Cour d’appel administrative de Paris, le 16 avril 2025, n°23PA05136

Par un arrêt en date du 16 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions de mise en œuvre de la théorie du maître de l’affaire et de l’application des pénalités pour manœuvres frauduleuses. En l’espèce, un individu, gérant d’une société à responsabilité limitée exploitant un supermarché, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. L’administration fiscale a constaté que des recettes avaient été dissimulées et a considéré le gérant comme le seul maître de l’affaire, l’imposant personnellement sur les sommes regardées comme des revenus distribués. Elle a en outre assorti ces redressements d’une majoration de 80 %.

Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Montreuil afin d’obtenir la décharge de ces impositions. Par un jugement du 13 octobre 2023, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision. Il soutenait ne pas pouvoir être qualifié de maître de l’affaire et contestait le bien-fondé de la majoration appliquée, arguant que le manquement délibéré n’était pas établi. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer les critères permettant de qualifier un dirigeant de seul maître de l’affaire le rendant personnellement attributaire des bénéfices dissimulés par la société. D’autre part, il convenait de préciser les éléments susceptibles de caractériser l’existence de manœuvres frauduleuses de nature à justifier l’application d’une majoration de 80 %.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que l’administration a légitimement qualifié le gérant de maître de l’affaire en se fondant sur un faisceau d’indices démontrant son contrôle effectif et exclusif sur la société. Par ailleurs, elle juge que les procédés utilisés pour minorer les recettes constituent des manœuvres frauduleuses dont la responsabilité incombe au dirigeant. Ainsi, la cour confirme la validité de l’imposition à travers une analyse factuelle rigoureuse de la direction de l’entreprise (I), avant de valider la sanction appliquée en se fondant sur la sophistication des procédés de dissimulation (II).

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I. La consolidation de la théorie du maître de l’affaire par l’appréciation des faits

La cour confirme la méthode du faisceau d’indices pour identifier le véritable dirigeant de l’entreprise, en s’appuyant sur une appréciation souveraine du rôle prépondérant du gérant (A) et en écartant les preuves contraires jugées trop fragiles (B).

A. La prééminence du rôle effectif du dirigeant dans la gestion sociale

La qualification de maître de l’affaire permet à l’administration fiscale d’imposer entre les mains d’un dirigeant les bénéfices réputés distribués qui ont été soustraits à la comptabilité de la société. Pour ce faire, les juges du fond recherchent qui, au-delà des apparences juridiques, exerce le contrôle réel et la direction effective de l’entité. En l’occurrence, la cour relève que le requérant était non seulement le gérant de droit, mais aussi celui qui a « entièrement pris en charge les opérations nécessaires à la création de la société ». De plus, il était le « seul signataire de la déclaration de résultats » et des procès-verbaux d’assemblée générale pour la période concernée.

Le pouvoir de signature sur les comptes bancaires constitue également un indice déterminant pour les juges. L’arrêt souligne que le requérant était le « seul détenteur de la signature sur le compte bancaire ouvert en 2016 ». La cour démontre ainsi que la réalité du pouvoir primait sur les arrangements formels. Le cumul de ces responsabilités et de ces prérogatives suffit à établir que le dirigeant disposait d’une autorité incontestée sur la gestion financière et administrative de la société, le plaçant de fait en position d’en être le seul décisionnaire.

B. L’insuffisance des éléments de preuve contraires

Face à ce faisceau d’indices concordants, le contribuable tentait de démontrer l’implication d’un co-gérant dans la gestion de l’entreprise. Cependant, la cour écarte méthodiquement chacun des éléments produits. Les attestations de partenaires commerciaux ou de salariés sont jugées inopérantes, car elles sont soit postérieures à l’année d’imposition, soit trop imprécises pour établir une participation effective à la gestion. L’arrêt précise que ces documents « ne sont pas de nature à étayer le moyen tiré de ce que » le requérant n’était pas le seul maître de l’affaire.

La cour se montre particulièrement exigeante sur la force probante des attestations, relevant par exemple qu’un témoignage faisant état de contacts avec le co-gérant en 2016 ou sa présence lors d’une visite domiciliaire en 2019 est « dépourvue de portée » pour l’année 2017. Cette rigueur dans l’appréciation de la preuve renforce la portée de la méthode du faisceau d’indices. Elle signifie que pour contester la qualité de maître de l’affaire, un dirigeant doit fournir des preuves concrètes, contemporaines et précises de l’implication d’un tiers dans les décisions stratégiques de la société.

Une fois établie l’appréhension des bénéfices par le dirigeant, la question de la sanction applicable à la dissimulation de ces recettes se posait naturellement.

II. La caractérisation des manœuvres frauduleuses par l’analyse des procédés de dissimulation

La cour justifie l’application de la majoration de 80 % en se fondant sur l’existence d’un système organisé de fraude. Elle établit d’abord l’élément matériel des manœuvres à travers la complexité des procédés utilisés (A), avant de déduire l’élément intentionnel de l’implication personnelle du dirigeant (B).

A. L’élément matériel révélé par un système de minoration des recettes

Conformément à l’article 1729 du code général des impôts, l’application de la majoration de 80 % suppose l’existence de manœuvres frauduleuses, qui se distinguent d’une simple omission déclarative. Elles impliquent la mise en œuvre de procédés visant délibérément à tromper l’administration. Dans cette affaire, la cour décrit avec précision le mécanisme de fraude, notant des minorations de recettes importantes qui « procèdent de l’utilisation délibérée et récurrente d’une fonctionnalité du logiciel de caisse ».

Les juges s’appuient sur des éléments techniques concrets, tels que « des fichiers journaliers de recettes réalisées en espèces comportant des montants de chiffres d’affaires négatifs » et l’existence d’une clé USB contenant un fichier qui retrace « le montant exact des dissimulations ». La sophistication de ces agissements, qui ne peuvent résulter d’une simple erreur, suffit à matérialiser les manœuvres. La cour conclut que ces éléments objectifs établissent la réalité d’un stratagème dont le but était de soustraire une partie significative du chiffre d’affaires à l’impôt.

B. L’élément intentionnel déduit de la qualité de maître de l’affaire

Pour que les manœuvres frauduleuses soient constituées, l’administration doit également prouver l’intention de fraude de la part du contribuable. La cour déduit cet élément intentionnel de la position même du dirigeant au sein de la société. Ayant préalablement établi qu’il en était le seul maître, elle en conclut qu’il « ne pouvait ignorer les procédés décrits ci-dessus ». La responsabilité de la fraude lui est ainsi directement imputée en raison de son contrôle total sur l’entreprise.

Ce raisonnement lie étroitement la qualification de maître de l’affaire à la présomption de connaissance des agissements frauduleux. L’arrêt estime que l’administration établit « tant la réalité de ces manœuvres frauduleuses que la participation consciente du gérant de la société ». En rejetant l’argumentation du requérant, la cour confirme une solution classique en droit fiscal : le dirigeant qui concentre tous les pouvoirs ne peut valablement se prévaloir de son ignorance pour échapper à sa responsabilité et aux sanctions les plus lourdes. La décision illustre ainsi la sévérité dont font preuve les juges à l’égard des schémas de fraude élaborés.

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