La cour administrative d’appel de Paris a rendu, le 14 mai 2025, une décision majeure relative à la responsabilité de l’État pour transposition fautive du droit européen. Un ancien salarié sollicitait l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de ses droits à une retraite supplémentaire après l’insolvabilité de son employeur. L’entreprise, placée en liquidation judiciaire, ne pouvait plus honorer les appels de fonds nécessaires au versement de la pension de l’intéressé. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande indemnitaire par un jugement rendu le 9 juillet 2021. La cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce rejet le 2 juin 2022 avant que le Conseil d’État n’annule cette décision. L’affaire a été renvoyée devant la cour administrative d’appel qui doit désormais trancher le litige après une cassation partielle. La juridiction doit déterminer si l’État a commis une faute en ne transposant pas intégralement les garanties prévues par la directive européenne. Les juges ont reconnu une responsabilité partielle de l’État en limitant l’indemnisation à la moitié des droits perdus hors périodes déjà couvertes. Ce commentaire analysera d’abord l’identification de la carence législative avant d’étudier les modalités de calcul du préjudice retenues par la cour.
I. L’identification d’une carence fautive dans la transposition de la directive
A. Un encadrement législatif national jugé insuffisant au regard du droit européen
La cour rappelle que la directive du 20 octobre 1980 impose aux États de protéger les intérêts des salariés en cas d’insolvabilité de leur employeur. Les dispositions européennes prévoient que « les États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés ». Cette protection doit concerner les droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance. Or, les magistrats constatent qu’aucune disposition nationale ne garantissait efficacement les engagements antérieurs au 11 août 1994 ou postérieurs à la transformation des institutions. La cour souligne ainsi que « les dispositions législatives et réglementaires applicables ne garantissaient pas que les salariés (…) puissent (…) bénéficier de prestations de retraite supplémentaire ». Cette carence dans la sécurisation des rentes constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.
Cette insuffisance globale de transposition doit toutefois être conciliée avec l’existence d’obligations de provisionnement déjà prévues par la loi française pour certaines périodes.
B. L’exclusion des périodes soumises à une obligation de provisionnement
La juridiction opère une distinction temporelle rigoureuse pour déterminer si le préjudice invoqué découle directement de la faute de l’État. Elle relève que la loi du 8 août 1994 imposait déjà le provisionnement des droits à retraite nés entre cette date et la liquidation. La cour estime que « l’absence de décret d’application n’empêchait pas l’entrée en vigueur des dispositions législatives imposant aux institutions de retraite de constituer des provisions ». Par conséquent, la perte des droits acquis durant cette phase spécifique n’est pas la conséquence directe de la mauvaise transposition de la directive européenne. Les juges considèrent que « la perte des droits (…) n’est pas directement imputable à la faute résultant du caractère incomplet de la transposition ». Le lien de causalité est ainsi rompu pour la période où le droit interne prévoyait déjà des garanties de financement suffisantes.
La reconnaissance de cette faute limitée conduit la juridiction à définir les modalités précises de calcul de l’indemnisation due au requérant lésé.
II. Une application équilibrée de l’obligation de garantie minimale
A. La consécration du seuil de protection de cinquante pour cent
La cour se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne pour fixer l’étendue de l’obligation pesant sur l’État. L’arrêt Robins précise que chaque salarié doit bénéficier de prestations « correspondant au moins à la moitié de la valeur de ses droits acquis ». Le juge administratif n’impose pas une réparation intégrale du préjudice financier subi par l’ancien salarié mais seulement le respect de ce minimum européen. Pour évaluer l’indemnité, la cour calcule d’abord le montant global de la rente dont l’intéressé a été privé depuis l’arrêt des versements. Elle retranche ensuite de cette somme les montants qui auraient dû être provisionnés par l’employeur sous l’empire de la législation de 1994. Le résultat final de ce calcul est divisé par deux pour correspondre au seuil de garantie minimale de cinquante pour cent exigé.
Cette méthode de calcul aboutit à une condamnation pécuniaire précise dont il convient d’apprécier la portée pour le contentieux de la responsabilité publique.
B. Les conséquences pratiques de l’évaluation souveraine de l’indemnité
La décision illustre la volonté du juge de limiter la charge financière de l’État tout en assurant une protection effective aux victimes d’insolvabilité. La cour rejette par ailleurs les demandes d’indemnisation pour troubles dans les conditions d’existence ou perte de pouvoir d’achat faute de preuves suffisantes. Elle affirme qu’il appartient au requérant de « démontrer l’existence et l’étendue » de préjudices distincts de la simple perte des droits à pension. L’État est finalement condamné à verser la somme de 18 314,98 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable. Cet arrêt confirme que la responsabilité de l’État reste subsidiaire par rapport aux mécanismes de garantie que les entreprises doivent elles-mêmes mettre en œuvre. La solution retenue sécurise l’application du droit européen tout en préservant l’équilibre des finances publiques face aux défaillances des régimes de retraite privés.