Par un arrêt en date du 16 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une décision plaçant d’office un fonctionnaire en congé de longue maladie. En l’espèce, un professeur certifié avait été suspendu de ses fonctions puis, à l’issue de cette période, placé en congé de maladie ordinaire par son administration. Sur la base d’un avis du comité médical, le recteur d’académie a ensuite décidé, par plusieurs arrêtés, de placer l’agent en congé de longue maladie à plein traitement pour une durée d’un an. L’agent a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil afin d’obtenir l’annulation de ces décisions. Par un jugement du 16 février 2023, les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable au motif que les arrêtés contestés constituaient de simples mesures d’ordre intérieur ne faisant pas grief. Saisie en appel par le fonctionnaire, la cour administrative d’appel devait donc déterminer si une décision de placement en congé de longue maladie d’office constitue un acte susceptible de recours. Subsidiairement, elle était conduite à examiner la régularité de la procédure consultative ayant précédé l’édiction de cet acte. La Cour censure le raisonnement du tribunal, affirmant qu’une telle mesure, en ce qu’elle affecte les prérogatives statutaires de l’agent, est bien un acte faisant grief. Statuant par la voie de l’évocation, elle annule ensuite les arrêtés contestés au motif que la procédure méconnaissait les garanties offertes au fonctionnaire.
La décision commentée réaffirme ainsi le caractère limité de la notion de mesure d’ordre intérieur (I), avant de rappeler l’importance substantielle des garanties procédurales accordées au fonctionnaire (II).
I. La qualification de la mise en congé d’office : une mesure attentatoire aux droits statutaires
La Cour administrative d’appel de Paris, en annulant le jugement de première instance, rejette une conception extensive de la mesure d’ordre intérieur (A) et confirme par là même le droit du fonctionnaire à contester une décision affectant l’exercice de ses fonctions (B).
A. Le rejet de la qualification de mesure d’ordre intérieur
Les premiers juges avaient considéré que les arrêtés plaçant le fonctionnaire en congé de longue maladie à plein traitement n’étaient pas susceptibles de recours. Cette analyse se fondait sur la théorie des mesures d’ordre intérieur, lesquelles, en raison de leur faible portée sur la situation de l’agent, sont insusceptibles d’être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir. Or, la juridiction d’appel adopte une position contraire, considérant que de telles décisions ne sauraient être réduites à de simples actes de gestion interne.
En effet, la Cour énonce de manière explicite que les arrêtés litigieux « ont porté atteinte au droit à participer au service public de l’enseignement qu’il tient de son statut ». Ce faisant, elle souligne que le placement en congé de longue maladie, même d’office et à plein traitement, n’est pas un acte anodin. Il prive temporairement le fonctionnaire de l’exercice effectif de ses missions, qui constitue l’un des attributs principaux de sa condition. La décision administrative modifie donc substantiellement sa situation professionnelle, justifiant ainsi qu’elle puisse être soumise au contrôle du juge.
B. La confirmation du droit au recours contre l’éviction temporaire du service
En qualifiant la mise en congé d’office d’acte faisant grief, la cour restaure le droit au recours de l’agent. Elle rappelle implicitement que le champ des mesures d’ordre intérieur doit être interprété de manière stricte, surtout lorsque sont en jeu les droits et prérogatives que les agents publics tiennent de leur statut. La solution est conforme à une jurisprudence administrative soucieuse de ne pas créer des zones de non-droit au sein de l’administration.
Cette approche garantit que toute décision ayant un impact tangible sur la carrière ou les conditions d’exercice d’un fonctionnaire, quand bien même elle serait présentée comme une mesure de protection ou de régularisation, demeure contestable. Le fait que l’agent conserve son plein traitement pendant la première année de congé est ici jugé inopérant pour dénier à la décision son caractère grief. L’essentiel réside dans la suspension de sa participation au service public, qui constitue une atteinte suffisamment directe et certaine à ses droits statutaires pour ouvrir la voie du prétoire.
Après avoir établi la recevabilité du recours, la Cour examine la légalité interne de la décision et la censure pour un motif de procédure, soulignant la portée concrète des garanties offertes aux agents publics.
II. La sanction du vice de procédure : une protection substantielle pour l’agent
L’annulation des arrêtés ne se fonde pas sur une appréciation de l’état de santé de l’agent, mais sur la méconnaissance de ses droits procéduraux. La Cour identifie ainsi un manquement dans la conduite de la procédure consultative (A), ce qui la conduit à prononcer l’annulation de l’acte pour défaut d’une garantie (B).
A. La constatation d’une information procédurale défaillante
Le second apport de l’arrêt réside dans l’application rigoureuse des dispositions réglementaires encadrant la saisine du comité médical. La Cour relève que le fonctionnaire n’a pas été mis en mesure de se défendre utilement, l’administration ayant omis de respecter les prescriptions de l’article 7 du décret du 14 mars 1986. Le juge constate qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que M. A… aurait été informé de la date à laquelle le comité médical devait examiner son dossier ; de ses droits concernant la communication de son dossier et la possibilité de faire entendre le médecin de son choix ; – des voies de recours possibles ».
Cette énumération met en lumière le caractère essentiel des informations qui doivent être communiquées à l’agent. Celles-ci ne sont pas de simples formalités, mais les composantes d’une procédure contradictoire minimale. Elles visent à permettre au fonctionnaire de préparer sa défense, de prendre connaissance des éléments sur lesquels l’administration fonde son appréciation et de participer activement à la procédure consultative qui déterminera sa situation. Le manquement de l’administration est donc jugé comme une violation substantielle.
B. L’annulation comme sanction de la privation d’une garantie
En conséquence de ce vice, la Cour prononce l’annulation des arrêtés. Elle qualifie expressément ces omissions comme ayant « privé M. A… d’une garantie ». Cette formule classique de la jurisprudence administrative suffit à justifier la censure de l’acte, sans qu’il soit besoin pour le juge de rechercher si, en l’absence de cette irrégularité, la décision prise par l’administration aurait pu être différente. La seule privation de la garantie procédurale est en soi une cause d’illégalité.
La portée de cette solution est pédagogique : elle rappelle à l’administration que les procédures consultatives préalables aux décisions graves pour la situation des agents ne sont pas de simples formalités. L’injonction de réexaminer la situation de l’agent, et non de le réintégrer d’office, confirme que le juge ne se substitue pas à l’administration pour apprécier l’aptitude de l’agent. Il lui impose seulement de reprendre la procédure en respectant, cette fois, l’intégralité des droits de la défense du fonctionnaire.