En l’espèce, un ressortissant algérien a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 25 avril 2023 lui ordonnant de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une décision fixant le pays de destination. Cette mesure administrative a été prise consécutivement au refus de lui délivrer un titre de séjour. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’annulation de cet arrêté, arguant notamment d’une atteinte à sa vie privée et familiale. Par un jugement du 28 décembre 2023, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens et ajoutant une critique sur la régularité du jugement de première instance, qu’il estimait insuffisamment motivé. Il soutenait que la décision préfectorale méconnaissait les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, en raison de sa situation familiale, notamment la présence en France de ses trois enfants, dont un mineur atteint d’un trouble autistique nécessitant un suivi médical. Il se posait donc la question de savoir si une mesure d’éloignement, prise à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière mais père d’enfants intégrés sur le territoire national, dont un souffrant d’une pathologie, constitue une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de la vie privée et familiale. Par un arrêt du 13 mars 2025, la Cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que la décision attaquée ne portait pas une atteinte excessive aux droits du requérant, au motif principal que « la cellule familiale de M. B…, (…) pourrait se reconstituer en Algérie ».
L’arrêt permet ainsi de rappeler la méthode du contrôle juridictionnel sur les mesures d’éloignement impliquant des attaches familiales en France, en confirmant une approche pragmatique du pouvoir discrétionnaire de l’administration (I), tout en procédant à une appréciation restrictive des garanties liées à la vie privée et familiale (II).
I. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration sous un contrôle juridictionnel classique
La Cour administrative d’appel, pour rejeter la requête, a d’abord écarté les moyens de légalité externe avant de valider l’analyse du préfet en se limitant à un contrôle restreint. Elle confirme ainsi la procédure habituelle de l’examen de la légalité d’une obligation de quitter le territoire français (A) tout en réaffirmant la nature du contrôle exercé en la matière (B).
A. Le rejet des moyens de légalité externe
Le requérant invoquait en premier lieu l’irrégularité du jugement de première instance pour insuffisance de motivation, ainsi que l’insuffisante motivation et le défaut d’examen de sa situation personnelle par le préfet. La Cour écarte ces arguments de manière concise, en adoptant une position bien établie en jurisprudence. S’agissant du jugement, elle distingue le grief relatif au bien-fondé de celui touchant à la régularité, précisant qu’une critique sur « l’insuffisante prise en considération » d’éléments factuels relève du fond du droit et non de la forme du jugement. Elle rappelle par ailleurs que le juge n’est pas tenu de répondre à chaque argument ou de mentionner toutes les pièces du dossier, dès lors que sa décision est globalement motivée en droit.
Concernant l’arrêté préfectoral, la Cour procède par adoption des motifs des premiers juges pour écarter les moyens tirés de l’insuffisance de motivation et du défaut d’examen. Cette technique, fréquente en appel, signifie que la Cour considère que le tribunal administratif a correctement répondu à ces arguments. Elle confirme implicitement qu’un arrêté est suffisamment motivé dès lors qu’il vise les dispositions légales applicables et mentionne les éléments principaux de la situation de l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour le préfet de détailler l’ensemble des circonstances personnelles dans son écrit. L’examen est jugé sérieux dès lors que l’administration a pris en compte les pièces essentielles du dossier.
B. La caractérisation d’une compétence discrétionnaire soumise au contrôle de l’erreur manifeste
Le requérant soutenait également que le préfet s’était cru à tort en situation de compétence liée pour édicter l’obligation de quitter le territoire. La Cour réfute cette analyse en relevant que l’arrêté précise avoir été pris « notamment au motif que le requérant s’est vu refuser la délivrance d’un titre de séjour ». Cette formulation démontre, selon les juges, que l’administration a bien exercé un pouvoir d’appréciation et n’a pas agi de manière automatique. En effet, si le refus de titre de séjour ouvre la possibilité pour le préfet de prononcer une telle mesure en vertu de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ne l’y contraint pas.
Cette qualification de la compétence de l’administration est déterminante pour la nature du contrôle exercé par le juge. En présence d’un pouvoir discrétionnaire, le juge administratif n’examine pas si la décision prise était la meilleure ou la plus opportune, mais se limite à vérifier que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle restreint conduit le juge à ne censurer que les décisions dont le bilan entre les motifs, d’une part, et les conséquences sur la situation de l’administré, d’autre part, est manifestement déséquilibré. C’est donc à travers ce prisme que la Cour va ensuite analyser les moyens relatifs à l’atteinte à la vie privée et familiale.
II. Une appréciation restrictive du droit à la vie privée et familiale
L’apport principal de la décision réside dans la manière dont la Cour met en balance l’intérêt public de la maîtrise des flux migratoires et les droits fondamentaux du requérant. Elle fait prévaloir une vision pragmatique de la cohésion familiale (A) qui conduit à une relativisation de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. La prévalence de la possibilité de reconstitution de la cellule familiale à l’étranger
Face aux arguments du requérant tirés de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour procède à une analyse concrète de la situation. Elle reconnaît les attaches de l’intéressé en France : son entrée régulière, la présence de son épouse et de leurs trois enfants, la scolarisation du plus jeune et son suivi médical, ainsi que l’intégration des deux aînés, étudiants et titulaires d’un titre de séjour. Cependant, la Cour minimise la portée de ces éléments. Elle considère que la présence du père « ne justifie pas que sa présence auprès de ses deux enfants majeurs serait nécessaire ».
Surtout, l’élément central de son raisonnement est la possibilité pour la famille de se reformer dans le pays d’origine. La Cour note que « la cellule familiale […] pourrait se reconstituer en Algérie, pays dans lequel le requérant a vécu jusqu’à l’âge de 46 ans et dans lequel il n’établit pas être dépourvu d’attaches ». Cette approche, classique en contentieux des étrangers, repose sur une évaluation théorique de la situation. Elle postule que l’unité familiale n’est pas rompue par la mesure d’éloignement dès lors que les autres membres de la famille ont la possibilité de suivre l’individu expulsé. Une telle analyse ne prend que peu en compte les difficultés pratiques d’une telle réinstallation et l’impact sur des enfants, dont deux sont majeurs et autonomes en France.
B. La subordination de l’intérêt supérieur de l’enfant aux objectifs de la politique migratoire
Le requérant invoquait également la violation de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui dispose que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une « considération primordiale ». La Cour examine ce moyen conjointement avec celui tiré de l’article 8 de la Convention européenne. Bien qu’elle prenne en compte la pathologie et le suivi médical du fils cadet, elle conclut que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à son intérêt supérieur. Cette conclusion découle directement du raisonnement précédent : puisque la cellule familiale peut se reconstituer en Algérie, l’intérêt de l’enfant à rester en France pour son suivi médical et sa scolarité n’est pas jugé suffisamment impérieux pour faire obstacle à la mesure d’éloignement de son père.
En procédant ainsi, la Cour interprète la notion de « considération primordiale » comme un élément important de la balance des intérêts, mais non comme un droit absolu faisant systématiquement échec à une mesure d’éloignement. L’intérêt supérieur de l’enfant est mis en balance avec d’autres impératifs, en l’occurrence la politique de maîtrise de l’immigration. En jugeant que la possibilité de reconstitution de la famille à l’étranger suffit à préserver les liens familiaux, la Cour considère que l’intérêt de l’enfant est suffisamment pris en compte, même si cela implique pour lui un déracinement et l’interruption potentielle de son parcours de soin en France. Cette approche illustre la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales et le juge administratif dans la conciliation de principes parfois contradictoires.