Par une décision rendue le 13 mars 2025, un magistrat désigné de la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcé sur l’étendue du contrôle juridictionnel portant sur le refus d’entrée en France au titre de l’asile. En l’espèce, un ressortissant étranger s’est vu refuser l’accès au territoire français à son arrivée à l’aéroport, malgré un avis favorable de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. L’administration a fondé sa décision sur l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, matérialisée par une interpellation pour des faits de conduite en état d’ivresse commis près de deux ans auparavant.
Saisi par l’étranger, le tribunal administratif de Paris avait initialement rejeté sa demande d’annulation de la décision ministérielle. L’intéressé a alors interjeté appel, contestant la qualification de menace grave pour l’ordre public retenue à son encontre. Il soutenait que les faits qui lui étaient reprochés ne pouvaient justifier une telle mesure dérogatoire au droit d’être admis sur le territoire pour solliciter l’asile. Le ministre de l’intérieur, pour sa part, persistait à considérer que la mesure était fondée au regard des antécédents de l’administré.
La question de droit posée à la cour était donc de savoir si des faits uniques, isolés et anciens, sans autre élément circonstancié sur leur gravité, sont suffisants pour caractériser une « menace grave pour l’ordre public » au sens de l’article L. 352-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette qualification permet à l’administration de déroger au caractère normalement liant de l’avis favorable de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, annulant le jugement de première instance ainsi que la décision de refus d’entrée. Elle juge que de tels faits ne permettent pas, à eux seuls, de caractériser la menace grave requise par le code pour justifier un refus d’admission au séjour.
Cette solution, qui encadre strictement l’appréciation de la menace à l’ordre public (I), vient en conséquence renforcer les garanties procédurales offertes au demandeur d’asile se présentant à la frontière (II).
I. L’encadrement strict de la notion de menace grave à l’ordre public
La cour rappelle que la possibilité pour le ministre de l’intérieur de s’opposer à l’entrée d’un demandeur d’asile est une exception soumise à un contrôle rigoureux. Elle réaffirme ainsi le principe du caractère liant de l’avis de l’Office (A) avant de préciser les exigences de fond relatives à la caractérisation de la menace (B).
A. Le caractère exceptionnel de la dérogation à l’avis de l’Office
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise une procédure spécifique pour l’étranger qui demande l’asile à la frontière. L’article L. 352-2 de ce code dispose que si l’avis de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides « est favorable à l’entrée en France de l’intéressé au titre de l’asile, [il] lie le ministre ». Ce principe confère une garantie substantielle au demandeur, qui ne peut en principe se voir refuser l’accès au territoire pour que sa demande soit instruite.
Toutefois, le même article prévoit une exception de taille : « sauf si l’accès de l’étranger au territoire français constitue une menace grave pour l’ordre public ». La décision commentée illustre que le juge administratif interprète cette dérogation de manière restrictive. En censurant la décision du ministre, la cour souligne que l’administration ne dispose pas d’une latitude discrétionnaire pour écarter un avis favorable. L’existence d’une menace grave doit être matériellement établie et soumise à un contrôle juridictionnel entier, qui va au-delà de la simple erreur manifeste d’appréciation.
B. L’exigence d’une menace actuelle et caractérisée
Pour justifier sa décision, l’administration s’est fondée sur une interpellation pour conduite en état d’ivresse, suivie d’un arrêté d’obligation de quitter le territoire et d’une interdiction de retour. La cour examine concrètement ces éléments pour déterminer s’ils suffisent à constituer la menace grave exigée par la loi. Elle relève que les faits sont à la fois « isolés et relativement anciens », datant de près de deux ans.
Surtout, la cour reproche à l’administration l’absence de tout autre élément probant. Elle estime que « de tels faits (…) ne sauraient suffire à permettre, en l’absence de toute précision et élément sur les circonstances de ces faits, leur gravité ou encore les suites judiciaires dont ils auraient éventuellement fait l’objet », de caractériser une telle menace. Ce faisant, le juge exige de l’administration qu’elle produise une argumentation étayée, démontrant que le comportement passé de l’individu révèle un risque actuel et d’une particulière gravité pour la société. Une simple inscription au fichier des personnes recherchées, conséquence mécanique d’une mesure administrative antérieure, ne saurait à elle seule suffire.
II. La protection renforcée du droit de solliciter l’asile
En procédant à un contrôle approfondi des faits, la cour administrative d’appel prévient une application trop extensive de la notion d’ordre public (A). Cette annulation produit des effets concrets et immédiats pour le demandeur, garantissant ainsi l’effectivité du droit d’asile à la frontière (B).
A. La censure d’une conception extensive de l’ordre public
La notion d’ordre public est par nature évolutive et peut faire l’objet d’interprétations variables. Dans le contexte du droit d’asile, son maniement est particulièrement sensible. En refusant de considérer qu’un délit routier isolé et ancien constitue une menace grave, la cour fixe une limite claire au pouvoir de l’administration. Elle empêche que l’exception prévue par la loi ne devienne un moyen de vider de sa substance le caractère liant de l’avis de l’Office.
La décision a ainsi pour valeur de rappeler que la menace doit présenter une intensité particulière, que le qualificatif « grave » met en exergue. Tous les agissements contraires à la loi ne relèvent pas de ce champ. La solution adoptée s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige que la menace soit non seulement réelle et actuelle, mais aussi qu’elle touche à un intérêt fondamental de la société. En l’espèce, les faits retenus par le ministre ne présentaient manifestement pas ce degré de gravité, ce qui rendait son application de la loi erronée.
B. La portée concrète de l’annulation pour le demandeur
L’annulation de la décision de refus d’entrée n’est pas seulement symbolique. Elle a pour portée de replacer l’étranger dans la situation juridique qui aurait dû être la sienne si la décision illégale n’avait pas été prise. L’article L. 352-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit expressément les conséquences d’une telle annulation. L’étranger doit être admis sur le territoire, muni d’un visa de régularisation de huit jours, afin de pouvoir déposer sa demande d’asile auprès de l’Office.
La cour prend d’ailleurs soin de rejeter les conclusions à fin d’injonction de délivrer une « autorisation de séjour ». Elle montre ainsi sa maîtrise des dispositions applicables, qui prévoient une procédure spécifique et non l’octroi d’un titre de séjour de droit commun à ce stade. La décision garantit donc l’accès effectif à la procédure d’asile, qui est l’objet même du dispositif de l’admission au séjour au titre de l’asile. Elle constitue un rappel à l’administration que son pouvoir d’appréciation est strictement encadré pour préserver un droit fondamental.