Par un arrêt en date du 15 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à préciser l’étendue de l’obligation d’information qui pèse sur l’administration fiscale en vertu de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales.
En l’espèce, des contribuables avaient bénéficié d’une réduction d’impôt sur le revenu au titre d’investissements réalisés outre-mer. À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause cet avantage, estimant que les investissements n’avaient pas été effectivement réalisés. Elle a par conséquent notifié aux contribuables des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre des années 2009 et 2010. Les contribuables ont saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande en décharge de ces impositions, qui fut rejetée par un jugement du 23 mai 2023. Ils ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’administration avait méconnu son obligation de les informer de l’origine et de la teneur de l’ensemble des renseignements obtenus auprès de tiers, en violation de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales et du principe de loyauté. Les requérants faisaient valoir que l’administration s’était fondée sur des éléments non communiqués, issus notamment de la vérification de comptabilité de la société gestionnaire du dispositif de défiscalisation, et que les informations transmises étaient incomplètes.
Le litige posait ainsi à la cour la question de savoir si l’obligation d’information de l’administration fiscale s’étend au-delà de la communication des seuls renseignements qui constituent le fondement direct et nécessaire des rectifications. En d’autres termes, l’administration est-elle tenue de communiquer des éléments issus d’une autre procédure de contrôle ou l’intégralité des documents obtenus de tiers, même lorsque les extraits communiqués suffisent à justifier le rehaussement ?
La cour administrative d’appel y répond par la négative. Elle juge que l’obligation d’information est satisfaite dès lors que l’administration a communiqué aux contribuables les renseignements sur lesquels elle s’est effectivement fondée pour établir l’imposition, avec une précision suffisante quant à leur origine et leur teneur. La cour estime que la circonstance que des passages de la proposition de rectification aient été reproduits d’une autre procédure ou que des documents communiqués par des tiers n’aient été que partiellement transmis est sans incidence, du moment que les informations communiquées justifiaient les rehaussements et permettaient aux contribuables de présenter utilement leurs observations.
Cette solution, qui consacre une application rigoureuse des garanties procédurales (I), conduit à circonscrire la portée du principe de loyauté à la seule observation des règles écrites (II).
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I. La confirmation d’une interprétation stricte des garanties du contribuable
La décision de la cour administrative d’appel repose sur une lecture littérale de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, qui conduit à délimiter précisément le périmètre de l’obligation d’information de l’administration (A) et à écarter une conception plus large des devoirs qui lui incombent (B).
A. La délimitation de l’obligation d’information aux seuls renseignements fondant le rehaussement
Le raisonnement des juges s’articule autour de la finalité de la garantie prévue par le législateur. En application de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, « L’administration est tenue d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition ». La cour constate en l’espèce que l’administration s’est fondée sur des informations provenant de deux tiers identifiés, un transitaire en douane et un fournisseur d’électricité. Elle relève que la proposition de rectification mentionnait avec une « précision suffisante » l’identité de ces tiers et que le détail des informations obtenues figurait en annexe.
Par cette analyse, la cour réaffirme que l’obligation de communication a pour unique objet les éléments qui ont un lien de causalité direct avec la décision de rehaussement. Le but de la disposition est de permettre au contribuable de discuter utilement la pertinence des informations qui lui sont opposées. Dès lors que les renseignements transmis sont suffisants pour justifier la rectification et que le contribuable a été en mesure de formuler des observations, ce qui était le cas en l’espèce, la garantie est réputée avoir été respectée. L’obligation de l’administration n’est donc pas une obligation de transparence absolue, mais une obligation ciblée sur les seuls fondements de l’imposition.
B. Le rejet d’une conception extensive des obligations administratives
Les requérants tentaient de faire valoir que l’administration avait manqué à ses obligations en utilisant des informations non communiquées, issues notamment d’une vérification de comptabilité d’une société tierce, et en ne transmettant qu’une version partielle d’un tableau fourni par un tiers. La cour écarte ces deux arguments, les jugeant inopérants. Concernant la reprise de passages d’une autre proposition de rectification, elle estime qu’une telle pratique est sans incidence dès lors qu’il n’est pas établi que les rectifications litigieuses se fondent sur des éléments autres que ceux qui ont été communiqués.
De même, s’agissant du caractère partiel des informations transmises, la cour considère que cette circonstance « est également sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors que les informations ainsi communiquées étaient suffisantes pour justifier les rehaussements ». Cette position confirme que l’administration n’est pas tenue de noyer le contribuable sous un flot de documents, mais de lui fournir la substance des éléments à charge. La suffisance du renseignement s’apprécie donc au regard de sa capacité à motiver le rehaussement, et non au regard de l’exhaustivité des pièces obtenues lors du droit de communication.
En définissant ainsi les contours de la garantie légale, la cour administrative d’appel réduit par voie de conséquence le champ d’application du principe de loyauté, qui ne saurait exister indépendamment du respect des procédures prévues par la loi.
II. La portée circonscrite du principe de loyauté en matière de contrôle fiscal
L’arrêt illustre la position du juge administratif qui tend à faire du principe de loyauté une notion subsidiaire par rapport aux garanties textuelles (A), ce qui emporte des conséquences pratiques importantes sur la conduite de la défense du contribuable (B).
A. La subsidiarité du principe de loyauté face aux garanties textuelles
Invoqué par les requérants, le « principe de loyauté » est traité par la cour comme une conséquence directe du respect des garanties prévues par le livre des procédures fiscales. Le juge estime en effet que les contribuables ne sont pas fondés à se prévaloir d’une méconnaissance de ce principe « dès lors que l’administration fiscale a conduit la procédure de contrôle et de rectification dans le respect des garanties prévues par la loi fiscale ». Cette formulation révèle que le principe de loyauté ne constitue pas, dans l’esprit de la cour, une source autonome d’obligations pour l’administration.
Cette approche, classique en contentieux fiscal, revient à considérer que la loyauté de la procédure est assurée par le strict respect des règles écrites qui organisent le dialogue entre l’administration et le contribuable. Un manquement au principe de loyauté ne pourrait donc être caractérisé que si une garantie textuelle a été méconnue, ou si l’administration a eu un comportement s’apparentant à une manœuvre visant à priver le contribuable de l’exercice effectif de ses droits. En l’absence d’une telle démonstration, le principe de loyauté reste une notion abstraite, dont la portée est absorbée par les dispositions spécifiques du code général des impôts et du livre des procédures fiscales.
B. Les conséquences pratiques pour la stratégie de défense du contribuable
Cette décision confirme qu’un contribuable ne peut utilement se prévaloir d’une violation de l’article L. 76 B qu’en démontrant que l’administration a assis sa conviction sur un renseignement précis obtenu d’un tiers sans le lui avoir communiqué. La simple suspicion de l’existence d’autres informations, ou la critique du caractère partiel des pièces transmises, est insuffisante si les éléments communiqués constituent en eux-mêmes une base légale et factuelle suffisante pour la rectification. La charge de la preuve d’un détournement de procédure pèse ainsi lourdement sur le contribuable.
En validant la méthode de l’administration, l’arrêt constitue une décision d’espèce qui s’inscrit dans un courant jurisprudentiel bien établi, privilégiant la sécurité juridique et l’efficacité du contrôle fiscal. Elle rappelle que les garanties procédurales, si elles sont essentielles, ne doivent pas conduire à paralyser l’action administrative par des exigences formelles excessives. La transparence exigée de l’administration a pour limite la stricte nécessité de la motivation des impositions, laissant au contribuable le soin de concentrer sa contestation sur la pertinence et l’exactitude des seuls éléments qui lui sont formellement opposés.