Par un arrêt en date du 15 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’un ressortissant algérien. Cette décision offre un éclairage sur l’articulation entre les dispositions spécifiques de l’accord franco-algérien et les garanties plus générales offertes par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En l’espèce, un ressortissant algérien, déclarant être présent en France depuis 2005, avait sollicité en 2023 son admission au séjour sur le fondement de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Le préfet de police, par un arrêté du 20 juin 2024, a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Saisi d’un recours en annulation contre cette obligation, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande par un jugement du 6 novembre 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment qu’il remplissait les conditions pour obtenir un titre de séjour de plein droit en raison de sa présence de plus de dix ans en France, et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si les éléments produits par le requérant suffisaient à caractériser une résidence habituelle de plus de dix ans au sens de l’accord franco-algérien, condition faisant obstacle à une mesure d’éloignement. Subsidiairement, elle devait apprécier si, au regard de l’ensemble de sa situation personnelle, l’obligation de quitter le territoire français constituait une ingérence excessive dans son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne.
La Cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi la légalité de la mesure d’éloignement. Elle estime que le requérant n’apporte pas la preuve d’une résidence de plus de dix ans et que, par ailleurs, l’atteinte à sa vie privée et familiale n’est pas disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision préfectorale. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des conditions de preuve exigées par l’accord franco-algérien (I), complétée par un contrôle classique de l’appréciation portée sur la situation personnelle de l’étranger (II).
I. L’application rigoureuse des conditions de séjour issues de l’accord franco-algérien
La Cour administrative d’appel examine en premier lieu le moyen tiré de la violation de l’accord franco-algérien, rappelant d’abord le mécanisme de protection qu’il institue (A) avant de vérifier de manière concrète si le requérant en remplit les conditions factuelles (B).
A. Le caractère protecteur de la délivrance d’un titre de plein droit
L’arrêt rappelle avec clarté le principe selon lequel un étranger qui remplit les conditions pour l’obtention d’un titre de séjour de plein droit ne peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement. La Cour énonce ainsi que lorsque la loi, ou en l’espèce un accord international, « prescrit l’attribution de plein droit d’un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu’il puisse légalement être l’objet d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français ». Cette formule consacre la primauté de la régularisation de plein droit sur le pouvoir d’éloignement de l’administration.
Le requérant pouvait donc utilement se prévaloir des stipulations du 1) de l’article 6 de l’accord franco-algérien à l’encontre de la décision l’obligeant à quitter le territoire. Cette disposition prévoit la délivrance d’un certificat de résidence d’un an portant la mention « vie privée et familiale » au ressortissant algérien qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans. Le juge administratif confirme ici que la satisfaction de cette condition de résidence constitue un droit pour le ressortissant algérien, et non une simple faculté pour l’administration. La question centrale n’est donc pas celle de l’opportunité, mais bien celle de la preuve.
B. L’appréciation souveraine de la force probante des pièces versées
Si le principe est protecteur, sa mise en œuvre dépend entièrement de l’appréciation des faits par le juge. Or, en l’espèce, la Cour estime que la condition de résidence de dix ans n’est pas remplie. Elle relève que l’intéressé se borne à produire pour certaines années des documents variés tels qu’un « bon de prise en charge SAV », un formulaire d’inscription à des cours de langue, ou encore des documents médicaux. La Cour considère que ces pièces sont insuffisantes pour établir « la réalité de sa présence en France depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée ».
Cette approche illustre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond quant à la valeur probante des éléments qui leur sont soumis. La charge de la preuve pèse intégralement sur le demandeur, qui doit fournir des documents suffisamment précis, continus et fiables pour convaincre le juge de la réalité et de la permanence de sa résidence. La décision souligne ainsi qu’une collection de documents épars et de faible valeur probante ne saurait suffire à constituer la justification « par tout moyen » exigée par l’accord. En conséquence, le moyen tiré de la violation de l’accord franco-algérien est logiquement écarté.
II. Le contrôle restreint de l’atteinte à la vie privée et familiale
Après avoir écarté l’application des stipulations de l’accord bilatéral, le juge administratif se penche sur les moyens subsidiaires fondés sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en reconnaissant une certaine intégration (A) mais en la jugeant insuffisante pour faire obstacle à la mesure d’éloignement (B).
A. La reconnaissance d’une insertion professionnelle et sociale réelle
L’arrêt ne nie pas l’existence d’une intégration du requérant. La Cour prend soin de relever les éléments positifs de son dossier, notamment son insertion par le travail. Elle mentionne explicitement les bulletins de salaire, les déclarations de revenus et les contrats à durée indéterminée en qualité de plombier. Elle constate que ces pièces « témoignent de son insertion professionnelle en France », reconnaissant ainsi les efforts déployés par l’intéressé. De même, elle prend acte de son activité bénévole au sein d’une association, de son apprentissage de la langue française et des attestations de proches.
Cette prise en considération détaillée des éléments de la vie privée du requérant démontre que le juge effectue bien le bilan coût-avantage imposé par la jurisprudence européenne. Il ne s’agit pas d’un simple contrôle formel. La Cour pèse concrètement les différents aspects de la vie de l’individu en France pour évaluer le degré de son intégration. Toutefois, la reconnaissance de cette intégration n’emporte pas automatiquement la censure de la décision préfectorale.
B. La prévalence des motifs d’ordre public sur les attaches personnelles
Malgré les éléments d’intégration relevés, la Cour conclut que l’obligation de quitter le territoire ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant. Plusieurs facteurs justifient cette conclusion. D’une part, la Cour minore la portée de l’insertion professionnelle en la qualifiant de « récente à la date de l’arrêté attaqué ». D’autre part, elle met en balance la situation personnelle du requérant, en soulignant qu’il est « célibataire et sans enfant à charge » et qu’il « ne conteste pas avoir des attaches familiales dans son pays d’origine ».
Ces éléments sont jugés déterminants. L’absence d’attaches familiales constituées en France, notamment la présence d’enfants, est traditionnellement un critère majeur dans l’appréciation du juge. En confrontant une insertion professionnelle récente et des attaches sociales personnelles à l’absence de charge de famille et à l’existence de liens dans le pays d’origine, la Cour estime que le centre de la vie privée et familiale de l’intéressé n’est pas établi en France. Par conséquent, l’ingérence que constitue la mesure d’éloignement est jugée nécessaire et proportionnée à l’objectif de maîtrise des flux migratoires, et le moyen tiré de la violation de l’article 8 est écarté, de même que celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation.