Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur le pouvoir d’appréciation de l’administration dans le cadre d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour.
En l’espèce, une ressortissante étrangère, entrée régulièrement en France en 2018, a sollicité en 2023 son admission exceptionnelle au séjour auprès de la préfecture de police. Cette dernière a rejeté sa demande par un arrêté du 26 février 2024, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Paris a confirmé la décision préfectorale par un jugement du 2 octobre 2024. La ressortissante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’arrêté était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de sa situation personnelle et professionnelle.
Il revenait donc à la Cour administrative d’appel de déterminer si le préfet, en refusant d’accorder un titre de séjour, avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle d’une étrangère justifiant d’une intégration professionnelle stable et durable.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge que le refus d’admission au séjour opposé à l’intéressée est entaché d’illégalité, au motif qu’en présence d’une insertion professionnelle avérée, le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation. Par conséquent, la Cour annule le jugement du tribunal administratif de Paris ainsi que l’arrêté préfectoral, et enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour à la requérante.
La solution retenue par la Cour administrative d’appel témoigne d’une conception exigeante du contrôle exercé sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de police des étrangers, faisant de l’intégration professionnelle un critère prépondérant (I). Cette censure conduit logiquement à une limitation significative de la marge d’appréciation préfectorale, dont la portée est renforcée par une injonction de régularisation (II).
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I. La consécration de l’intégration professionnelle comme critère déterminant de l’admission au séjour
La Cour administrative d’appel de Paris fonde sa décision sur une analyse concrète de la situation de la requérante, qui met en lumière la stabilité de son parcours professionnel (A). Ce faisant, elle confère à cet élément une force particulière, rendant le refus de l’administration manifestement erroné (B).
A. La reconnaissance d’une situation professionnelle établie
Le juge administratif d’appel prend soin de détailler les éléments qui caractérisent l’insertion professionnelle de l’intéressée. Il constate que celle-ci « justifie de plus de six années de présence sur le territoire français, travaille depuis le 4 octobre 2021 en contrat à durée indéterminée en qualité d’employée de maison – garde d’enfant de niveau 2 à temps complet pour un salaire supérieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance ». Le juge ne se contente pas de relever l’existence d’une activité, mais en souligne la qualité : un contrat à durée indéterminée, à temps complet, et une rémunération satisfaisante.
De surcroît, la Cour relève que la requérante « est également employée par deux autres familles qui attestent de ses qualités et de son professionnalisme ». Cette prise en compte des témoignages d’employeurs démontre une volonté d’appréhender la situation dans sa globalité, au-delà des seuls documents administratifs. L’ensemble de ces faits constitue un faisceau d’indices concordants qui dresse le portrait d’une personne durablement insérée par le travail, répondant ainsi aux besoins économiques et sociaux du pays.
B. L’appréciation de l’erreur manifeste face à l’insertion avérée
Face à ce constat, la Cour estime que le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation. Le juge administratif rappelle que l’administration, bien qu’elle dispose d’un large pouvoir pour accorder ou refuser une admission exceptionnelle au séjour en vertu de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ne saurait ignorer des éléments déterminants de la situation personnelle du demandeur. En l’occurrence, le préfet s’était borné à considérer que l’intéressée ne justifiait pas de motifs exceptionnels.
La Cour censure ce raisonnement en jugeant qu’une telle analyse est disproportionnée au regard des faits. En concluant qu’« en refusant l’admission exceptionnelle au séjour de l’intéressée, qui justifie d’une insertion professionnelle stable, le préfet de police a commis une erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle », le juge élève l’intégration professionnelle au rang de critère quasi-décisif. La décision du préfet est jugée non pas simplement inopportune, mais juridiquement viciée, car elle méconnaît de manière flagrante la réalité d’une situation individuelle.
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II. La portée de la censure : une limitation du pouvoir discrétionnaire et une injonction de régularisation
En sanctionnant l’administration par le biais de l’erreur manifeste d’appréciation, la Cour réaffirme les limites du pouvoir discrétionnaire (A). Elle va plus loin encore en tirant toutes les conséquences de sa décision, par une injonction qui ne laisse aucune marge de manœuvre au préfet (B).
A. Le contrôle de l’erreur manifeste comme garantie contre l’arbitraire
Cette décision illustre la fonction du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation comme un rempart contre une application trop rigide ou abstraite des textes. Si l’admission exceptionnelle au séjour n’est pas un droit, le pouvoir de l’administration ne doit pas pour autant verser dans l’arbitraire. Le juge administratif se positionne ici en gardien d’une juste balance entre les prérogatives de la puissance publique et les situations humaines individuelles.
La censure prononcée n’est pas une simple substitution d’appréciation ; elle sanctionne une décision dont l’inadéquation aux faits de l’espèce est d’une telle gravité qu’elle en devient illégale. L’erreur est « manifeste » car elle heurte le bon sens et l’équité, compte tenu des preuves d’intégration fournies. La solution rappelle ainsi que le pouvoir discrétionnaire doit s’exercer au vu d’un examen approfondi et personnalisé de chaque dossier, conformément aux exigences de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
B. La force de l’injonction comme aboutissement logique de l’annulation
La portée de cet arrêt est considérablement renforcée par les conclusions que la Cour en tire sur le terrain de l’exécution. En effet, elle ne se contente pas d’annuler la décision de refus, ce qui aurait simplement obligé le préfet à réexaminer la situation de la requérante. Le juge considère que « l’exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme B… d’un titre de séjour ».
En application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, il enjoint donc au préfet de police de délivrer ce titre dans un délai de trois mois. Une telle injonction est le signe que, pour le juge, aucune autre décision que la régularisation n’est légalement possible au vu des faits du dossier. Cette approche pragmatique et protectrice des droits du justiciable assure l’effectivité de la décision de justice et réduit à néant la marge d’appréciation résiduelle du préfet, transformant l’admission exceptionnelle en une compétence liée dans ce cas d’espèce précis.