Cour d’appel administrative de Paris, le 12 mars 2025, n°24PA02779

Par un arrêt en date du 12 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris se prononce sur les conditions de renouvellement d’un titre de séjour pour un étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale. En l’espèce, un ressortissant mauritanien, entré en France en 2018 et bénéficiaire depuis 2020 d’un titre de séjour en qualité d’étranger malade, s’est vu opposer un refus de renouvellement par le préfet de police le 28 juin 2023, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Cette décision intervenait après qu’un premier refus préfectoral de 2022 eut été annulé par le tribunal administratif de Paris.

Saisi d’un recours contre ce nouvel arrêté, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l’intéressé par un jugement du 9 janvier 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la légalité du refus de séjour et de la mesure d’éloignement. Il soutenait notamment que la décision méconnaissait les dispositions de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. La question de droit posée à la cour consistait donc à déterminer si une autorité administrative peut légalement refuser le renouvellement d’un titre de séjour pour raisons de santé lorsque, malgré la gravité de la pathologie, un traitement approprié est estimé disponible dans le pays d’origine, et si ce refus constitue une ingérence justifiée dans la vie privée de l’étranger au regard de ses attaches en France.

La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle juge que le requérant n’apporte pas la preuve que le traitement nécessaire à son état de santé ne serait pas effectivement accessible dans son pays d’origine. Elle estime en outre que la décision préfectorale ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La solution retenue par la cour illustre le contrôle opéré par le juge administratif sur l’application des conditions spécifiques au séjour pour soins (I), avant de confirmer une appréciation restrictive de la protection de la vie privée face aux impératifs du contrôle des flux migratoires (II).

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I. Le contrôle rigoureux des conditions d’octroi du titre de séjour pour raisons médicales

La cour confirme la méthode d’appréciation de la condition tenant à l’accès effectif aux soins dans le pays d’origine, en réaffirmant d’une part le rôle central de l’avis médical émis par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (A), et en se livrant d’autre part à une analyse stricte de la disponibilité du traitement (B).

A. La confirmation du rôle pivot de l’avis du collège de médecins de l’OFII

La délivrance d’un titre de séjour à un étranger résidant habituellement en France pour des motifs médicaux est subordonnée à une double condition posée par l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’état de santé de l’étranger doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et il ne doit pas pouvoir bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Dans son arrêt, la cour rappelle la règle de la charge de la preuve en la matière. C’est en effet au juge de forger sa conviction « au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention d’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter ».

La décision commentée s’inscrit dans le cadre jurisprudentiel établi qui accorde une présomption de fait à l’avis du collège de médecins de l’OFII. Lorsque cet avis est défavorable au demandeur sur l’une des deux conditions, il appartient à ce dernier d’apporter des éléments probants de nature à le remettre en cause. En l’espèce, le collège de médecins avait estimé que si l’état de santé du requérant était d’une exceptionnelle gravité, un traitement approprié était néanmoins accessible en Mauritanie. La cour fait donc peser sur le requérant la charge de démontrer le contraire, transformant l’avis de l’OFII en un élément central du raisonnement contentieux. Cette approche, si elle est classique, souligne la difficulté pour un étranger de contester une évaluation médicale et technique sans disposer d’éléments contradictoires précis et circonstanciés.

B. L’appréciation stricte de l’indisponibilité effective du traitement dans le pays d’origine

Le cœur de l’analyse de la cour porte sur la notion d’accès « effectif » à un traitement approprié. Le requérant soutenait que les médicaments dont il avait besoin n’étaient pas commercialisés dans son pays d’origine et qu’il ne pourrait y avoir un accès effectif aux soins. Pour écarter ce moyen, la cour examine méticuleusement les pièces versées au dossier. Elle juge que les certificats médicaux produits, rédigés en des « termes très généraux », ne sont pas suffisants pour contredire l’avis de l’OFII.

Plus encore, la cour opère une distinction déterminante entre la commercialisation d’une spécialité pharmaceutique sous un nom précis et la disponibilité des molécules qui la composent. Elle relève ainsi qu’« il ressort au contraire de la liste des médicaments remboursés par la caisse nationale de l’assurance maladie mauritanienne que des médicaments composés des mêmes molécules que ces deux spécialités sont disponibles et prises en charge dans ce pays ». La cour conclut son analyse en précisant que « l’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine n’implique pas que les soins dans ce pays soient équivalents à ceux offerts en France ». Cette formule consacre une interprétation restrictive de la protection due à l’étranger malade, où la simple existence d’une alternative thérapeutique, même moins optimale, suffit à justifier un refus de séjour.

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II. La portée limitée du droit au séjour face à la précarité des attaches en France

Après avoir validé l’analyse du préfet sur le terrain de la législation spéciale, la cour examine les moyens fondés sur une protection plus générale des droits de la personne. Elle y développe une conception stricte de la vie privée et familiale, privilégiant les attaches dans le pays d’origine (A), ce qui conduit logiquement à valider la mesure d’éloignement (B).

A. La primauté des attaches familiales dans le pays d’origine sur l’intégration en France

Le requérant invoquait une méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, arguant de sa présence en France depuis 2018 et de son insertion professionnelle. La cour procède alors à une mise en balance des intérêts en présence, conformément à sa jurisprudence constante. Elle reconnaît la durée de la présence de l’intéressé sur le territoire ainsi que l’existence d’une activité professionnelle, mais minimise leur portée. Elle qualifie en effet l’emploi occupé de ne pouvant « être regardé comme stable et pérenne ».

Face à ces éléments, la cour oppose l’absence de liens personnels « suffisamment ancien, stable et intense en France » et, surtout, la persistance de liens familiaux en Mauritanie, où « résident son épouse et leur enfant ». Cette prépondérance accordée aux attaches familiales dans le pays d’origine sur une intégration sociale et professionnelle jugée précaire en France est une caractéristique récurrente du contentieux du droit des étrangers. La décision commentée confirme que, pour le juge administratif, la cellule familiale constitue le critère déterminant de la vie privée et familiale, reléguant au second plan les autres facettes de l’existence d’un individu. Le refus de séjour n’est donc pas considéré comme une atteinte disproportionnée à son droit.

B. La validation conséquente de la mesure d’éloignement

La légalité de l’obligation de quitter le territoire français est examinée par la cour comme une conséquence directe de la légalité du refus de séjour. Les moyens soulevés contre cette mesure d’éloignement, tirés des articles L. 611-3 du CESEDA, de l’article 8 de la Convention européenne et de l’erreur manifeste d’appréciation, sont en effet des arguments miroirs de ceux développés contre le refus de titre.

La cour les écarte donc « pour les mêmes motifs » que ceux exposés précédemment dans son arrêt. Ce raisonnement illustre le lien quasi automatique qui unit le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire pour un étranger en situation irrégulière. Une fois que le droit au séjour a été refusé et qu’aucune protection spécifique n’est reconnue, la mesure d’éloignement apparaît comme la suite logique et nécessaire de la décision administrative. La portée de l’arrêt réside ainsi dans sa confirmation d’un système cohérent mais sévère, où la contestation de la mesure d’éloignement est vouée à l’échec dès lors que les arguments la soutenant ont déjà été jugés infondés lors de l’examen du refus de séjour.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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