Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur les conséquences de la violation du principe du contradictoire et sur les modalités de computation des délais de recours en contentieux des étrangers. En l’espèce, un ressortissant étranger a fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour de deux ans. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande par une ordonnance, la jugeant irrecevable car tardive. Le juge de première instance s’est fondé sur un accusé de réception postal produit par le préfet mais qui n’avait pas été communiqué au requérant. Ce dernier a donc interjeté appel de cette ordonnance, arguant d’une irrégularité de la procédure et, à titre subsidiaire, de l’illégalité de l’arrêté préfectoral. La question se posait de savoir si la méconnaissance du principe du contradictoire par le premier juge devait entraîner l’annulation de sa décision et, dans ce cas, quelle était l’incidence des règles de notification d’un acte administratif sur la recevabilité de la demande initiale. La Cour annule l’ordonnance du tribunal administratif pour non-respect du principe du contradictoire, mais usant de son pouvoir d’évocation, rejette finalement la demande comme tardive. Elle juge en effet que le délai de recours contentieux court à compter de la date de présentation du pli recommandé au domicile déclaré par le destinataire, même si celui-ci ne le réclame pas. Si la Cour réaffirme avec force l’exigence du débat contradictoire comme une garantie procédurale essentielle (I), elle applique avec une égale rigueur les règles relatives à la notification des décisions administratives, scellant ainsi l’issue du litige (II).
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I. La consécration du principe du contradictoire comme garantie d’une procédure régulière
La Cour administrative d’appel rappelle que le respect du contradictoire est une condition substantielle de la validité de toute décision de justice, ce qui la conduit à annuler l’ordonnance de première instance (A), avant de faire usage de son pouvoir d’évocation pour statuer elle-même sur l’affaire (B).
A. L’annulation sanctionnant une décision fondée sur une pièce non communiquée
Le principe du contradictoire, énoncé à l’article L. 5 du code de justice administrative, impose que chaque partie ait été mise en mesure de connaître et de discuter l’ensemble des pièces et arguments soumis au juge. En l’espèce, le tribunal administratif a fondé sa décision d’irrecevabilité sur un document essentiel, l’accusé de réception de la notification de l’arrêté, sans que celui-ci ait été transmis au requérant. La Cour censure cette pratique sans ambiguïté, estimant que le manquement à l’obligation de communication a nécessairement porté préjudice aux droits du justiciable. Elle affirme ainsi que « le requérant est fondé à soutenir que l’ordonnance attaquée est intervenue en méconnaissance du principe du contradictoire et à en demander, pour ce motif, l’annulation ». Cette solution, parfaitement orthodoxe, réaffirme que la régularité de la procédure prime sur la substance même du document non communiqué ; peu importe que la pièce semble probante, son utilisation à l’insu d’une partie vicie la procédure. La décision a donc une valeur pédagogique, rappelant aux juridictions l’impérieuse nécessité d’assurer un débat loyal.
B. Le recours à l’évocation, instrument d’une bonne administration de la justice
Après avoir annulé l’ordonnance, la Cour aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif pour qu’il statue à nouveau. Elle choisit cependant de recourir à l’évocation, une prérogative qui lui permet de juger immédiatement le fond du litige. Elle indique qu’« il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A… devant le tribunal administratif de Montreuil ». Cet usage de l’évocation répond à un objectif de célérité et d’économie procédurale, particulièrement pertinent dans le contentieux des étrangers où les situations personnelles exigent des réponses rapides. Si cette technique est efficace, elle prive néanmoins le justiciable d’un double degré de juridiction sur le fond. La victoire procédurale obtenue par le requérant devient alors purement symbolique, puisque la Cour, se substituant au premier juge, va examiner à son tour la recevabilité de sa requête initiale, mais cette fois dans le respect des formes. La portée de l’annulation est ainsi immédiatement neutralisée par la décision de la Cour de retenir l’affaire.
II. L’application rigoureuse des règles de notification emportant le rejet de la demande
En statuant sur la demande initiale, la Cour examine la tardiveté du recours en se fondant sur une interprétation stricte de la théorie de la connaissance acquise (A), ce qui aboutit à une solution où la satisfaction procédurale en appel se heurte à une fin de non-recevoir inéluctable (B).
A. Le point de départ du délai de recours fixé à la présentation du pli
Le cœur du litige, une fois l’affaire évoquée, résidait dans la détermination de la date à laquelle la notification de l’arrêté préfectoral était réputée avoir été effectuée. Le requérant soutenait une date tardive, tandis que le préfet se prévalait de la première présentation du courrier recommandé. La Cour tranche sans équivoque en faveur de l’administration, jugeant que « la notification de l’arrêté en litige doit être regardée comme ayant été régulièrement effectuée le 12 février 2024, date de présentation du pli au domicile déclaré du requérant ». Cette solution est conforme à une jurisprudence constante qui fait peser sur le destinataire d’un acte la responsabilité de prendre connaissance de son courrier. La mention « pli avisé et non réclamé » ne fait pas obstacle à ce que le délai de recours commence à courir dès la première présentation, car l’administration a accompli les diligences qui lui incombaient. La valeur de cette décision est de garantir la sécurité juridique et d’empêcher que les administrés puissent, par leur seule inaction, paralyser l’action administrative et maîtriser les délais de recours.
B. Une victoire procédurale sans effet sur l’issue substantielle du litige
Le dénouement de l’arrêt illustre de manière saisissante la distinction entre la régularité procédurale et le bien-fondé d’une demande. Le requérant, qui avait obtenu gain de cause sur le non-respect du contradictoire, voit sa requête finalement rejetée pour le même motif que celui retenu illégalement par le premier juge : la tardiveté. La Cour conclut sobrement qu’« il résulte de ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté attaqué ». Cette décision, bien que sévère dans son résultat, est juridiquement irréprochable. Elle démontre que la sanction d’un vice de procédure ne saurait couvrir une irrecevabilité qui affecte la saisine même du juge. La portée de cet arrêt est donc un rappel que le succès d’une argumentation procédurale ne préjuge en rien de l’issue du litige au fond. Il s’agit d’une décision d’espèce qui, par sa motivation rigoureuse et sa construction en deux temps, illustre parfaitement la complexité et l’implacable logique du droit processuel administratif.