Par un arrêt en date du 15 avril 2025, la Cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour un étranger malade au regard de la disponibilité des soins dans son pays d’origine. En l’espèce, un ressortissant malien, souffrant d’une pathologie pour laquelle il bénéficiait d’un suivi médical en France, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 16 février 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Cette décision administrative s’appuyait sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, lequel avait conclu que le requérant pouvait bénéficier d’un traitement approprié au Mali. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande par un jugement du 3 janvier 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation de l’accès effectif aux soins dans son pays. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si les éléments produits par le requérant étaient de nature à remettre en cause l’avis médical et à établir qu’il ne pourrait pas bénéficier effectivement d’un traitement approprié en cas de retour. La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que l’intéressé n’apporte pas la preuve que son état de santé ne pourrait être correctement pris en charge au Mali.
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I. La consolidation du rôle de l’avis médical dans l’appréciation de l’accès aux soins
La décision de la Cour administrative d’appel confirme la place centrale de l’avis émis par le collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans le processus décisionnel du préfet (A), ce qui rend particulièrement difficile pour le requérant de renverser la présomption qui en découle (B).
A. Le poids déterminant de l’avis du collège de médecins
L’autorité préfectorale, pour statuer sur une demande de titre de séjour pour raisons de santé, fonde son analyse sur l’avis technique du collège de médecins de l’OFII. Cet avis a pour objet d’évaluer si le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour l’étranger et si ce dernier peut, eu égard à l’offre de soins locale, bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Dans la présente affaire, le préfet s’est conformé à l’avis du 30 décembre 2021 qui, tout en reconnaissant la gravité potentielle des conséquences d’un défaut de soins, a estimé qu’un traitement était effectivement accessible au Mali.
En validant ce raisonnement, la Cour réaffirme que cet avis constitue l’élément d’appréciation principal pour l’administration. Le juge administratif exerce un contrôle sur l’erreur manifeste d’appréciation, mais il n’a pas vocation à substituer sa propre évaluation médicale à celle des experts désignés. La décision s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui accorde une forte présomption de fiabilité à l’avis de l’OFII, lequel est censé reposer sur une connaissance objective des systèmes de santé étrangers. La charge de contester utilement cet avis repose donc entièrement sur le demandeur.
B. L’insuffisance des éléments produits par le requérant
Face à l’avis de l’OFII, le requérant se devait d’apporter des preuves circonstanciées et précises pour démontrer l’impossibilité d’accéder aux soins. La Cour examine méthodiquement les pièces versées au dossier et les juge insuffisantes pour contredire les conclusions des médecins experts. Un certificat médical du médecin traitant est écarté car il ne fait que constater la régularité du suivi en France. Un autre, émanant d’un neurologue, est jugé « particulièrement peu précis et circonstancié » bien qu’il affirme que « la prise en charge et le traitement ne sont pas possibles dans son pays d’origine ».
La Cour se livre à une analyse détaillée des arguments concernant la disponibilité de chaque médicament prescrit. Elle relève que le requérant admet lui-même la disponibilité de deux des trois traitements dans les structures de santé des grandes villes maliennes, sans pour autant démontrer son incapacité à s’y rendre ou à supporter le coût de ces médicaments. L’argumentation est jugée trop générale et insuffisamment étayée pour établir une impossibilité factuelle d’accès. Cette appréciation rigoureuse des preuves illustre la difficulté pour un requérant de renverser l’avis de l’OFII par des documents qui ne sont pas perçus comme irréfutables.
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II. L’exigence d’un fardeau probatoire rigoureux pesant sur l’étranger
La solution retenue par la Cour administrative d’appel met en lumière l’étendue de la charge de la preuve qui incombe au demandeur d’un titre de séjour pour soins (A), ce qui conduit à un contrôle juridictionnel nécessairement limité des situations individuelles (B).
A. Une démonstration requise quant à l’inaccessibilité concrète du traitement
L’arrêt ne se contente pas d’examiner la disponibilité théorique des médicaments, mais il impose au requérant de prouver l’impossibilité concrète d’y accéder. Le juge attendait du requérant qu’il démontre que l’éloignement des centres de santé ou le coût des traitements constituait un obstacle insurmontable à sa situation personnelle. Or, l’intéressé « se bornant à faire état de ce coût sans le préciser ni le rapporter à ses revenus et ressources », sa démonstration a été jugée défaillante. De même, concernant le troisième médicament qui ne serait pas disponible, la Cour souligne que le requérant « n’établit ni même ne fait valoir qu’un autre traitement alternatif aux effets similaires ne pourrait lui être administré ».
Cette exigence place sur les épaules de l’étranger un fardeau de la preuve particulièrement lourd. Il doit non seulement identifier les traitements, vérifier leur présence sur le marché local, mais également apporter des éléments concrets sur leur coût, les modalités d’accès, l’absence d’alternatives thérapeutiques et sa propre incapacité financière ou géographique à en bénéficier. Une telle démonstration peut s’avérer complexe à réaliser depuis la France, surtout pour des personnes en situation de précarité.
B. Un contrôle restreint sur l’appréciation des risques personnels encourus
Cette approche stricte de l’administration de la preuve a des conséquences directes sur le contrôle exercé par le juge, notamment au regard de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ayant conclu que l’accès aux soins n’était pas prouvé comme étant impossible, la Cour écarte logiquement le moyen tiré du risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de retour. Le raisonnement est circulaire : l’échec à prouver le défaut d’accès aux soins au titre de l’article L. 425-9 entraîne mécaniquement le rejet du grief fondé sur l’article 3 de la Convention.
De surcroît, la Cour écarte également l’argument relatif à la stigmatisation sociale de la maladie au Mali. Elle considère que la production d’un article général sur le sujet « ne suffit pas à établir que M. A… serait personnellement et sérieusement concerné par un risque ». Ici encore, l’exigence d’une preuve individualisée et directe du risque l’emporte sur la considération d’un contexte général défavorable. Il en résulte que, sauf à produire un dossier exhaustif et irréfutable, l’appréciation du préfet, éclairée par l’avis de l’OFII, a de fortes chances d’être validée par le juge, limitant ainsi la portée du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de l’étranger.