Cour d’appel administrative de Paris, le 14 janvier 2025, n°24PA01346

Un ressortissant étranger, entré sur le territoire national en 2007 et père de trois enfants, a fait l’objet, à la suite d’une interpellation pour des faits de nature pénale, de plusieurs arrêtés préfectoraux en date du 23 mai 2022. Ces décisions l’obligeaient à quitter le territoire français sans délai, fixaient le pays de sa réadmission et prononçaient une interdiction de retour pour une durée de vingt-quatre mois. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Montreuil afin d’obtenir l’annulation de ces actes, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 13 décembre 2023. Il a alors interjeté appel de cette décision, soulevant divers moyens, notamment la méconnaissance de son droit d’être entendu avant que les mesures d’éloignement ne soient prises à son encontre. L’autorité préfectorale, quant à elle, a conclu au rejet de la requête, affirmant que l’administré avait pu présenter ses observations lors de sa garde à vue, sans toutefois produire de pièces pour étayer cette allégation. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’absence de preuve de la bonne exécution du droit d’être entendu, s’agissant d’un étranger justifiant d’un long séjour et d’une insertion familiale et professionnelle, entachait la décision d’éloignement d’une illégalité. Par son arrêt, la cour a répondu par l’affirmative, considérant que ce manquement procédural avait privé l’intéressé d’une garantie et potentiellement influencé le sens de la décision. Elle a, par conséquent, annulé le jugement de première instance ainsi que les arrêtés contestés.

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I. La consécration du droit d’être entendu comme garantie procédurale substantielle

La décision commentée réaffirme avec force l’importance du principe du droit d’être entendu en matière de police des étrangers (A), tout en soulignant que la charge de la preuve de son respect incombe à l’administration (B).

A. Un principe général du droit de l’Union européenne appliqué à l’éloignement des étrangers

La cour prend soin de rappeler la nature et la portée du droit d’être entendu, lequel constitue « partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l’Union ». Cette garantie fondamentale implique que l’autorité administrative, avant d’édicter une mesure aussi grave qu’une obligation de quitter le territoire, doit mettre l’individu concerné en position de faire valoir son point de vue. Il s’agit de lui permettre de présenter des observations écrites ou orales afin que sa situation personnelle soit pleinement prise en compte. Le juge administratif s’assure ainsi que la décision d’éloignement n’est pas prise sans que l’étranger ait eu l’opportunité de se défendre utilement. En l’espèce, le raisonnement du juge s’ancre dans une jurisprudence bien établie qui impose à l’administration une obligation de diligence procédurale avant de restreindre les libertés individuelles.

B. La charge de la preuve du respect du principe pesant sur l’administration

Face aux allégations du requérant, le préfet a soutenu que l’intéressé avait bien été entendu lors d’une audition sur sa situation administrative. Cependant, cette affirmation est restée au stade de la simple déclaration, l’autorité préfectorale s’étant « abstenu de verser aux débats le procès-verbal aux mentions duquel il renvoie ». La cour en déduit logiquement que la preuve du respect de la procédure n’est pas rapportée. Le juge opère ici un contrôle rigoureux, refusant de se contenter des dires de l’administration lorsque ceux-ci ne sont pas corroborés par des éléments matériels. Cette exigence probatoire est essentielle pour garantir l’effectivité du droit d’être entendu. En ne produisant pas le document qui aurait attesté de la tenue d’un entretien et de sa teneur, le préfet a laissé subsister un doute qui a entièrement profité au requérant.

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II. Un contrôle concret de l’impact de l’irrégularité procédurale

L’annulation prononcée ne découle pas d’une simple erreur formelle, mais d’une analyse approfondie de ses conséquences sur la décision (A), aboutissant à une solution protectrice pour l’administré mais mesurée dans sa portée (B).

A. L’appréciation in concreto de l’influence déterminante du vice de procédure

La cour ne se limite pas à constater la violation du droit d’être entendu ; elle en évalue la portée concrète. Elle vérifie si cette irrégularité « a, dans les circonstances de l’espèce, effectivement privé l’intéressé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent ». Pour ce faire, le juge examine les éléments que l’administré aurait pu soulever : une présence ancienne en France, une insertion professionnelle durable attestée par des contrats de travail, ainsi qu’une vie familiale stable avec une compagne d’une autre nationalité et trois enfants scolarisés. La motivation de l’arrêté, jugée « peu circonstanciée », démontrait que ces aspects n’avaient pas été sérieusement considérés. C’est donc bien parce que l’absence de débat contradictoire a empêché un examen complet de la situation que la cour conclut au vice de procédure substantiel.

B. Une annulation sanctionnant la procédure sans préjuger du fond du droit

La conséquence tirée par la cour est l’annulation de l’obligation de quitter le territoire et, par voie de conséquence, des décisions subséquentes relatives au délai de départ et à l’interdiction de retour. Cette solution est une censure directe de la méthode employée par l’administration. Toutefois, la portée de cet arrêt demeure mesurée. Le juge n’ordonne pas la délivrance d’un titre de séjour mais enjoint seulement au préfet de « réexaminer la situation administrative » de l’intéressé dans un délai de deux mois, tout en lui accordant une autorisation provisoire de séjour pour la durée de ce réexamen. La décision protège donc l’individu contre l’arbitraire procédural en lui garantissant une seconde chance de faire valoir ses droits, mais elle ne préjuge en rien de l’issue finale de la nouvelle instruction de son dossier. La solution retenue est donc une décision d’espèce qui rappelle fermement l’administration à ses obligations procédurales.

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Hassan KOHEN
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