Cour d’appel administrative de Paris, le 13 février 2025, n°24PA04467

Par un arrêt en date du 13 février 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de désistement d’office prévue par le code de justice administrative. En l’espèce, une société avait saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à la condamnation de l’État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant du paiement d’une contribution qu’elle estimait contraire au droit de l’Union européenne.

Saisi du litige, le tribunal administratif a adressé à la société requérante une demande de confirmation du maintien de ses conclusions, conformément à l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative. En l’absence de réponse dans le délai imparti, le tribunal a constaté par ordonnance le désistement d’office de la requête. La société a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant que les conditions d’application de cet article n’étaient pas réunies, dès lors que le litige s’inscrivait dans le cadre d’un contentieux de série pour lequel une décision du Conseil d’État était attendue.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si un juge peut légitimement présumer une perte d’intérêt d’un requérant pour sa requête, justifiant un désistement d’office, au seul motif de son silence, alors même que le contexte procédural, notamment l’existence d’un contentieux sériel, suggère le contraire.

La cour administrative d’appel répond par la négative à cette question. Elle annule l’ordonnance du premier juge au motif que la procédure de désistement d’office était irrégulière. Elle juge en effet que les circonstances de l’espèce, et en particulier le fait que l’affaire « faisait partie d’une série contentieuse identifiée », ne permettaient pas au tribunal de s’interroger sur l’intérêt que la demande conservait pour la société requérante. Par conséquent, la cour renvoie l’affaire devant le tribunal administratif afin qu’il statue sur le fond de la demande. Cette décision, centrée sur une question de procédure, apporte une clarification importante sur l’office du juge administratif, ce qui justifie d’analyser le contrôle strict qu’il exerce sur le recours au désistement d’office (I), avant d’étudier la portée de cette solution pour la gestion des contentieux de masse (II).

I. Le contrôle rigoureux des conditions de mise en œuvre du désistement d’office

La cour administrative d’appel rappelle que le mécanisme du désistement d’office ne constitue pas un outil discrétionnaire à la disposition du juge. Son application est subordonnée à l’existence d’éléments objectifs permettant de douter de l’intérêt du requérant (A), ce qui suppose une appréciation concrète des circonstances de l’espèce (B).

A. La nécessité d’une interrogation légitime sur l’intérêt à agir

L’article R. 612-5-1 du code de justice administrative dispose que la procédure de désistement d’office peut être engagée « Lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt que la requête conserve pour son auteur ». La cour administrative d’appel, par son contrôle, souligne que cette première condition est substantielle et non purement formelle. Le juge de première instance ne peut se fonder sur de simples conjectures ou sur le seul écoulement du temps pour mettre en doute la volonté du requérant de poursuivre l’instance.

En l’espèce, la cour relève que la requête avait été introduite deux ans auparavant et que l’administration n’avait pas encore produit de mémoire en défense. Ces éléments, loin de traduire un désintérêt du demandeur, illustrent une situation procédurale courante. La décision commentée affirme ainsi implicitement qu’en l’absence d’indices positifs de désintérêt, tels qu’un changement de circonstances de droit ou de fait rendant la requête sans objet, le juge ne dispose pas du pouvoir d’initier cette procédure. Le silence du requérant ne peut, à lui seul, suffire à établir une présomption de perte d’intérêt. En retenant qu’absolument « rien ne permettait de s’interroger sur l’intérêt que conservait la demande pour la société requérante », la cour fixe une exigence de justification préalable à l’enclenchement du mécanisme.

B. L’appréciation souveraine des circonstances factuelles

Pour déterminer si le premier juge a fait une juste application de la loi, la cour d’appel se livre à un examen détaillé et factuel du dossier. Elle ne se contente pas de vérifier le respect formel de la procédure, mais contrôle l’opportunité même de son déclenchement. Elle prend en considération une pluralité de facteurs qui, cumulativement, rendaient injustifiée l’interrogation du tribunal.

La cour met en exergue le contexte spécifique du litige. Elle note que la requête s’inscrivait dans une « série contentieuse identifiée » portée par le même conseil et pendante devant la même juridiction. De surcroît, ces affaires étaient dans l’attente d’une décision de principe du Conseil d’État sur la question de droit soulevée. Dans un tel contexte, la passivité temporaire du requérant ne pouvait être interprétée comme un abandon de ses prétentions. Elle relevait au contraire d’une stratégie procédurale rationnelle et partagée par de nombreux autres justiciables. En censurant l’ordonnance du tribunal, la cour administrative d’appel impose au juge du fond de prendre en compte l’environnement jurisprudentiel et procédural de l’affaire avant de conclure à un éventuel désintérêt.

Cette analyse rigoureuse des conditions de mise en œuvre du désistement d’office emporte des conséquences significatives sur le traitement des contentieux sériels et la protection des droits des justiciables.

II. La portée de la solution pour la gestion des contentieux sériels

Au-delà de son aspect technique, l’arrêt consacre la légitimité des stratégies d’attente dans le cadre des contentieux de masse (A) et renforce par là même la protection du droit à un recours effectif (B).

A. La consécration de la stratégie d’attente jurisprudentielle

La décision commentée reconnaît implicitement la pertinence de la pratique consistant, pour des requérants engagés dans des litiges similaires, à suspendre leurs démarches actives dans l’attente qu’une juridiction supérieure, en l’occurrence le Conseil d’État, tranche la question de droit fondamentale. Cette stratégie, dictée par un souci de bonne administration de la justice et d’économie des moyens, évite l’engorgement des prétoires et la multiplication d’argumentations redondantes.

En jugeant que cette situation ne permettait pas de douter de l’intérêt à agir du requérant, la cour administrative d’appel confère une forme de protection à cette pratique. Elle envoie un signal clair aux juridictions du fond : un dossier mis en attente dans le cadre d’une série contentieuse ne saurait être assimilé à un dossier abandonné. Cette solution pragmatique préserve l’équilibre entre la nécessité pour le juge de gérer activement son rôle et le droit pour les parties d’adapter leur stratégie à l’évolution de la jurisprudence. Elle évite de pénaliser les justiciables qui, en adoptant une posture d’attente, contribuent indirectement à une gestion plus efficiente du flux contentieux.

B. Le renforcement de la garantie du droit au recours

En censurant une application jugée trop extensive du mécanisme de désistement d’office, la cour administrative d’appel réaffirme la prééminence du droit d’accès au juge. Les outils de gestion procédurale, aussi utiles soient-ils pour assurer le traitement des affaires dans un délai raisonnable, ne doivent pas conduire à priver un requérant de son droit à ce que sa cause soit entendue, surtout lorsque son inaction apparente est justifiée.

La portée de cet arrêt est donc de constituer un garde-fou contre les risques d’une gestion purement administrative des dossiers. Le désistement d’office, conçu pour écarter les requêtes devenues sans objet ou manifestement abandonnées, ne doit pas être détourné de sa finalité pour devenir un simple instrument de régulation des stocks. La solution retenue assure que le silence d’un justiciable, lorsqu’il s’inscrit dans une logique procédurale cohérente et reconnue, ne puisse lui être opposé pour clore prématurément le débat contentieux. La protection des droits de la défense et la garantie d’un procès équitable sortent ainsi renforcées de cette clarification jurisprudentielle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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