Par un arrêt en date du 13 février 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la demande d’indemnisation d’un candidat évincé d’un concours de la fonction publique territoriale. En l’espèce, un candidat à un concours sur titres pour l’accès au corps des psychologues d’un département n’avait pas été autorisé à se présenter à l’épreuve d’entretien. Estimant cette éviction illégale et discriminatoire, il a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de la liste des candidats admissibles et d’une demande indemnitaire visant à réparer le préjudice moral subi.
Par un jugement du 16 février 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens d’irrégularité de la décision de première instance, ainsi que des moyens de fond relatifs à l’illégalité de la procédure de sélection et au caractère discriminatoire de la décision prise à son encontre. Il soutenait notamment que les juges de première instance n’avaient pas garanti l’effectivité de ses droits à une représentation par avocat, dès lors que les conseils successivement désignés au titre de l’aide juridictionnelle étaient demeurés inactifs. L’administration intimée a, quant à elle, conclu au rejet de la requête, soulevant pour la première fois en appel une fin de non-recevoir tirée de la prescription quadriennale.
Il était donc demandé aux juges d’appel si la carence de l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle, combinée à l’absence de mesure prise par le juge de première instance pour y remédier, constituait une irrégularité entachant le jugement. En cas de réponse affirmative, il leur revenait, après évocation, de se prononcer sur le bien-fondé de la demande indemnitaire, et notamment sur la légalité de la procédure de concours et sur l’existence d’une éventuelle discrimination.
La cour administrative d’appel annule le jugement pour irrégularité procédurale, estimant que les premiers juges auraient dû prendre des mesures face à la défaillance des avocats du requérant. Statuant immédiatement au fond par la voie de l’évocation, elle rejette cependant la demande indemnitaire. La cour écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription comme irrecevable en appel, juge le moyen relatif à l’organisation du concours inopérant, et considère qu’aucun élément de fait ne permet de présumer une discrimination. La solution retenue par la cour illustre la distinction entre la régularité de la procédure juridictionnelle, qui fait l’objet d’un contrôle rigoureux garantissant les droits des justiciables (I), et l’appréciation au fond du litige, qui aboutit en l’espèce au rejet des prétentions du requérant (II).
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I. La sanction d’une irrégularité procédurale garantissant les droits de la défense
La décision de la cour administrative d’appel se fonde d’abord sur un vice de procédure affectant le jugement de première instance, tiré de la violation des droits de la défense. Elle met en lumière l’obligation pour le juge de s’assurer de l’effectivité de l’assistance juridique (A), ce qui la conduit à annuler le jugement et à user de son pouvoir d’évocation (B).
A. La caractérisation d’une défaillance du juge dans la protection du droit à l’assistance
La cour administrative d’appel relève que le requérant, bien qu’ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, n’a pas été effectivement représenté en première instance. Les deux avocats successivement désignés n’ont produit aucun mémoire et ne se sont pas présentés à l’audience, malgré la demande de renvoi formulée par le justiciable. Face à cette situation, la cour estime qu’il incombait aux premiers juges de réagir pour garantir le respect du contradictoire et les droits de la défense. Elle juge ainsi qu’il « appartenait aux juges de première instance de surseoir à statuer en mettant l’avocat désigné pour représenter M. A… en demeure d’accomplir les diligences qui lui incombaient ou en portant sa carence à la connaissance du requérant afin de le mettre en mesure de choisir un autre représentant ».
Ce faisant, la cour rappelle que le droit à l’aide juridictionnelle ne se limite pas à la seule désignation d’un avocat, mais implique une assistance réelle et effective. Le juge administratif ne peut rester passif face à la défaillance manifeste de l’auxiliaire de justice. Son office lui impose d’user des pouvoirs dont il dispose pour préserver l’équilibre des droits des parties, en particulier lorsque l’une d’elles se trouve dans une situation de vulnérabilité. La solution s’inscrit dans une conception exigeante du procès équitable, où le juge est le garant ultime du respect des principes directeurs du procès.
B. L’annulation du jugement et le recours pragmatique à l’évocation
La conséquence logique de la constatation de cette irrégularité est l’annulation du jugement attaqué. En ne prenant aucune mesure pour pallier l’inaction des avocats commis d’office, le tribunal administratif a entaché sa décision d’un vice substantiel qui justifie sa censure par le juge d’appel. Cette annulation démontre l’importance attachée au respect des formes procédurales, qui ne sont pas de simples prescriptions formalistes mais des garanties fondamentales pour une bonne justice.
Toutefois, plutôt que de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif, la cour choisit de statuer immédiatement sur la demande par la voie de l’évocation. Cette technique procédurale lui permet de trancher elle-même le litige au fond, dans un souci de bonne administration de la justice et de célérité. Le recours à l’évocation, bien que facultatif, se justifiait en l’espèce par l’ancienneté du litige et la nécessité d’apporter une solution définitive à la situation du requérant. La cour concilie ainsi la sanction d’une erreur de procédure avec l’exigence d’efficacité de l’action juridictionnelle, passant d’un contrôle de la régularité à un examen complet du fond du droit.
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II. Le rejet au fond de la demande indemnitaire après examen des moyens de légalité
Après avoir réglé la question procédurale, la cour administrative d’appel examine, par l’effet de l’évocation, les moyens de fond soulevés par le requérant. Son analyse la conduit à écarter les arguments de forme avancés par les parties (A) puis à rejeter la prétention principale fondée sur une prétendue discrimination (B), confirmant ainsi, sur le fond, l’issue du litige en première instance.
A. L’éviction des moyens de forme et de légalité externe
La cour se prononce d’abord sur la fin de non-recevoir soulevée par l’administration, tirée de la prescription quadriennale. Elle la déclare irrecevable au motif qu’elle est présentée pour la première fois en appel, en application de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1968. La cour rappelle ainsi fermement que « l’administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d’une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l’invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ». Cette règle de procédure protège le demandeur contre une stratégie de défense tardive et garantit la loyauté des débats.
Ensuite, la cour examine le moyen tiré de l’illégalité de la procédure de sélection, qui ne comportait pas d’épreuve écrite. Elle le juge inopérant en relevant que le concours était régi par une délibération spécifique du Conseil de Paris, qui prévoyait un examen sur dossier. Cette délibération, en tant que statut particulier applicable aux personnels des administrations parisiennes, dérogeait légalement aux dispositions du décret général invoqué par le requérant. La cour applique ici le principe de spécialité des textes, réaffirmant la primauté des règles statutaires propres à certaines collectivités.
B. L’absence d’éléments de fait faisant présumer une discrimination
Le cœur de la demande indemnitaire reposait sur l’existence d’une faute de l’administration, qui aurait pris une décision discriminatoire. Sur ce point, le raisonnement de la cour est sans équivoque. Elle constate qu’« aucune des pièces versées au dossier par M. A…, qui s’estime lésé par une décision empreinte de discrimination à divers titres, ne révèle des éléments de faits susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l’égalité de traitement des personnes ». La cour en déduit que le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision serait entachée d’une illégalité fautive.
Cette approche est conforme au régime de la preuve en matière de discrimination. Il appartient au demandeur de présenter des éléments de fait constituant un commencement de preuve, une apparence de discrimination. Si cette condition est remplie, la charge de la preuve est alors renversée et il incombe à l’administration de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination. En l’espèce, le requérant a échoué à franchir cette première étape, ce qui a conduit le juge à rejeter sa demande sans même exiger de justification de la part de l’administration. La décision, sur ce point, constitue une application classique de la jurisprudence et revêt le caractère d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par l’appréciation souveraine des faits du dossier.