Par un arrêt en date du 14 mai 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français.
En l’espèce, un ressortissant étranger est entré régulièrement en France au moyen d’un visa de court séjour. Après l’expiration de ce visa, il s’est maintenu sur le territoire et a fait l’objet d’une interpellation sur la voie publique, conduisant à son placement en rétention administrative. Le même jour, la préfète compétente a édicté à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour de six mois.
L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cette décision. Par une ordonnance, le premier vice-président du tribunal a rejeté sa requête sur le fondement du 7° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, jugeant ses moyens manifestement infondés. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance, reprenant devant la cour ses arguments tenant notamment à l’incompétence de l’auteur de l’acte, à l’insuffisance de sa motivation, à l’irrégularité de la procédure de garde à vue, à la méconnaissance de son droit d’être entendu et à l’atteinte portée à sa vie privée.
La question de droit soumise à la cour portait donc sur la validité d’une mesure d’éloignement au regard des garanties procédurales et des droits fondamentaux invoqués par un étranger en situation irrégulière. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si la procédure suivie par l’administration, notamment lors de l’audition de l’intéressé, avait suffisamment respecté les droits de la défense, et si la décision contestée portait une atteinte disproportionnée à sa situation personnelle.
La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant qu’aucun des moyens soulevés n’est de nature à entraîner l’annulation de l’arrêté préfectoral. Elle confirme ainsi la légalité de la décision d’éloignement en validant point par point la procédure suivie par l’administration et en écartant les atteintes alléguées aux droits fondamentaux de l’intéressé.
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine la légalité externe et interne d’une mesure d’éloignement, tout en appliquant de manière pragmatique les garanties procédurales. Il convient ainsi d’analyser d’une part la confirmation par la cour des règles de validité de l’acte administratif (I), et d’autre part l’appréciation restrictive qu’elle opère quant à la portée des garanties de fond invoquées par le requérant (II).
I. La confirmation rigoureuse de la validité formelle de la mesure d’éloignement
La Cour administrative d’appel confirme la légalité de l’arrêté en écartant les moyens de légalité externe. Elle valide ainsi les conditions de compétence et de motivation de l’acte (A) tout en rappelant fermement l’indépendance de la procédure administrative par rapport à la procédure judiciaire (B).
A. La validation des exigences de compétence et de motivation
Le juge de l’excès de pouvoir opère un contrôle classique des conditions de forme de l’acte attaqué. En premier lieu, concernant la compétence de l’auteur de l’acte, la cour rappelle qu’une délégation de signature régulièrement publiée produit ses pleins effets. Elle précise qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités délégantes n’étaient pas absentes ou empêchées. Par cette formule, elle fait peser sur le requérant la charge de la preuve de l’irrégularité, preuve souvent difficile à rapporter en pratique. Cette solution, conforme à une jurisprudence constante, assure la sécurité juridique des actes administratifs en présumant la régularité des conditions d’exercice d’une délégation.
En second lieu, la cour écarte le moyen tiré de l’insuffisance de motivation. Elle constate que l’arrêté contesté « comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ». Le juge vérifie que l’acte mentionne les textes applicables et les circonstances propres à l’espèce, à savoir le maintien sur le territoire après l’expiration d’un visa. Cet examen se limite à l’existence d’une motivation formelle, sans en contrôler à ce stade la pertinence ou l’exactitude matérielle. La décision témoigne d’une approche pragmatique qui se satisfait d’une motivation standardisée, dès lors que les éléments essentiels permettant au destinataire de comprendre la décision y figurent.
B. Le rappel de l’autonomie de la procédure administrative
La cour écarte comme inopérant le moyen tiré de l’irrégularité des mesures de contrôle et de retenue. Elle réaffirme ainsi avec force le principe de la séparation des contentieux administratif et judiciaire. La légalité de la mesure de police administrative, en l’occurrence l’obligation de quitter le territoire, est indépendante de la régularité de la procédure judiciaire de contrôle d’identité ou de rétention.
En énonçant que la régularité de ces mesures, « dont il appartient au seul juge judiciaire de connaître, est sans incidence sur la légalité des décisions du préfet », la cour se conforme à une jurisprudence bien établie. Cette solution garantit la clarté de la répartition des compétences juridictionnelles et empêche que la procédure administrative soit paralysée par des contestations relevant d’un autre ordre de juridiction. Pour l’administration, cette étanchéité des procédures lui permet de poursuivre l’objectif d’éloignement sans dépendre de l’issue d’un contentieux judiciaire dont l’objet, la protection de la liberté individuelle, est distinct de celui du contrôle des flux migratoires.
Après avoir ainsi purgé le débat des questions de pure forme, la cour se penche sur les garanties substantielles dont se prévalait le requérant, en leur donnant une interprétation particulièrement concrète.
II. L’appréciation concrète des droits subjectifs du requérant
La Cour administrative d’appel analyse ensuite les moyens tirés de la méconnaissance du droit d’être entendu et du droit au respect de la vie privée. Elle adopte une lecture pragmatique de ces droits, en se fondant sur les pièces du dossier pour écarter toute violation, qu’il s’agisse de l’application du droit de l’Union européenne (A) ou de celle de la Convention européenne des droits de l’homme (B).
A. Une conception matérielle du droit d’être entendu
Le point le plus notable de l’arrêt réside dans son analyse du droit d’être entendu, garanti par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La cour ne s’en tient pas à une vision formaliste de cette garantie. Elle ne vérifie pas si une procédure d’audition spécifique et formalisée a eu lieu, mais recherche si, matériellement, l’intéressé a eu la possibilité « de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue ». Pour ce faire, elle s’appuie sur le procès-verbal d’audition dressé par les services de police.
Le juge constate que l’étranger a été interrogé sur les éléments clés de sa situation personnelle et qu’il a donc eu l’opportunité de présenter ses observations. La charge de la preuve est de fait inversée : c’est au requérant de démontrer qu’il a été « empêché de porter à la connaissance de l’administration » des informations qui auraient été « de nature à faire obstacle » à la décision. Cette approche pragmatique, centrée sur l’effectivité du droit, renforce l’efficacité de l’action administrative, mais elle peut fragiliser la situation de l’administré, souvent peu au fait de ses droits et des informations pertinentes à communiquer lors d’une audition sous contrainte. De même, en relevant que l’intéressé n’a pas sollicité d’interprète, la cour en déduit l’absence de difficulté de compréhension, une présomption qui peut être discutée au regard de la vulnérabilité d’une personne interpellée.
B. L’exigence de la preuve dans l’allégation d’une atteinte aux droits fondamentaux
Enfin, la cour examine le moyen tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que, implicitement, le risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le requérant alléguait avoir fui son pays en raison de désaccords familiaux liés à une pratique religieuse stricte.
La cour rejette ce moyen de manière lapidaire, en relevant que l’intéressé « ne l’établit pas ». Cette formule souligne une exigence fondamentale du contentieux administratif : une simple allégation, aussi grave soit-elle, est insuffisante si elle n’est pas étayée par des éléments de preuve concrets. Le juge se refuse à statuer sur des affirmations non prouvées, cantonnant son office à l’examen des pièces versées au dossier. Si cette rigueur est une garantie contre l’arbitraire et assure la neutralité du juge, elle place l’étranger dans une situation probatoire souvent difficile, voire impossible, lorsqu’il s’agit de justifier des craintes personnelles ou des persécutions diffuses. La décision illustre ainsi les limites du contrôle du juge face à des situations humaines complexes qui ne se laissent pas aisément traduire en preuves matérielles.