La Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 14 mars 2025, précise le régime juridique du centre des intérêts matériels et moraux. Un inspecteur des douanes sollicitait la reconnaissance de ce transfert en Nouvelle-Calédonie afin de bénéficier de dispositions statutaires spécifiques. L’administration rejeta initialement cette demande avant d’accorder une reconnaissance limitée à six ans au cours de l’instance de premier ressort. Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, le 29 février 2024, annula la décision initiale et enjoignit une reconnaissance sans limitation de durée. L’autorité ministérielle contesta cette mesure d’injonction devant le juge d’appel en invoquant les critères fixés par une circulaire administrative. La juridiction doit déterminer si la localisation des intérêts d’un agent public présente un caractère permanent justifiant une injonction de durée illimitée. La Cour administrative d’appel censure le jugement en soulignant la mutabilité intrinsèque de la situation matérielle et morale des fonctionnaires en outre-mer. Cette décision repose sur une analyse rigoureuse de la nature du centre des intérêts (I) avant de limiter strictement la portée des mesures d’injonction (II).
I. L’affirmation du caractère évolutif des intérêts matériels et moraux
L’examen des critères de localisation (A) précède alors l’analyse de la valeur juridique des textes réglementaires invoqués par l’administration (B).
A. La définition prétorienne du faisceau d’indices
Le juge administratif rappelle les critères classiques permettant d’apprécier la localisation des intérêts matériels et moraux d’un agent public en service. Cette évaluation repose sur un « faisceau de critères qui ne sont pas exhaustifs et que ni la loi ni les règlements n’ont définis ». La solution mentionne notamment le lieu de naissance, la résidence des membres de la famille ainsi que la détention de biens immobiliers. Ces éléments constituent des indices concordants mais demeurent soumis à une appréciation globale de l’autorité sous le contrôle souverain du juge. L’arrêt précise que cette localisation « doit être appréciée, dans chaque cas, à la date à laquelle l’administration se prononce » sur le dossier. La nature même de ces critères implique une possibilité de changement futur de la situation personnelle ou patrimoniale de l’agent concerné.
B. Le rejet du caractère impératif des orientations ministérielles
Le litige portait également sur l’application d’une circulaire administrative distinguant des critères irréversibles et réversibles pour la gestion des carrières. L’administration soutenait que les orientations de ce texte imposaient une limitation temporelle de six ans pour les intérêts dits réversibles. Cependant, la Cour écarte cette argumentation en affirmant que les énonciations de cette circulaire « ne présentent aucun caractère impératif » pour le juge. Elle souligne qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit une reconnaissance de cet avantage pour une durée précisément déterminée ou indéterminée. L’autorité compétente ne peut pas se fonder exclusivement sur des directives internes pour restreindre ou figer les droits des fonctionnaires. Cette indépendance du juge garantit une application souple et individualisée de la notion d’intérêts matériels et moraux. Ce constat conduit logiquement à limiter l’intervention du juge dans la définition de la durée de validité de ces intérêts.
II. Les limites de l’office du juge de l’injonction
L’annulation de l’injonction perpétuelle (A) s’accompagne d’un rappel nécessaire des règles relatives aux demandes formulées par les justiciables (B).
A. L’inadéquation d’une reconnaissance sans limitation de durée
La décision censurant l’injonction de première instance se fonde principalement sur la variabilité temporelle de la situation juridique des agents publics. Puisque la localisation des intérêts « est susceptible d’évoluer dans le temps », elle doit nécessairement faire l’objet d’un réexamen périodique par l’autorité. Une injonction tendant à une reconnaissance sans limitation de durée méconnaîtrait cette réalité factuelle et juridique propre à la fonction publique. Le juge d’appel considère que l’annulation de la décision de refus n’impliquait aucune mesure d’injonction particulière au regard des circonstances. L’administration conserve ainsi son pouvoir d’appréciation lors des demandes ultérieures de congés bonifiés ou de mutations présentées par l’agent. La protection des droits individuels ne saurait aboutir à la création d’un statut permanent au mépris des changements possibles.
B. Le respect du cadre des prétentions des parties
Enfin, le juge d’appel souligne que le premier juge a statué au-delà des demandes formulées par le requérant lors de l’instance initiale. L’intéressé n’avait pas « sollicité la reconnaissance du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux sans limitation de durée » selon les pièces produites. L’office du juge de l’injonction reste strictement délimité par les prétentions des parties et les nécessités de l’exécution de la chose jugée. En prononçant une mesure plus étendue que celle demandée, le tribunal administratif a entaché sa décision d’une irrégularité dans l’exercice de son pouvoir. La Cour administrative d’appel de Paris rétablit donc l’équilibre en annulant l’article du jugement relatif à cette mesure contraignante pour la puissance publique. Cette solution préserve la liberté de gestion de l’administration tout en assurant une application conforme aux principes du contentieux administratif.