Par un arrêt en date du 16 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête d’un ressortissant étranger dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Paris du 7 décembre 2023. Ce jugement avait confirmé la légalité d’un arrêté préfectoral refusant de lui délivrer un titre de séjour, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressé, présent en France depuis 2019, avait sollicité son admission au séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison de plusieurs pathologies dont le défaut de prise en charge pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité. La procédure a vu se succéder une décision de refus du préfet de police, fondée sur un avis défavorable du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), puis une confirmation par les juges de première instance. Devant la cour, le requérant contestait tant la régularité de l’avis médical, en raison de vices de procédure, que l’appréciation du préfet sur sa situation, qu’il estimait entachée d’erreur de droit et d’erreur manifeste au regard de l’accès effectif aux soins dans son pays d’origine. Il soulevait également une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Se posait alors au juge d’appel la question de l’étendue de son contrôle sur l’appréciation portée par l’administration, à la lumière d’un avis de l’OFII, quant à la disponibilité d’un traitement approprié dans le pays d’origine d’un étranger malade. La cour administrative d’appel de Paris a écarté l’ensemble des moyens soulevés. Elle a ainsi validé la procédure de délibération de l’avis médical et a confirmé le bien-fondé de l’appréciation de l’autorité préfectorale, renforçant la place centrale de l’expertise de l’OFII dans ce contentieux. La décision témoigne ainsi de la consolidation du rôle de l’avis médical de l’OFII, tant sur le plan formel que substantiel (I), ce qui conduit à une application rigoureuse des conditions d’octroi du titre de séjour pour soins (II).
I. La consolidation du rôle de l’avis médical de l’OFII
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris confirme la place prépondérante de l’avis du collège de médecins de l’OFII en validant sa régularité formelle de manière pragmatique (A) et en limitant la portée du contrôle exercé sur ses fondements substantiels (B).
A. La validation pragmatique de la régularité formelle de l’avis
Le requérant soulevait plusieurs irrégularités procédurales affectant l’avis du collège des médecins de l’OFII. La cour écarte ces arguments en adoptant une approche qui favorise la sécurité des actes administratifs. Elle juge que la mention « Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l’OFII émet l’avis suivant » suffit à établir une présomption simple du caractère collégial de la délibération. Le fardeau de la preuve contraire repose dès lors sur le requérant, qui doit apporter un commencement de preuve pour remettre en cause cette mention. En l’espèce, l’éloignement géographique des médecins n’a pas été considéré comme un élément suffisant, la cour rappelant que la délibération peut se tenir par des moyens de communication à distance, car « aucune disposition n’imposant qu’elle se déroule en présentiel ». Cette solution, si elle s’inscrit dans une logique de modernisation et d’efficacité de l’action administrative, rend en pratique très difficile pour un administré la contestation de la réalité de la collégialité. Le juge administratif se montre ainsi peu enclin à s’immiscer dans le fonctionnement interne du collège médical, dès lors que les formes extérieures de la procédure ont été respectées.
B. Un contrôle restreint des fondements substantiels de l’avis
Le requérant mettait également en cause le contenu même de l’avis, arguant de l’absence de communication des éléments sur lesquels le collège s’était fondé pour conclure à l’existence d’un accès effectif au traitement dans son pays. La cour juge cependant que cette circonstance « est, en tout état de cause, sans incidence, sur la légalité de la décision contestée ». Cette affirmation marque une étape importante dans la définition du rôle de l’avis de l’OFII. Celui-ci est traité comme un rapport d’expertise qui se suffit à lui-même, sans qu’il soit nécessaire pour l’administration de produire l’ensemble des données brutes qui ont nourri la réflexion des médecins. Le juge n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’avis et sur la décision du préfet qui s’en suit. Il en résulte une asymétrie d’information notable, où l’administration s’appuie sur une expertise dont les sources restent confidentielles, tandis que le requérant doit, pour la contester, produire des preuves particulièrement robustes. Cette approche, tout en reconnaissant la technicité de l’évaluation médicale, limite la capacité du requérant à mener un débat contradictoire complet sur le fondement même de la décision qui lui est opposée.
II. L’application rigoureuse des conditions du droit au séjour pour soins
La validation de l’avis de l’OFII par la cour a pour conséquence directe de renforcer la rigueur avec laquelle sont appréciées les conditions de fond du droit au séjour pour l’étranger malade, qu’il s’agisse de la hiérarchie des preuves médicales (A) ou de l’appréciation de l’atteinte à la vie privée (B).
A. La primauté de l’expertise de l’OFII sur les autres éléments médicaux
L’arrêt illustre clairement la hiérarchie des preuves que le juge administratif opère dans ce contentieux. Le requérant produisait plusieurs certificats de ses médecins traitants attestant que les soins nécessaires n’étaient pas disponibles dans son pays d’origine. La cour estime cependant que ces documents « ne permettent pas, à eux seuls, de contredire utilement les motifs de l’avis de l’OFII ». Cette formule souligne le poids prépondérant conféré à l’avis du collège, considéré comme une expertise plus objective et complète que les attestations produites par la partie requérante. De plus, concernant un médicament spécifique, le juge relève qu' »il n’est pas établi, que ce médicament ne serait pas substituable ». Il fait ainsi peser sur le requérant la charge de démontrer non seulement l’indisponibilité d’un produit, mais aussi l’absence de toute alternative thérapeutique viable. Une telle exigence place le demandeur dans une situation probatoire délicate, face à une expertise administrative qui bénéficie d’une forte présomption de fiabilité et dont il ne maîtrise pas les ressorts.
B. Une conception restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale
Enfin, la cour examine le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle reconnaît la durée de présence du requérant en France depuis 2019 ainsi que son intégration sociale et professionnelle. Néanmoins, elle considère que ces éléments ne sont pas suffisants pour caractériser une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée. Le juge retient principalement que l’intéressé est « célibataire et sans charge de famille » et « serait dépourvu de telles attaches dans son pays d’origine ». L’analyse se concentre ainsi sur la dimension familiale, minimisant les autres aspects de l’intégration privée. En l’absence de liens familiaux constitués en France et en l’absence de preuve d’un isolement total dans son pays d’origine, le seul fait de l’intégration sociale et du suivi médical ne suffit pas à faire obstacle à la mesure d’éloignement. Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante mais sévère, qui réserve le bénéfice de la protection de l’article 8 à des situations où les liens personnels et familiaux en France sont d’une intensité particulière.