Cour d’appel administrative de Paris, le 13 juin 2025, n°25PA00245

La Cour administrative d’appel de Paris a rendu le 13 juin 2025 un arrêt précisant les conditions de légalité d’une obligation de quitter le territoire français. La juridiction d’appel devait déterminer si la gestion d’une entreprise et la possession d’un titre de séjour européen font obstacle à une mesure d’éloignement. Un ressortissant étranger, affirmant résider en France depuis l’année 2012, s’est vu notifier une telle mesure assortie d’une interdiction de retour de vingt-quatre mois. Bien que l’intéressé exploite un restaurant employant plusieurs salariés, l’administration a estimé sa présence irrégulière faute de preuve d’une entrée régulière sur le sol national. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Paris a prononcé l’annulation de cet arrêté en retenant un défaut d’examen approfondi de la situation personnelle. L’autorité administrative a interjeté appel en soutenant que les juges de premier ressort avaient commis une erreur d’appréciation quant à la réalité de cet examen. La question posée était de savoir si l’insertion professionnelle et la situation administrative dans un autre État membre imposaient l’annulation de la mesure d’éloignement. La Cour administrative d’appel infirme le jugement initial en validant l’arrêté, tout en procédant à une substitution de base légale pour le délai de départ.

L’analyse de cette décision conduit à étudier d’abord la confirmation de la légalité interne de la mesure d’éloignement, avant d’envisager la régularisation technique de ses modalités.

**I. La confirmation de la légalité interne de la mesure d’éloignement**

**A. La primauté de l’irrégularité de l’entrée sur le territoire**

Le juge d’appel rappelle que la mesure d’éloignement trouve son fondement dans l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. L’intéressé ne pouvait justifier d’une entrée régulière car son passeport et sa carte de résident italien étaient postérieurs à sa date d’arrivée déclarée. La Cour souligne que ces documents, bien que valides, ne permettent pas de démontrer que « l’entrée en France s’est effectuée de manière régulière » à l’origine. L’administration pouvait donc légalement fonder sa décision sur l’absence de titre de séjour et l’absence de justification d’une admission régulière préalable. Cette position stricte du juge administratif écarte ainsi toute présomption de régularité attachée à la seule détention d’un titre de séjour délivré par un État tiers. La substitution opérée par le tribunal administratif a été jugée inutile puisque la situation de l’étranger correspondait précisément aux prévisions du premier alinéa législatif.

**B. La reconnaissance d’un examen suffisant de la situation individuelle**

Contrairement à l’analyse des premiers juges, la Cour estime que l’administration s’est livrée à un « examen suffisamment complet et approfondi » de la situation du requérant. L’arrêté mentionnait explicitement le célibat de l’intéressé et l’absence de charge de famille, montrant ainsi une prise en compte réelle des faits. Le juge d’appel considère que l’omission de certains détails professionnels ne suffit pas à caractériser un défaut d’examen sérieux de la part de l’administration. L’exploitation d’une société commerciale ne constitue pas, en elle-même, une garantie contre l’éloignement lorsque l’activité salariée n’est couverte par aucune autorisation de travail. La Cour valide ainsi le pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale qui a su mettre en balance les éléments de fait avec les impératifs de police. Cette approche renforce la présomption de légalité des actes administratifs dès lors que les mentions essentielles relatives à la vie privée y figurent.

**II. La régularisation technique des modalités d’exécution de l’éloignement**

**A. La substitution de motifs relative à l’absence de délai de départ**

La Cour administrative d’appel rejette la qualification de menace à l’ordre public initialement retenue par l’administration pour justifier l’absence de délai de départ volontaire. Les simples signalements pour défaut d’assurance ou usurpation de plaque ne permettent pas de « caractériser la menace à l’ordre public » sans poursuites pénales. Toutefois, le juge procède à une substitution de base légale en s’appuyant sur les déclarations expresses du ressortissant lors de son audition policière. L’intéressé ayant affirmé qu’il « refuserait de se conformer volontairement » à une mesure de retour, le risque de soustraction à la mesure était établi. Cette substitution est possible car elle ne prive le requérant d’aucune garantie procédurale et repose sur des faits constants figurant au dossier. Le juge administratif assure ici la pleine efficacité de l’action publique en rectifiant les erreurs de qualification juridique commises par l’autorité de police.

**B. Le contrôle restreint de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée**

L’arrêt écarte le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Bien que le requérant dispose d’un logement et d’une activité économique, le centre de ses intérêts ne semble pas fixé durablement en France. Son enfant mineur résidait en Italie, pays où le ressortissant bénéficiait d’ailleurs d’un droit au séjour permanent lui permettant d’y poursuivre sa vie. La Cour relève que l’absence de pièces justificatives antérieures à l’année 2019 fragilise grandement l’allégation d’une résidence habituelle continue depuis plus de dix ans. L’ingérence dans la vie privée est donc jugée proportionnée aux buts légitimes de défense de l’ordre public et de maîtrise des flux migratoires. La mesure d’interdiction de retour pendant deux ans est également confirmée, le juge n’y voyant aucune erreur manifeste d’appréciation des conséquences sur la situation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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