, notamment « la présence en France de son fils, né en 2005, qui y a été scolarisé » et « les relations amicales qu’elle a développées ». D’autre part, il oppose à ces éléments des faits qui tendent à nuancer l’intensité de ses liens avec la France. Le juge relève ainsi qu’elle ne résidait en France que « depuis deux ans environ à la date de la décision attaquée » et qu’elle « ne conteste pas ne pas être dépourvue d’attaches dans son pays, où elle a vécu jusqu’à l’âge de quarante ans et où elle a certains intérêts financiers ». C’est de cette mise en balance que la Cour déduit l’absence d’atteinte disproportionnée. Le raisonnement met en lumière que la durée du séjour et la persistance d’attaches significatives dans le pays d’origine sont des critères déterminants dans l’appréciation du juge.

Cette application classique du contrôle de proportionnalité révèle la portée de la décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence bien établie en matière de police des étrangers.

II. La portée d’une solution classique réaffirmant les critères du contrôle juridictionnel

L’arrêt commenté constitue une décision d’espèce (A) dont la valeur principale est de réaffirmer les critères traditionnels de l’appréciation de l’atteinte à la vie privée et familiale dans le contentieux du séjour des étrangers (B).

A. Une décision d’espèce fondée sur une appréciation factuelle

La solution retenue par la Cour administrative d’appel est fortement dépendante des circonstances particulières de l’affaire. Le juge prend soin de détailler les éléments factuels qui fondent sa décision, ce qui indique qu’il ne s’agit pas d’un arrêt de principe destiné à poser une règle nouvelle. L’analyse est centrée sur la situation personnelle de la requérante. La faible durée de son séjour, à peine deux années, est un facteur essentiel. La jurisprudence considère généralement que des liens familiaux et sociaux ne peuvent prévaloir lorsque l’installation sur le territoire est récente. L’arrêt illustre que le juge administratif, lorsqu’il contrôle une décision au regard de l’article 8 de la Convention européenne, ne se contente pas de vérifier l’existence de liens en France, mais en évalue la force et l’ancienneté au regard des liens conservés dans le pays d’origine. La décision n’est donc pas destinée à infléchir la jurisprudence, mais à appliquer des principes constants à une situation factuelle spécifique.

B. La réaffirmation des limites du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

En jugeant que la décision n’est pas davantage entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, la Cour rappelle l’intensité du contrôle qu’elle exerce en la matière. Ce contrôle restreint laisse à l’administration une marge d’appréciation importante dans la gestion des flux migratoires. Le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet ; il ne censure que les erreurs les plus grossières, celles qui apparaissent évidentes au premier examen du dossier. En l’occurrence, le fait que la requérante ait vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d’origine et y conserve des intérêts financiers suffisait à écarter le caractère manifeste de l’erreur qu’aurait commise le préfet. L’arrêt a donc une portée pédagogique : il rappelle aux justiciables que le contrôle du juge sur l’opportunité des décisions administratives en matière de séjour demeure limité. La solution, bien que défavorable à la requérante, apparaît ainsi juridiquement orthodoxe et conforme à une ligne jurisprudentielle constante qui cherche un équilibre entre le pouvoir de l’État d’organiser les conditions d’entrée et de séjour sur son territoire et la protection des droits fondamentaux des personnes.

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Hassan KOHEN
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